Sommets européens : les actes en disent plus long que les mots

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

La construction européenne avance dans la bonne direction. On aimerait bien sûr que cela aille plus vite, mais chaque pierre apportée à l’édifice Europe en fortifie les fondations. Le sommet européen de fin mars est une nouvelle étape, qui ne sera sans doute pas décisive (avec à la clef une certaine déception), mais qui s’inscrit bien dans cette dynamique de changement et de réformes en profondeur, laquelle doit à terme redonner tout son sens au grand projet européen.

Début 2011, le président du Conseil Européen, Herman van Rompuy, était venu nous dire que les Européens s’apprêtaient à donner des preuves de leur détermination pour préserver à tout prix l’intégrité de la zone euro. Le rendez-vous approche puisque le sommet européen des 24-25 mars sera l’occasion de dévoiler cette nouvelle stratégie pour faire de l’Europe un espace plus solidaire, sans qu’il soit pour autant question de complaisance ou de laxisme.

Soyons plus solidaires

Du côté de la solidarité, les marchés attendent des dirigeants européens qu’ils renforcent le dispositif de stabilisation financière en place pour enrayer la crise des dettes souveraines.

Il est question d’augmenter la capacité d’intervention du FESF Fond Européen de Stabilisation Financière) qui en théorie s’élève à 440 milliards. Mais en pratique cette capacité est réduite de près de moitié, si on tient compte des besoins en sur-collatérisation pour sécuriser une notation triple A ou du retrait du mécanisme de garanties des pays récipiendaires de l’aide. Il n’est pas sûr qu’un chiffre précis soit avancé sachant que dans tous les cas une augmentation des garanties offertes par les Etats devra obtenir au préalable l’aval de certains parlements nationaux.

L’important est l’engagement inconditionnel de l’Europe à délivrer une réponse suffisamment calibrée en cas de nouvelle crise de liquidité. Des phénomènes de panique et de contagion (de type run sur les souverains) sont susceptibles de toucher des pays fondamentalement solvables et/ou de mettre en péril l’intégrité du système financier européen, exposé à ce risque souverain et déjà fragilisé par les excès financiers passés (bulles immobilière et de crédits).

La Grèce et l’Irlande ont été mis à l’abri pour permettre à ces économies de s’ajuster sans être sous le joug des marchés. Le Portugal, en embuscade, ne coûterait pas très cher à aider et vu les conditions exorbitantes auxquelles le pays se finance actuellement (6% hier pour une émission à deux ans), la probabilité augmente d’un appel à l’assistance européenne. Ce pays constitue le dernier rempart contre une extension de la crise à l’Espagne. Lors des mouvements de panique, le marché se montre incapable de dis- criminer entre les risques et peut par contagion mimétique emporter dans la tourmente ce pays, même si sa situation budgétaire n’a pour le moment rien d’alarmant. Même à supposer un besoin de recapitalisation massif du secteur bancaire (évalué entre 50-80 Mds d’euros), l’Etat semble en effet à même d’absorber le coût du sauvetage sans mettre en péril sa solvabilité. Le meilleur moyen de court-circuiter de tels enchaînements délétères est de prévoir une enveloppe d’aide suffisamment importante pour couvrir ce risque d’illiquidité de l’Etat espagnol, sans quoi les marchés pourraient aller tester périodiquement la solidité du dispositif.

L’autre mesure phare consisterait à alléger les conditions financières de l’aide qui restent aujourd’hui pénalisantes avec des taux oscillant entre 5 et 6% pour des maturités allant de trois à sept ans. Dans le cas de la Grèce, la décision d’allonger la maturité des prêts est quasi-acquise, puisque cela reviendrait à aligner la durée (sept ans) à celle du plan irlandais. Pour les conditions tarifaires, il s’agit dans l’esprit des Européens de trouver le bon dosage entre la nécessité d’offrir des conditions suffisamment concessionnelles pour alléger la pression sur les Etats en difficulté et la volonté de conserver des taux suffisamment punitifs pour ne pas inciter au laxisme.

Autant dire qu’avec cette vision très manichéenne, il existe peu de chance d’aboutir à une réduction significative des taux d’intérêt payés par les pays bénéficiaires. Pour exemple faire baisser le surcoût de 100 points de base1, sur une référence de taux courts de marchés qui montent en phase avec les anticipations de hausse des taux BCE, ne changerait pas fondamentalement la donne pour ces pays. Le niveau de concession offert risque de ne pas suffire pour remettre la dette de ces pays sur des trajectoires soutenables. Il s’agit encore d’acheter du temps sans traiter la question de fond de la solvabilité de certains Etats-membres, un problème qui devrait se gérer dans le temps, une fois que les efforts fournis par les gouvernements auront atteint leur limite.

On attend rien, en revanche, concernant le changement d’affectation du FESF, que ce soit pour permettre le financement d’opérations de rachat de titres de dette grecque, ou pour acquérir directement des obligations souveraines sur le marché secondaire ou encore pour aider aux recapitalisations bancaires.

Soyons plus disciplinés

Venons-en maintenant à la question de la discipline et du contrôle. Si les pays vertueux sont prêts à tendre la main aux pays en difficulté de la zone, ce ne sera pas sans contrepartie.

La Commission européenne a déjà fait une série de propositions pour renforcer le Pacte de Stabilité et de Croissance. Ces changements concernent le calendrier de la procédure qui devrait s’aligner davantage sur les cycles budgétaires nationaux. Il s’agit également d’introduire un tableau de bord d’indicateurs économiques pour détecter de manière précoce les déséquilibres à corriger. Ceci amènerait à revoir la temporalité du mécanisme de sanctions pour lui donner une valeur autant préventive que répressive.

Il est maintenant question avec le pacte de compétitivité d’harmoniser et de mieux coordonner les politiques économiques en zone euro, à des fins de convergence. Ce vaste programme (qui comprend entre autres des mesures concernant la discipline budgétaire, la convergence fiscale, les politiques d’investissement en R&D et en éducation, les réformes des retraites et du marché du travail…) devrait être adopté lors du sommet des 24-25 mars avec néanmoins quelques amendements. On devrait avoir une version assouplie sur les questions d’harmonisation de la fiscalité des entreprises, une concession faite à l’Irlande et sur le sujet de la convergence des systèmes de retraites, sachant que la Grèce ou la France qui viennent de faire passer des réformes très impopulaires cherchent à gagner un peu du temps.

Mais, pour ne pas répéter l’échec patent de l’agenda de Lisbonne qui avait déjà en son temps défini une stratégie commune de croissance à moyen terme, il est souhaitable de mettre en place rapidement des mécanismes incitatifs pour favoriser la mise en application de ces réformes et/ou dissuasifs pour sanctionner les stratégies économiques vouées à l’échec.

La construction européenne avance dans la bonne direction. On aimerait bien sûr que cela aille plus vite mais chaque pierre apportée à l’édifice Europe en fortifie les fondations. Fin mars est une nouvelle étape qui ne sera sans doute pas décisive (avec à la clef une certaine déception), mais qui s’inscrit bien dans cette dynamique de changement et de réformes en profondeur, laquelle doit à terme redonner tout son sens au grand projet européen.

NOTES

  1. Dans le cas Grec, Pour les prêts à taux variables, le taux de référence est l’Euribor 3 mois + 300 pdb pour une maturité allant jusqu’à trois ans avec un coût additionnel de 100 pdb au-dessus de l’Euribor pour chaque année supplémentaire. Pour les prêts à taux fixes, la référence est le taux swap auquel s’appliquent les mêmes surcoûts. Les frais de gestion s’élèvent à 50 pdb.

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