par Frédéric Buzaré, Responsable de la gestion Actions de Dexia AM
Le maintien de la politique monétaire mondiale actuelle constitue le plus important et le plus puissant moteur de la performance des marchés financiers. La première conférence de presse de la Réserve fédérale a apporté la confirmation, si besoin était, que la Fed va poursuivre sur la voie d’une politique monétaire extrêmement accommodante lorsque le programme de rachats d’obligations arrivera à son terme, le 30 juin 2011.
En conséquence, la réaction des marchés financiers à la déclaration du comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed et à la conférence de presse de son Président a été simple et immédiate. La réaction réflexe a consisté à vendre du dollar et acheter des actifs réels afin de se prémunir quelque peu contre l’inflation. Parmi ces actifs, l’or et le pétrole se taillent une place de choix. On devine en outre la volonté de la Fed d’instaurer un régime d’inflation qui permette l’érosion de la charge de la dette, sans déclencher de crise financière. La quadrature de ce cercle commence à devenir subtile.
Les marchés des actions se sont montrés très résistants face à l’augmentation des risques. Qui aurait imaginé, en décembre 2010, que les indices boursiers afficheraient en avril 2011 une progression de près de 10 % depuis le début de l’année, alors que le baril du pétrole s’envolait à 125 dollars et que la crise de la dette souveraine faisait à nouveau rage ? Les marchés des actions sont-ils vraiment inconscients ? Ils sont au moins complaisants.
Les investisseurs tendent à être complaisants lorsqu’ils investissent dans les actions par défaut, sans prise en compte du risque encouru.
En fait, les marchés des actions sont de plus en plus corrélés à la dépréciation du dollar et à l’excès de liquidités qui balaye les risques et les peurs. Les investisseurs semblent heureux de prendre des risques. Ce qui nous frappe, c’est que le principal élément déclencheur ait été la garantie donnée par la Fed que sa politique accommodante serait maintenue malgré des doutes quand au bien-fondé du deuxième tour d’assouplissement quantitatif (QE2). Malgré le durcissement de ton de plusieurs officiels, la Fed semble satisfaite de conserver une position accommodante. Il s’ensuit une faiblesse du dollar aux accents alarmants. Le dollar US pondéré par la balance commerciale réelle est retombé à son niveau plancher enregistré après Bretton Woods. Compte tenu des anticipations selon lesquelles il est peu probable que la Fed relève ses taux prochainement, le carry trade sur le dollar US peut se poursuivre.
Pour l’heure, le fléchissement du dollar US et du yen va certainement continuer à alimenter l’afflux d’argent vers les actifs risqués. Mais un effondrement désordonné du dollar US a peu de chance de se traduire par un effet positif sur les marchés. D’aucuns prétendent que le marché signale déjà à la Fed que sa position est bien trop accommodante. Même si les positions sur les actifs à risque demeurent d’actualité pour l’heure, les prochaines semaines devraient nous dire si cette tendance peut s’avérer durable.
La meilleure illustration du phénomène des liquidités qui fonctionnent comme un atout pour apaiser les craintes réside dans la déconnexion entre les indices boursiers et l’indice des surprises économiques. Cette décorrélation s’est même accentuée ces derniers temps.
Cela signifie que soit les acteurs du marché ont de plus en plus confiance dans la capacité de la croissance mondiale à s’autoalimenter, soit que la croissance économique n’est plus le principal moteur des marchés des actions. Il est utile de garder à l’esprit que les reprises après une récession due à une crise financière ont tendance à être plus lentes et plus sujettes à des épisodes de volatilité. Après avoir atteint des hausses records, les principaux indicateurs ont commencé à fléchir conformément au cycle naturel. Les investisseurs considèrent cette réponse comme une pause dans la reprise et ne voient pas la hausse des matières premières comme une menace qui pèserait sur celle-ci. Ils tirent un réconfort du fait que les chiffres du premier trimestre n’ont pas vraiment mis en évidence d’impact significatif lié à la hausse du coût des intrants. Néanmoins les investisseurs risquent d’être confrontés à de nouvelles statistiques décevantes à court terme car les cours élevés du pétrole finiront par peser sur les dépenses des ménages. Alors que ce n’était pas visible dans les chiffres du premier trimestre, cela sera le cas au 2è ou au 3è, compte tenu du décalage habituel.
Dans ce contexte, les décideurs politiques se concentrent sur l’inflation. L’inflation apparente a augmenté pour regagner ses niveaux d’avant la crise sur les marchés développés alors que l’inflation sous-jacente demeure sous contrôle. Cependant, les prix de l’énergie et des denrées alimentaires risquent de subir prochainement les chocs de l’offre qui pourraient faire partir à la hausse l’inflation apparente. Néanmoins, au final, l’envolée du cours du pétrole se traduirait par un ralentissement de la croissance. Un tel environnement est propice aux décisions erronées si les pressions inflationnistes sont temporaires et que la croissance s’avère très sensible aux taux d’emprunt.
