par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique, et Olivier de Larouzière, directeur de la gestion obligataire euro chez Natixis Asset Management
L’environnement macroéconomique actuel confirme les craintes de ces dernières semaines : la zone euro est probablement entrée en phase de récession. À ce titre, les résultats définitifs de la dernière enquête PMI ont été révisés en baisse significative par rapport à la première estimation flash, ce qui montre la rapidité de cette dégradation conjoncturelle. Cette situation détonne défavorablement avec le reste du monde.
Aux États-Unis, les signaux sont plus hétérogènes mais ne révèlent pas spontanément de risques de rupture. Les entreprises ne sont pas optimistes mais elles continuent d'investir. En revanche, les ménages semblent préoccupés, notamment par la question de l'emploi. La faible progression de celui-ci traduit une croissance réduite. Le principal risque pour l’économie américaine réside dans sa vulnérabilité à un choc exogène en modifiant spontanément les comportements. Ce pourrait être notamment le cas si on assistait à une hausse rapide du prix du pétrole en cas de conflit au Moyen- Orient.
Quant aux pays émergents, la situation reflète une consolidation de la reprise rapide. Ces économies ont besoin de souffler. Le point important est que l'impulsion qu'elles engendraient sur le commerce mondial est moins forte et ne permet plus de soutenir l'activité des pays industrialisés. C'est en cela que la situation des pays émergents est cruciale à court terme. Si ce support s'affaiblit, les pays industrialisés ne peuvent plus compter que sur leur dynamique interne qui est insuffisamment robuste en raison d'un marché du travail qui tarde à s'ajuster. Se pose, dans ce cadre, la question d'une politique budgétaire restrictive visant à réduire les déficits publics. Le risque est d'accentuer le ralentissement de l'économie surtout si l'ajustement porte principalement sur les ménages.
Que peut-on attendre de la BCE ?
La baisse des taux directeurs de la BCE de 1,5 % à 1,25 % le 3 novembre dernier, a constitué une surprise. Nous pensions que celle-ci aurait lieu le mois prochain, pour des raisons de crédibilité de du nouveau président de la BCE : Mario Draghi. De ce point de vue, ce dernier nous semble plus "américain" que Jean-Claude Trichet, plus réactif et il semble enclin à aller plus loin que lui. Son discours est par ailleurs plus clair, plus explicite, et paraît globalement mieux perçu.
Au-delà de la baisse des taux qui interviendra, pour la prochaine, très certainement en décembre, Mario Draghi doit s'engager à maintenir les taux d'intérêt de la BCE très bas très longtemps afin d'infléchir les anticipations des acteurs de l'économie. La Fed s’étant engagée à maintenir des taux très bas [0 ; 0,25 %] jusqu'à la mi-2013 au moins, la BCE doit donner des signaux similaires.
Ce serait la seule façon de favoriser le retour de la croissance via le maintien de taux très bas, et favoriser la dépense aujourd'hui plutôt que de la reporter dans le temps. Cela pourrait aussi peser sur la parité et redonner davantage de compétitivité aux pays européens. Ces facteurs permettraient de retrouver une dynamique de croissance plus solide.
À court terme, nous pensons donc que les taux directeurs de la BCE seront abaissés jusqu’à 1 % (soit leur niveau d’avant le 7 avril 2011).
Deux questions restent en suspens :
- Les taux peuvent-ils descendre encore plus ? Nous pensons que oui.
- Comment la BCE pilotera-t-elle l’Eonia (via le taux de la facilité de dépôt) par rapport à son taux de refinancement ? Deux scénarios : soit le taux de refi est à 1 % et l’Eonia plus bas ; soit le taux de refi tombe à 0,25 %, avec un Eonia calé sur le taux de refi. Autrement dit, la question est de savoir si la BCE cherchera à créer une situation de dépendance ou non comme cela avait été mis en place par Jean-Claude Trichet (Eonia beaucoup plus bas que le refi). En l’absence d’indications de la part de Mario Draghi, cette question reste posée.
Sur un plan plus général concernant la crise actuelle de la zone euro, l’interrogation porte sur le point suivant : si par le passé, durant les crises, il faisait peu de doute que la croissance repartirait, cela est moins évident désormais. La crise permettait auparavant d'arranger quelques questions institutionnelles afin de faciliter et d'accélérer le retour de la croissance. Aujourd'hui, la question est posée différemment : si la croissance n'est pas assurée, quel doit être le cadre institutionnel nécessaire pour faire fonctionner la zone euro ?
C'est en cela que la crise est inédite. Des perspectives de croissance insuffisantes engendrent des trajectoires divergentes sur les indicateurs d'activité. Cela s'observe notamment sur le taux de chômage : très faible en Hollande et en Autriche, contre plus de 22 % en Espagne alors qu’avant la crise, les profils des taux de chômage étaient comparables. S'il n'y a pas une croissance suffisante, le cadre institutionnel doit être profondément renouvelé pour éviter que les forces centrifuges ne fragilisent la construction de la zone euro.
Le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) ne renouvelle pas le cadre institutionnel, il prolonge l'ancien.
