Trop vrai pour être beau

par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas

L’issue des deux prochains sommets extraordinaires des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro sera déterminante pour améliorer la gouvernance au sein de l’Union. Tout d’abord, une nouvelle mouture allégée du pacte de compétitivité franco- allemand y sera présentée. Le « pacte pour l’euro » a pour objectif d’engager les pays vers plus de coopération économique dans trois domaines d’actions jugées prioritaires : la compétitivité, l’emploi et la viabilité des finances publiques via l’inscription dans chaque législation nationale de limites d’endettement, sans oublier la nécessaire harmonisation fiscale.

Aucun Etat ne serait soumis à un carnet de route pour renforcer sa convergence, mais présenterait chaque année un état de l’avancée de ses réformes. En particulier, la règle de l’endettement excessif visant à ramener la dette publique sous le seuil de 60% du PIB, fixé par le Traité de Maastricht, pourrait s’avérer très contraignante, si son caractère automatique était conservé. L’autre sujet brûlant à l’agenda des chefs d’Etat et de gouvernement est l’extension des pouvoirs attribuées au Fonds européen de Stabilité financière (et notamment le rachat possible de dettes souveraines sur le marché secondaire, option considérée avec une grande méfiance par Berlin) tout comme les contours du futur Mécanisme européen de Stabilité qui viendra prendre le relais fin 2013 du FESF. Pour l’heure les marchés financiers n’ont pas grand espoir qu’un compromis acceptable tant pour l’Allemagne que les pays périphériques soit trouvé rapidement. En conséquence, les rendements sur les dettes souveraines périphériques à 10 ans ont continué de souffrir de l’absence de visibilité, les compartiments grec, irlandais et portugais se retrouvant sur leurs plus hauts niveaux depuis le lancement de l’euro.

Pourtant, un consensus semblait se dégager, au cours des derniers jours, sur la nécessité d’agir rapidement pour éviter une nouvelle crise obligataire. Le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, a ainsi appelé à la renégociation des termes des prêts accordés à l'Irlande et à la Grèce. Prête à un compromis éventuel, l’Allemagne devrait, toutefois, demander de nouvelles concessions aux Irlandais qui pourraient, entre autres, concerner un relèvement du taux d’imposition sur les sociétés (actuellement à 12,5%, le plus bas de la zone euro). Il n’en demeure pas moins qu’une telle demande de renégociation, si elle était acceptée, pourrait faire ‘jurisprudence’ et s’appliquer à la Grèce ou à d’autres pays susceptibles de bénéficier de l’intervention du Fonds européen de Stabilité financière. A cet égard, Moody’s a dégradé de trois crans la dette grecque, qui est ainsi passée de Ba1 à B1, soit à « hautement spéculative ». L’agence de notation estime, en effet, que sa restructuration est envisageable et que 20% des titres notés B1 font défaut à un horizon de cinq ans.

En effet, à peine élu, Enda Kenny, le dirigeant irlandais du Fine Gael, grand vainqueur des élections législatives du 25 février, a exigé une renégociation immédiate du plan de sauvetage international de l'île, signé par le gouvernement sortant avec l'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI). Lors de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement conservateurs de l’Union européenne, qui se tenait à Helsinki, vendredi 4 mars, le nouveau Premier ministre a entamé des négociations, sans perdre de temps.

Tout en acceptant les objectifs ambitieux de réduction du déficit budgétaire pour 2011 et 2012, un délai d’une année (de 2014 à 2015) est exigé pour le ramener de plus de 12% (ou plus de 30% si l’on inclut le coût de sauvetage des banques) à fin 2010 à 3%. Le report serait décidé en 2013 si nécessaire, au regard des progrès accomplis pour consolider les finances publiques.

Un accord de principe avait déjà été donné par la Commission européenne à la fin de l’année dernière, au prix d’un engagement à réduire drastiquement les dépenses publiques. Par ailleurs, une baisse du taux de 5,8% appliqué à la partie européenne de l’aide financière internationale (45 milliards d'euros sur un total de 85milliards accordé conjointement par l'UE et le FMI) est réclamée. Enfin, la recapitalisation du système bancaire irlandais ne reprendrait qu’après l’été et la publication des résultats des tests de résistance. Leur déroulement est prévu à la fin du mois de mars. Précisons que les stress tests conduits l’année dernière n’avaient pas détecté les difficultés des établissements irlandais. Le nouveau gouvernement a, en effet, annoncé mettre un terme immédiat aux transferts d’actifs financiers vers la National Asset Management Agency, la banque de défaisance des actifs toxiques bancaires, créée en 2009, estimant que ses opérations ne contribuaient pas à améliorer la confiance des marchés, que ce soit dans le système bancaire irlandais ou dans l’état souverain.

En outre, la recapitalisation recommencerait à la seule condition qu’elle ne provoque pas d’abaissement de la notation souveraine de l’Irlande. Décider de surseoir définitivement à tout renflouement de ses banques semble peu probable, dans la mesure où une telle décision entraînerait une détérioration des ratios prudentiels du système bancaire déjà en difficulté, un gonflement de ses pertes et de celles des porteurs de dette senior bancaires. A contrario il s’agit probablement d’une manœuvre d’intimidation pour forcer la main des partenaires européens qui préféreront, sans nul doute, renégocier les conditions de l’aide internationale accordée à l’Irlande plutôt que de risquer une nouvelle crise systémique.

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