UEM : le coût de la nouvelle Pax Europaea

par Frederik Ducrozet et Paola Monperrus-Veroni, économistes au Crédit Agricole

Engagée dans une stratégie de sortie de crise fondée sur la consolidation des bilans publics et privés, ainsi que dans un débat sur sa future gouvernance qui alimente les comportements prudentiels la zone euro ne parvient pas à sauver sa croissance. Cette dernière se plie sous l’effet du ralentissement de l’économie mondiale, tirée par une périphérie qui dérape dans une trappe à austérité. Mais la relative tenue des pays du centre et une BCE qui joue le jeu parviennent à limiter l’ampleur de la récession.

Croissance : le nouveau Graal

Alors que la panique s’est emparée de tous les agents au cours des mois d’automne et que la bascule du risque récessif vers la zone euro a rendu évidente la contamination à la sphère réelle, les chiffres de la croissance au troisième trimestre se sont montrés encore rassurants (+0,2% t/t). Certes, les éléments suggérant un rebond après un deuxième trimestre en demi-teinte (+0,2%) avaient été largement anticipés : la normalisation des conditions d’approvisionnement en composants en provenance du Japon, le contre-choc pétrolier, le sursaut de la consommation en France et en Allemagne. Et en dépit de leur chute, le niveau des enquêtes de confiance dans la zone euro au troisième trimestre restait compatible avec une croissance positive, mais modeste. Depuis, étant donnée leur vitesse de dégradation en fin d’année, le risque d’une croissance négative au dernier trimestre a clairement augmenté. Certes, les décisions de production, d’achats et d’investissement pour la fin de l’année étaient déjà largement engagées lors de la dégradation des opinions, mais des comportements attentistes du côté des stocks et de la consommation peuvent faire franchir la ligne de démarcation entre un scénario de croissance très molle, et un scénario de plongeon en récession qui est aujourd’hui le nôtre.

La réaction immédiate du marché du travail reflète bien la transformation des anticipations auto-réalisatrices en comportements prudentiels, alimentés par l’incertitude sur les enchaînements délétères entre les marchés financiers, les finances publiques, le secteur bancaire et in fine l’activité réelle, en l’absence d’une claire réponse de politique économique. La lente remontée du taux de chômage depuis le creux du mois d’avril à 9,9%, s’est accélérée depuis la fin de l’été, le portant en octobre à 10,3%, un niveau qui dépasse le pic atteint lors de la grande crise. Si le taux de chômage continue de baisser en Allemagne et en Belgique, la hausse s’étend néanmoins à des pays à faible taux de chômage, tels que les Pays-Bas et l’Autriche, et est très rapide en Espagne et en Italie. Cette prompte réponse des entreprises en termes de destructions d’emploi, avec une succession d’annonces de plan sociaux tient plus, pour le moment, au climat de forte incertitude ambiant, qu’à l’évolution de leur situation économique et financière ou qu’à l’état de la demande qui leur est adressée.

Cependant, même si la phase de reprise qui vient de s’interrompre a permis globalement une remontée du taux de marge des entreprises dans la plupart des pays du centre, le processus de redressement de la profitabilité n’est pas pour autant achevé et le retournement rapide du cycle de productivité va nécessairement mettre une grande pression sur la progression de la masse salariale. La stabilisation du taux d’endettement des entreprises sur un niveau assez élevé les rend par ailleurs vulnérables à tout durcissement des conditions de crédit. D’autant plus que l’amélioration du taux d’auto-financement a été limitée et que le potentiel de financement extérieur sur les marchés des capitaux est faible, étant donné les turbulences actuelles synonymes de prix bas et de primes de risque élevées. La capacité des entreprises à maintenir les travailleurs dans l’emploi, par des mesures de chômage partiel, comme cela a été fait en 2009, paraît aujourd’hui limitée, les marges de manœuvre des États étant trop serrées pour permettre de nouveau un co-financement du dispositif.

Pour autant, notre prévision se fonde sur un ajustement de l’activité qui ne se chiffre pas dans les mêmes ordres de grandeur qu’en 2009. Si le risque d’une crise de liquidité est tout aussi latent, les importantes surcapacités de la fin des années 2000 ont été largement épurées. En France, où le niveau d’investissement n’a pas retrouvé celui d’avant la crise, les entreprises ont des besoins d’investissement, de renouvellement et de modernisation importants. En Allemagne, en dépit du repli récent du taux de marge des entreprises, ce dernier n’en reste pas moins à un niveau historiquement élevé, tout comme le taux d’auto-financement, alors que le taux d’investissement reste encore en deçà de son niveau d’avant crise. Un déstockage massif est aussi à exclure, même en prenant en compte la forte accumulation en début d’année.

