par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Ce n’est pas la première fois que les banquiers centraux sont obligés de faire volte-face depuis le début de la crise financière en 2008 : tout le monde se souvient de la hausse de taux de 25pb de la Banque Centrale Européenne le 3 juillet 2008, assez largement critiquée à l’époque, et qui avait été suivie de baisses de taux dès le mois d’octobre après la faillite de Lehman ; la Réserve Fédérale s’était également exprimée sur les stratégies de sortie de la politique monétaire à taux zéro à l’été 2010 avant de décider finalement d’une deuxième vague de quantitative easing fin août 2010.
L’année 2011 ne fera pas exception : au printemps la BCE et la Fed ont recommencé à communiquer sur les stratégies de sortie (« exit strategies »), la BCE passant même le cap du passage à la normalisation de sa politique monétaire en augmentant deux fois le taux refi de 25pb, en avril puis en juillet et en supprimant l’allocation illimitée de la liquidité à 3 et 6 mois. La Fed est restée plus timorée en ne faisant qu’exposer les différentes étapes prévues lors de sa « sortie » (arrêt des réinvestissements de MBS, retrait du « extended period »,…). Le ralentissement économique plus marqué qu’attendu, couplé à la crise financière de l’été, a rattrapé les banquiers centraux et les a contraints à changer radicalement de discours. Les politiques monétaires vont donc redevenir de plus en plus accommodantes.
Du côté de la BCE, le tournant s’opère par étapes :
- Lors du Comité de politique monétaire du 4 août, si le discours sur l’inflation et la croissance restait inchangé (risque à la hausse sur l’inflation et risque équilibré sur la croissance), la BCE annonçait l’extension de la période d’allocation illimitée de la liquidité sur les appels d’offre (MRO) au moins jusque janvier 2012 et remettait en place les allocations sur des maturités plus longues (LTRO 3 et 6 mois) pour faire face à des tensions grandissantes sur le marché interbancaire.
- Dès le début des attaques sur les dettes espagnole et italienne, la BCE a réactivé le SMP (Securities Market Programme) en achetant massivement des titres obligataires de ces deux pays de façon à maintenir leurs taux à 10 ans proches de 5%. Le SMP a atteint 129Md€ début septembre.
- Devant le Parlement européen le 29 août, JC Trichet annonçait que l’appréciation du risque inflationniste était sous revue, un moyen de préparer le marché à l’abandon du biais haussier lors du Comité suivant.
- En conséquence sans surprise, la BCE modifie significativement son appréciation des risques sur l’économie de la zone euro le 8 septembre : si la politique monétaire est toujours jugée « accommodante », les risques sur la croissance sont maintenant orientés à la baisse alors que les risques sur l’inflation sont équilibrés, ce qui modifie considérablement la donne. Si JC Trichet n’annonce pas de baisse de taux, elle est déjà pricée par le marché…De notre côté, nous maintenons notre scénario de statu quo. Aux Etats-Unis, les stratégies de sortie ont été remplacées par les différentes options encore à la disposition de la banque centrale : la communication pour guider les anticipations des agents ; la baisse du taux d’intérêt sur les réserves excédentaires ; la modification ou l’augmentation du bilan de la banque centrale, en d’autres termes la mise en place d’un QE3.
- La première option a déjà été utilisée dès le 9 août avec la précision dans le communiqué que le taux des Fed funds resterait au niveau actuel au moins jusqu’à mi 2013. Cette annonce a engendré une très forte baisse des taux courts, gommant toute anticipation de resserrement monétaire sur les deux prochaines années. La deuxième option nous semble sans grand intérêt car elle n’aurait qu’un impact marginal étant donné le niveau actuel du taux (0,25%).
La dernière option, qui consiste à utiliser le bilan banque centrale, risque fort d’être annoncée au prochain comité les 20-21 septembre. Si une augmentation du bilan nous semble peu probable en septembre étant donné l’opposition de plusieurs membres (trois dissidents au dernier meeting), la modification du bilan, consistant à augmenter sa duration en achetant des titres de plus grande maturité ou à faibles coupons, nous semble presque acquise. Le but serait de maintenir les taux bas sur la partie longue de la courbe et inciter les investisseurs à retourner sur des actifs plus risqués…Il n’est pas sûr que cela apporte beaucoup de soutien à la croissance mais à ce stade, quelques dixièmes de point de PIB sont toujours bons à prendre.