par Valentijn van Nieuwenhuijzen, Directeur de la Stratégie, ING Investment Management
Depuis l’émergence de la crise du crédit en 2008, de nombreuses choses qui “n’étaient pas supposées se passer” se sont bel et bien réalisées. On a ainsi pris conscience que les prix immobiliers pouvaient baisser, que l’évaluation des risques par les banques (ou d’autres institutions financières) et les agences de notation pouvait se révéler complètement erronée, que les cycles économiques pouvaient toujours flirter avec les dépressions et que le papier d’État des pays développés pouvait ne plus être sans risque.
La crise financière persistante, dont l’actuelle crise souveraine n’est qu’un chapitre de plus, nous a appris que les outils de politique économique et financière et les théories les sous-tendant ne sont pas tout-puissants pour modérer le cycle économique et pour éviter les chocs déstabilisant le système. Bref, nous avons été brutalement sortis du rêve d’une “Grande Modération” du système économique mondial et sommes désormais confrontés à un Nouveau Monde de croissance plus faible et plus volatile.
Les marchés, les autorités, les académiciens et les experts ont ainsi traversé plusieurs stades d’incrédulité et de confusion au cours des trois dernières années. Les convictions profondes ont dû être réévaluées et des politiques élaborées à la hâte et de nouvelles théories ont été nécessaires pour éviter le pire. Maintenant qu’ils sont entrés de plein pied dans la nouvelle réalité, nombre d’entre eux sont toujours quelque peu étourdis, simplement épuisés ou les deux.
Dès lors, il n’est probablement même pas étonnant que la volonté des autorités à trouver des réponses sophistiquées aux questions difficiles que pose la crise actuelle de la dette s’érode. Il n’empêche qu’une approche simpliste est très risquée compte tenu de la fragilité persistante du système économique mondial. Ceci est susceptible d’entraîner des coûts significativement plus élevés pour résoudre les problèmes d’endettement et de miner les perspectives de croissance.
La simplification troublante souvent faite en ce qui concerne les problèmes bilantiels est qu’un excès de dettes à un certain endroit ne peut être résolu par l’ajout de dettes à un autre endroit. Bien qu’elle soit intuitivement compréhensible, cette vue ne tient pas compte du fait que les problèmes d’endettement sont d’abord et surtout des problèmes de distribution et non le problème global d’un excès de dettes pour tout le monde. La dette d’un individu correspond en effet toujours à la créance d’un autre.
Toutefois, d’importants déséquilibres bilantaires entre des secteurs et des pays provoquent des “problèmes” d’endettement en paralysant les acteurs surendettés (consommateurs américains et britanniques, banques, gouvernements périphériques) et en créant parallèlement des incertitudes quant à la volonté des créanciers (entreprises, cœur de l’Europe, Japon, marchés émergents) de continuer à utiliser leur pouvoir d’achat potentiel.
Ceci résulte de la perspective d’une faible demande finale ou de risques de contrepartie dans le système en raison d’importantes concentrations de dettes.
Si tous les agents économiques s’efforcent de réduire leur endettement et diminuent leurs dépenses en même temps, la seule chose qui se passera, c’est que la demande chutera, que l’économie se contractera et que les revenus s’effondreront. Les déséquilibres d’endettement n’en diminueront pas pour autant. L’une des conséquences les plus étonnantes de la crise financière persistante, et en particulier de la crise des subprimes américains et des péripéties de la crise souveraine grecque, est la conviction de plus en plus répandue que la seule issue pour tous ceux qui sont endettés est de se serrer la ceinture de façon simultanée. Ceci pourrait fonctionner si les acteurs non endettés étaient prêts à prendre le relais en matière de dépenses. Dans le cas contraire, un retour en récession est pratiquement assuré.
Dans l’espoir d’éviter cette dernière issue, certains ont suggéré que l’austérité budgétaire est susceptible d’entraîner une expansion économique étant donné qu’elle peut dynamiser l’activité du secteur privé en restaurant la confiance des entrepreneurs. L’expérience montre toutefois que l’austérité budgétaire ne s’accompagne d’une accélération de la croissance que si elle est compensée par un repli des primes de risque sur les marchés obligataires locaux, une forte dépréciation de la devise, une hausse de la demande externe ou une combinaison de ces éléments. Une nette amélioration de la confiance des entrepreneurs ou des consommateurs en l’absence de l’un de ces développements a rarement été observée.
Pour nombre de pays ayant déjà adopté des mesures d’austérité ou en envisageant, il semble difficile d’enclencher ne fût-ce qu’une de ces dynamiques. Traumatisés par la tragédie grecque, de nombreux spécialistes avancent néanmoins qu’une austérité immédiate n’est pas seulement nécessaire pour la Grèce, mais aussi pour les économies qui ne sont pas encore confrontées à des risques de financement ou à des pressions considérables de leur marché obligataire pour qu’elles assainissent leurs finances publiques.
Les pays du «cœur» de la zone euro tombent dans cette catégorie, mais à vrai dire le Royaume-Uni, le Japon et les États-Unis aussi. Tous ces pays sont confrontés à de sérieux défis de solvabilité à long terme, lesquels sont essentiellement liés à des tendances démographiques et aux coûts des soins de santé et des pensions qui en résultent. Des hypothèses trop optimistes relatives à la maîtrise des coûts (santé) et aux rendements des investissements (pensions) jouent également un rôle à cet égard, mais il n’empêche qu’il s’agit de façon générale de problèmes à long terme.
Les vastes déficits budgétaires que nombre de ces pays affichent actuellement résultent en revanche largement de la récession la plus sévère depuis la Grande Dépression et de la faiblesse de la reprise qui a suivi. Dans le même temps, une grande partie du secteur privé reste soit incapable d’augmenter ses dépenses (contraintes bilantaires), soit peu encline à le faire (manque de confiance dans la demande future). Par conséquent, si le gouvernement n’est pas disposé à soutenir l’économie à court terme, il est très improbable que les perspectives de croissance s’amélioreront miraculeusement à moins que le conte de fées de l’austérité budgétaire ne se matérialise cette fois.
L’approche la plus réaliste serait dès lors de ne pas compter sur les miracles expansionnistes de l’austérité, mais de combiner des stimulants à court terme et une restructuration à long terme crédible afin d’être en mesure de financer les plans de santé et de pension.
En se fiant au conte de fées de la confiance et en priant pour que les entreprises riches en liquidités commencent à engager et à investir parce qu’elles sont satisfaites de l’austérité à court terme, le risque augmente que les gouvernements ne fassent fausse route. C’est ce qui semble s’être déjà passé en Grèce : l’austérité drastique a tellement miné l’économie domestique que les recettes publiques ont chuté et que les objectifs de la consolidation budgétaire n’ont pas été atteints.
Les perspectives ne sont pas brillantes non plus pour les États-Unis, la zone euro et le Royaume-Uni. En dépit de la reprise qui a déçu par sa faiblesse, le débat relatif à la politique budgétaire ne porte que sur la taille du resserrement budgétaire à court terme, et non sur l’opportunité du resserrement lui-même. Comme déjà évoqué, le défi de la solvabilité à long terme doit être relevé dans toutes ces économies, mais ceci doit se faire via des mesures à long terme sans trop pénaliser la croissance économique au cours des 12 à 18 prochains mois. Étant donné que ceci n’est pas réalisé de façon suffisante, les risques cycliques à court terme ont augmenté. Espérons que les raisonnements de conte de fées des autorités prendront fin assez rapidement pour éviter un nouveau ralentissement économique. Pour l’instant, ceci n’est toutefois qu’un espoir car les faits ne pointent pas dans cette direction.