Il est probable que dans la phase de transition, la BCE ait un rôle majeur à jouer pour prendre à sa charge une partie du risque de marché. Cela déchargerait les autres acteurs de l'économie de ce risque passif et leur permettrait d'en prendre pour relancer l'économie. Ce changement ne sera pas aisé car l'Allemagne s'y oppose et parce que la BCE est pour l'instant plutôt passive dans son comportement d'achat d'actifs. Elle ne souhaite pas qu'un programme d'achat d'obligations d'État sur un pays n'incite plus celui-ci à mettre en place les réformes pour soutenir et faciliter la reprise de la croissance.
Les annonces de François Fillon seront-elles suffisantes ?
Les efforts budgétaires évoqués lundi 7 novembre matin par François Fillon (7 Mds€ en 2012) seront insuffisants au regard d’une hypothèse de croissance de + 1 % qui est excessive. En réalité, il aurait fallu 10 Mds€ (+ 1 % de croissance en moins génère 10 Mds€ de déficit en plus). Par ailleurs, la principale source d’ajustement envisagée est d’ordre fiscal et portera principalement sur les ménages. Il n'est pas sûr que cela permette un renforcement des dépenses des ménages.
La mesure n'est sûrement pas neutre sur la croissance. Les grands engagements en matière de dépenses sont limités ; ultime arme après les élections de mai 2012 si nécessaire ?
Le problème grec est-il derrière nous ?
Le référendum a été annulé au profit de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, préalable à des élections générales au mois de février 2012. Dans ce contexte, l’ancien vice-président de la BCE Loukás Papadémos (de centre droit) pourrait devenir le prochain premier ministre. Dans l’immédiat, néanmoins, l’objectif est que le gouvernement de transition valide rapidement les engagements pris par le gouvernement sortant et permette ainsi à la zone euro d'avancer dans la résolution des problèmes posés.
Difficile à comprendre et à déchiffrer a priori, l’annonce de ce référendum répondait en réalité à un double jeu de politique interne et externe. C’était la dernière carte à jouer pour Geórgios Papandréou, dont la décision d’annuler cette mesure a finalement écarté le risque d’une rupture rapide et unilatérale du le processus politique et institutionnel en cours.
C’est d’ailleurs tout le problème de la situation actuelle : les politiques ont besoin de temps pour organiser le défaut et permettre aux investisseurs de se désensibiliser à l’égard de cette éventualité. Ce fut le cas il y a 10 ans avec l’Argentine, dont l’annonce du défaut, largement anticipée, n’avait pas eu d’impact. Or aujourd’hui, en dépit de toutes les récentes avancées, les marchés ne sont pas à l’abri d’un coup d’éclat, qui viendrait mettre à plat les progrès accomplis, changeant soudainement les règles du jeu et créant de l’incertitude. C’est tout ce que détestent les investisseurs. Mais retenons ceci : le risque d’une sortie unilatérale de la Grèce du processus en cours paraît écarté pour les mois à venir, tandis que le défaut est en train de s’organiser. Pour cette raison, le risque spécifique lié à la crise grecque est moins un sujet à très court terme pour les marchés, surtout relativement au sujet italien.
Quid de l’Italie ?
Le vrai problème pour la zone euro est maintenant devenu l’Italie. D’un côté, la BCE n’achètera pas massivement de la dette italienne tant que les mesures budgétaires annoncées ne seront pas effectivement implémentées. De l’autre côté, la communauté internationale, tout comme les investisseurs, doutent de la capacité de Silvio Berlusconi à appliquer ces mêmes mesures annoncées. Ce dernier n’ayant plus de majorité au parlement italien, il pourrait néanmoins partir rapidement.
La situation italienne étant proche de celle de la Grèce il y a quelques jours, lorsque le comportement d’un seul individu grippait tout progrès, créant une incertitude insupportable pour les marchés. Tout le monde attend l’annonce d’un nouveau gouvernement et que les engagements pris soient crédibles. Une institution, telle que la BCE pourrait intervenir pour réduire les tensions sur la dette. Mais la situation se distingue fondamentalement du cas grec sur un autre point : compte tenu de l’importance relative de la dette italienne, un incident de crédit sur le souverain signifierait la fin de l’euro. Le risque n’est donc plus spécifique. Il est résolument systémique.
C’est pourquoi la BCE joue un rôle croissant dans cette crise. D’un côté, elle n’a pas d’autre choix que d’acheter de la dette italienne, même si ce n’est pas son rôle. En prenant le risque souverain à son compte et en gonflant son bilan (ce qui n’a objectivement rien de grave), elle donne les moyens au secteur bancaire de prendre du (bon) risque ailleurs et de soutenir réellement l’économie. L’annonce par BNP Paribas de la réduction de son exposition à la dette italienne à hauteur de 40 % va dans ce sens. De l’autre côté, la BCE exerce une pression croissante sur Silvio Berlusconi pour éviter tout aléa moral et toute incertitude sur le parcours budgétaire du pays. Et la situation est pressante. Le 10 ans italien s’échange à 6,70 %, alors que nous avons observé dans le cas de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande une accélération lorsque le taux 10 ans franchit 7 %.