Par Laurent Fourier, Directeur Général Région CEMA d’International SOS et Philippe Guibert, Directeur Médical des Programmes de Santé
Pour identifier le lien que font les dirigeants français entre Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) et santé à l’international, la société International SOS a mené une étude avec l’appui de TNS Sofres auprès de plus de 430 dirigeants de multinationales françaises (secteurs de l’industrie pharmaceutique, télécommunications, conseil, banque et finance, production, grande distribution…) entre le 15 février et le 6 juin 2008
Premier constat de l’étude : les dirigeants ne font pas le lien entre RSE et santé à l’international … et les responsables de la mobilité internationale non plus !
Les fonctions de direction générale et les fonctions RSE ont spontanément indiqué pour la plupart ne pas faire aujourd’hui le lien entre les deux problématiques. Ils ont désigné les responsables de la mobilité internationale, seuls jugés légitimes pour s’exprimer à minima sur la question de la santé à l’international et qui ont confirmé la déconnexion perçue entre RSE et santé à l’international. Au sein des entreprises interrogées, santé à l’international et RSE sont des chantiers qui mobilisent aujourd’hui des acteurs, des compétences, et des outils différents. Ce sont des enjeux qui se jouent et « se pensent » sur des terrains dont les frontières sont perçues strictement distinctes. Ceci y compris dans les entreprises où la réflexion sur la responsabilité sociale se traduit par des engagements formalisés et des actions tangibles, voire mesurées.
D’une manière générale, le lien réel entre santé à l’international et Responsabilité Sociale de l’Entreprise est souvent plus fort que le lien perçu.
Néanmoins, les discours enregistrés et les pratiques décrites rendent compte d’une réalité plus complexe et les pratiques ont apparemment précédé le discours. Un certain nombre d’entreprises font de la « santé à l’international responsable » comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Les différentes approchent pratiquées correspondent à des façons distinctes de concevoir la responsabilité de l’entreprise à l’égard de ses salariés, de leur entourage, et des communautés locales qui accueillent son activité. Les contraintes liées à l’activité de l’entreprise et ses caractéristiques objectives (taille, zones d’implantation, types de mobilité) orientent la façon dont le sujet est traité. Mais elles ne suffisent pas à expliquer les écarts de maturité constatés.
Deux variables clés structurent aujourd’hui les perceptions :
- La culture de la mobilité internationale de l’entreprise (ancienneté de la pratique, nombre de collaborateurs concernés et zones d’implantation choisies) d’une part,
- et l’approche générale de la santé au travail (santé « bien portant » vs. santé « bien-être ») d’autre part.
Et la combinaison de ces éléments met en évidence trois types de démarches :
- Certaines entreprises pratiquent la santé à l’international a minima : elle est une contrainte à gérer à moindre coût et à moindre risque. Elle repose sur une culture de la mobilité « stricto business ». La santé des collaborateurs en est un volet contraint par la loi et pris en charge à minima. L’intervention et par là même la responsabilité de l’entreprise sont limitées à la seule santé physique du collaborateur sous contrat. D’une manière générale, l’entreprise adopte la logique d’une gestion du risque avéré et s’investit peu dans la prévention. Autrement dit, si le lien perçu entre RSE et santé à l’international est nul, le lien réel l’est tout autant.
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A l’inverse, quelques entreprises appréhendent la santé à l’international comme un sujet et un enjeu de la responsabilité de l’entreprise. Celle-ci est convaincue que la santé dans l’entreprise, c’est la santé de l’entreprise. Sans angélisme ni naïveté, elle adopte un modèle gagnant/gagnant fondé sur une conviction profonde – la responsabilité morale de l’entreprise à l’égard de ses collaborateurs – et adossée à des moyens permettant d’évaluer les risques, de les prévenir, de les anticiper et le cas échéant de les gérer au mieux, pour l’entreprise comme pour le collaborateur. Ce dernier est une partie essentielle du capital de l’entreprise, et la santé à l’international un atout à jouer sur le terrain des ressources humaines.
L’entreprise privilégie ainsi l’accompagnement et conçoit la mobilité internationale comme un projet personnel qui se réfléchit, s’accompagne et se prépare dans le cadre d’un projet professionnel. Cette acception de la santé à l’international se pratique dans un périmètre élargi à la famille et, ponctuellement, aux communautés locales dans lesquelles le salarié exerce son activité. Elle est une application très concrète de l’exercice de la responsabilité sociale de l’entreprise.
Ce type d’entreprise pratique une approche « responsable » et « éthique » de l’exposition aux risques de santé mais l’ignore ou ne le dit pas. Ainsi, le lien réel entre RSE et santé à l’international est aujourd’hui beaucoup plus fort que le lien perçu. -
Entre ces deux approches, un certain nombre d’entreprises conçoivent la santé à l’international comme un enjeu clair de l’entreprise, mais une réflexion « encore en chantier ».
L’entreprise affiche une approche élargie de la santé, qui comprend le bien-être physique, mental et social du collaborateur et de sa famille. Toutefois, sa pratique récente de la mobilité internationale, le petit nombre de collaborateurs concernés et le périmètre géographique limité de son activité sont autant de freins à la mise en place de moyens adaptés, pertinents et suffisants.
Pour autant, l’entreprise affiche sa volonté de décliner à la santé à l’international sa vision de la santé au travail. Inscrit dans son ADN culturel, cette ambition n’est pas négociable. Elle impose en interne la mise en place d’une réflexion de fond sur la façon et les moyens de développer une politique d’accompagnement « responsable » du collaborateur en mobilité. Le lien actuel entre RSE et santé à l’international est ténu, mais il existe déjà. Or, les interlocuteurs interrogés l’ignorent. Ils mènent aujourd’hui deux réflexions en parallèle, alors que les termes de l’une sont les conditions de l’autre. -
L’enjeu pour demain : faire et « dire » le lien entre santé à l’international et RSE
D’une manière générale, le lien réel entre santé à l’international et Responsabilité Sociale de l’Entreprise est donc souvent plus fort que le lien perçu. Une redéfinition des termes de l’approche de la santé à l’international, la prise de conscience du lien existant et la formalisation de ce lien sont pourtant et sans aucun doute des enjeux majeurs pour l’entreprise, et ce à très court terme.
En effet, la mise en cohérence de la pratique RSE et des attentes des salariés de l’entreprise est un gage de crédibilité et de pertinence de sa politique RSE globale. Elle présente par ailleurs un bénéfice d’image certain, en interne auprès de ses partenaires contractuels, à l’externe auprès de ses parties prenantes indirectes.
Et il suffirait de peu de choses…
Au fil de ses 22 ans de présence sur le terrain, les pratiques et la vision d’International SOS en matière de gestion des risques de santé n’ont cessé d’évoluer afin d’anticiper et de répondre aux changements rapides du contexte international. D’une vision classique de l’assistance médicale à l’international, nous avons développé une conception élargie de la politique de santé à l’international associant santé publique, santé au travail et santé environnementale.
Des savoir-faire et outils nouveaux sont venus soutenir cette évolution et permettre une gestion globale des risques, afin de réduire, en amont, les aléas. C’est donc le terrain qui de notre point de vue a montré le lien entre Santé à l’international et RSE.
Et aujourd’hui nous souhaitons susciter un débat interentreprises sur le lien RSE – Santé à l’international.