La grande question qui se pose à présent à court terme est celle de savoir si nous devrions redouter la fin du QE2, prévue pour fin juin. Ce deuxième programme d’assouplissement quantitatif a soulagé les marchés des actions de manière décisive depuis l’été dernier. Les derniers points d’inflexion des actions américaines ont coïncidé avec le début et la fin du premier programme d’assouplissement quantitatif. De même, les actions japonaises ont dévissé en 2004 lorsque l’intervention sur les marchés de change a cessé et une nouvelle fois, en 2006 au terme d’un tour d’assouplissement quantitatif. La fin des programmes japonais et américain (QE1) ont été autant de catalyseurs désastreux pour les valeurs financières et certaines valeurs cycliques. Nous ne serons donc pas surpris d’observer des turbulences vers la fin du QE2. C’est notamment le cas carles investisseurs anticipent une fin en douceur du programme actuel. Une nouvelle fois, le dénouement d’une politique non conventionnelle demeure une tâche redoutable.
A moyen terme, la question clé demeure la stabilité et le compromis correspondant entre croissance et inflation. Les pressions déstabilisantes qui découlent d’une inflation tirée par les matières premières mondiales et de la faiblesse du dollar américain continuent d’augmenter. Nous avons besoin de davantage de signes tangibles que la croissance s’essouffle dans les pays émergents et de la preuve que l’Amérique comme l’Europe commencent réellement à sortir d’une phase de reflation monétaire soutenue. Vu que les pays émergents sont particulièrement exposés aux effets déstabilisateurs d’une inflation tirée par les matières premières, il est encore trop tôt pour tabler sur une nouvelle surperformance durable des marchés émergents.
Les spéculations vont bon train ssur la restructuration de la dette des maillons faibles de la zone euro, à savoir l’Irlande, le Portugal et la Grèce. La restructuration de la dette de la Grèce est encore très présente dans l’esprit des investisseurs. Lorsqu’on regarde les prix de marché actuels, on constate qu’une restructuration est inévitable dans un futur proche, mais ce n’est pas nécessairement la question centrale. Les conséquences involontaires de ce type d’opération sont les facteurs inconnus ou variables les plus évidents. Banques et compagnies d’assurance vont supporter des pertes économiques si les obligations d’État qu’elles détiennent sont restructurées ; par conséquent, les décideurs politiques vont agir en douceur. Ainsi, le traitement comptable à réserver à ce type d’opération est plus important et fera l’objet d’un débat intense dans les jours à venir. Nous ne savons pas si le vieil adage « vendre en mai et partir » fonctionnera cette fois, mais il est indéniable que nous ne sommes pas rassurés lorsque le marché se laisse emporter par son dynamisme ou qu’il ignore les risques. La vague de liquidités a atteint un stade où il va falloir passer à la caisse.
Une boucle de rétroaction non durable
Nous avons mentionné il y a quelques temps le parallèle entre la situation actuelle et le premier semestre de 2008. Du point de vue des matières premières, la situation est encore pire.
Non sans ironie, la faiblesse du billet vert encourage l’investissement dans les matières premières, ce qui engendre des pressions inflationnistes en Asie et contraint les banques centrales à relever leur taux. Il en résulte un afflux de capitaux spéculatifs issus du carry trade sur le dollar américain. Vu que la Chine a déjà relevé ses taux d’intérêt à plusieurs reprises et fait un usage considérable de son ratio d’obligations de réserves, les spéculations sont à la hausse pour savoir si la Chine pourrait avoir à recourir au levier ultime, qui est le compromis pour maîtriser l’inflation apparente.
Par conséquent, une boucle de rétroaction destructive et non durable entre la devise américaine, les matières premières et l’inflation est solidement en place. Cet effet de rétroaction ne peut clairement pas durer et la seule question qui se pose est : jusqu’où cela ira-t-il et à quel moment la chute du dollar, qui induit une envolée des cours du pétrole, grippera-t-elle le moteur économique, à l’instar de ce qui s’est produit au premier semestre 2008 ?
QE2, le meilleur ami des marchés
Le QE2 a joué un rôle décisif dans la renaissance des marchés des actions, comme le montre le schéma ci-dessous. Par conséquent, c’est une donnée importante pour évaluer quelle sera la situation des marchés une fois le programme arrivé à son terme. L’échantillon d’épisodes précédents à partir duquel on pourrait tirer des conclusions est relativement limité, étant donné que nous n’avons pas beaucoup de résultats, mais le premier tour d’assouplissement quantitatif (QE1) en 2009 ou l’épisode d’assouplissement quantitatif au Japon entre 2001 et 2006 ont été suivis d’un fléchissement significatif des marchés. C’est pourquoi les investisseurs s'inquiètent de la disparition de ce support d’ici une quinzaine de jours.