Dans les pays de la périphérie et en Italie, où l’écart de production creusé par la crise reste profond, l’excès de capacités persistant implique un ajustement plus marqué de l’emploi. L’aggravation du chômage va s’accompagner d’un net durcissement des conditions d’octroi du crédit, le système bancaire étant pris en étau entre une plus faible progression, voire une baisse de la collecte, des difficultés de (re)financement et des fragilités bilanciels liées à leur forte exposition au souverain. Aussi, la résistance des revenus salariaux au centre n’est pas reproductible, non seulement dans la périphérie où la déflation salariale est déjà actée, mais aussi en Italie. L’incertitude pesant sur l’évolution de l’emploi et des salaires, ainsi que sur la richesse financière détenue par les ménages, devrait se traduire par des comportements d’extrême prudence synonymes de moins de consommation et de ralentissement de la dégradation du taux d’épargne.

La zone euro n’échapperait donc pas à la récession (+0% en 2012, +1,2% en 2013) avec deux trimestres consécutifs de croissance négative au tournant de l’année. Le risque est, par ailleurs, baissier si le cercle vicieux entre aggravation de la crise de la dette souveraine, stress sur le secteur bancaire, resserrement violent du crédit et forte récession venait à se matérialiser. Malgré les atermoiements politiques actuels, le pari est que les autorités vont finir par délivrer une réponse crédible à la crise capable de rassurer les marchés et de sauvegarder à tout prix l’intégrité de la zone euro, avec l’aide sans doute de la BCE.

 BCE : le champ des possibles

La BCE a répondu aux derniers épisodes de tensions financières et à la forte détérioration des perspectives économiques. La partie « facile » a consisté à baisser ses taux par deux fois, en novembre et en décembre, à 1,0%. Les justifications à ce retournement n’ont pas manqué, avec des prévisions du staff de la BCE suggérant une récession et des risques toujours baissiers. Nous prévoyons un taux directeur à 0,50% d’ici mars 2012, compte tenu des risques baissiers sur l’activité, les agrégats de monnaie et de crédit. Par ailleurs, l’inflation est restée plus élevée que prévu sur la période récente, mais les risques à la baisse sur la stabilité des prix pourraient bien l’emporter sur les risques haussiers, si les conditions d’activité se détériorent fortement.

Dans le même temps, la BCE a annoncé une série de nouvelles mesures de soutien à la liquidité pour contrer les tensions sur le refinancement des banques, y compris de nouveaux appels d’offres à très long terme (36 mois), un assouplissement considérable des règles d’éligibilité des collatéraux, un deuxième programme de rachats de covered bonds, et une baisse coordonnée du coût de la liquidité offerte en dollars. Ces mesures ne seront pas utiles pour résoudre les questions de solvabilité, mais elles devraient soulager les craintes liées aux besoins de refinancement des banques potentiellement considérables en 2012.

Quant à la partie « sensible », nous attendons de la BCE un soutien continu aux marchés obligataires souverains sous différentes formes. Les mouvements de contagion de la crise ont atteint les pays «semi-core» et même «core-core» comme l’Allemagne. En conséquence, les investisseurs se sont donc tournés vers la BCE comme seul prêteur en dernier ressort, capable de soutenir un marché obligataire périphérique de 3 000 Mds €. Un programme massif de Quantitative Easing (i.e., des rachats massifs non stérilisés) reste peu probable à court terme, à moins de faire face à un risque immédiat d’éclatement et de catastrophe financière, mais la BCE peut et doit en faire davantage tout en maintenant une dichotomie entre sa communication et ses actes. Elle devrait poursuivre, sinon accélérer ses rachats de dette sur le marché secondaire (programme SMP).

Au-delà, les conditions nous semblent désormais réunies pour que la BCE adopte une attitude plus pro-active dans son soutien au marché. Suite au sommet européen du 9 décembre, au cours duquel les États-membres de la zone euro se sont notamment engagés à adopter des règles budgétaires plus strictes, la BCE pourrait signaler un soutien plus explicite au marché obligataire aussi longtemps que les canaux de transmission de la politique monétaire seront affectés par la crise. In fine, le moyen le plus crédible et le plus efficace de court-circuiter la contagion reste, selon nous, de laisser la BCE financer des interventions sur le marché primaire via un véhicule ad hoc utilisant également des fonds de l’EFSF, du FMI et/ou de la BEI. Pour qu’une telle décision soit prise, il faudra probablement que la situation se détériore davantage, comme souvent en Europe.

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