Un troisième tour d’assouplissement quantitatif (QE3) avait été anticipé par certains acteurs du marché en début d’année, mais cette éventualité est à présent peu probable à la suite de l’avertissement adressé par S&P concernant la note de crédit des États-Unis.
Remise en question des marges bénéficiaires record
Les bénéfices du premier trimestre ont en général surpris positivement alors que des doutes se profilaient compte tenu de l’augmentation du coût des intrants. Le rythme des révisions à la hausse de résultats ralentit toutefois considérablement. La tendance haussière repose toujours sur l’expansion des multiples et, par conséquent, sur une moindre prime de risque. Nous observons que les multiples de valorisation continuent à se resserrer en Europe, ce qui constitue une source d’inquiétude.
Même si cette contraction est parfaitement compréhensible pour plusieurs sociétés cycliques, ce n’est pas le cas, par exemple, pour Total. Le fait que les investisseurs ne soient pas prêts à payer des multiples plus élevés pour des records historiques de marges bénéficiaires est l’illustration parfaite d’un problème de durabilité. Les investisseurs remettent en question la rentabilité de plusieurs industries pour différentes raisons. Ils s’inquiètent du fait que certaines technologies et le sous-investissement menacent les confortables marges d’exploitation des opérateurs de télécommunications alors que certaines entreprises nationales ou arrivées à maturité (grandes sociétés d’exploration et de production pétrolière, services aux collectivités, concessions) peuvent être freinées par la hausse de la fiscalité. Plus généralement, le problème tient à la détérioration du régime mondial des prix et aux autres conséquences mondiales déstabilisantes des politiques de lutte contre la déflation et des mesures de soutien extrêmes.
Le débat sur le leadership de marché demeure intact. Nous avons fait un point le mois dernier sur l’impasse entre valeurs cycliques et valeurs défensives. Ce dilemme peut également être revisité sous l’angle dynamisme contre valorisation. Les valeurs défensives peuvent être assimilées à des actions de valorisation, dans la mesure où elles semblent, à première vue, bon marché.
Mais leur rentabilité étant d’ordinaire sous pression, leur performance est entravée par une dynamique bénéficiaire négative. Parallèlement, les valeurs cycliques sont soutenues par une dynamique bénéficiaire positive.
Nous posons clairement la question de la pérennité de cette tendance compte tenu de l’imminence d’une correction alors que plusieurs sociétés cycliques se négocient à des sommets en termes de marges ou de volumes. Malgré le rebond des valeurs cycliques en avril, nous avons maintenu notre position. Dans un tel contexte de marché, nous nous en tenons à notre approche prudente sur les cycliques. Nous sommes convaincus que le compte à rebours a commencé pour un certain nombre de valeurs cycliques. Nous constatons que le consensus est, la plupart du temps, excessif concernant ce segment du marché. Le seul changement que nous avons apporté à notre stratégie a été d’opter pour une vision plus positive sur les biens de consommation durable. Les craintes d’un resserrement des marges sur les fabricants de denrées alimentaires se sont avérées infondées. De nombreux investisseurs ont été trop pessimistes concernant la capacité des entreprises à protéger leurs résultats face à l’inflation du prix des matières premières. En conjuguant économies de coûts, couverture et réduction des primes sur les marchés développés, ainsi que hausses des prix sur les marchés émergents, les producteurs de denrées alimentaires sont parvenus à compenser la hausse du coût de leurs entrants. Mais confrontées à une telle situation, toutes les entreprises ne sont pas égales. Seules celles possédant un véritable pouvoir de fixation des prix, à ‘instar de Nestlé ou Danone, ont échappé aux turbulences, ce qui n’est pas le cas d’Unilever.
Au-delà de considérations sectorielles, gagnants et perdants se profilent de manière plus évidente. Une conjoncture économique difficile est la meilleure épreuve de vérité pour jauger de la capacité d’une entreprise à augmenter ses prix ou à faire les bons arbitrages entre volume et prix.
Par ailleurs, nous réalisons des prises de bénéfices sur Alcatel après ses excellentes performances et nous conservons notre surpondération à contre-courant sur les banques de détail qui sont bon marché. Au final, tout est réuni pour une volatilité des marchés à court terme et une performance des secteurs plus défensifs. A court terme, la politique pourrait voler la vedette aux résultats des entreprises dans le rôle du principal moteur des marchés. Patience et discipline sont toujours vivement conseillées.