La Russie n’est pas (encore) l’Egypte

par Maarten-Jan Bakkum, Stratégiste Senior Marchés émergents chez ING Investment Management

Il a fallu du temps, mais les flux de capitaux vers les marchés émergents sont désormais devenus négatifs. Au total, les sorties de capitaux dépassent dorénavant les entrées de capitaux. Les chiffres avaient été positifs de justesse au troisième trimestre, mais une tendance baissière manifeste s’est dessinée au cours de ces derniers mois. La crise de la zone euro, les pressions accrue sur les banques tant en Europe qu’aux États-Unis et la perspective d’une modeste croissance mondiale ont entraîné des rapatriements de capitaux européens et américains.

Durant la décennie écoulée, le monde émergent a bénéficié de près de EUR 2.000 milliards d’entrées de capitaux. Ce chiffre élevé résultait d’importants flux d’investissements en provenance des États-Unis et de l’Europe, mais aussi d’une faible fuite des capitaux par les entreprises et les ménages des marchés émergents. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est essentiellement une diminution des premiers flux mentionnés, une conséquence directe de la crise du crédit dans les marchés développés. On observe cependant aussi quelques cas de fuite des capitaux traditionnelle, un phénomène qui avait affecté de nombreux pays émergents durant les dernières décennies du vingtième siècle.

L’Égypte constitue le meilleur exemple. En raison de la révolte populaire qui a d’abord conduit à la démission du président Moubarak et qui secoue actuellement les bases plus larges du régime, les entreprises et les individus fortunés s’efforcent de mettre leurs actifs à l’abri. Ceci a entraîné une diminution drastique des réserves de devises étrangères du pays, lesquelles sont passées de près de EUR 50 milliards en janvier à environ EUR 20 milliards aujourd’hui. Comme les autorités sont conscientes qu’une nette dépréciation du taux de change de la livre égyptienne provoquera une hausse des prix alimentaires (parce que l’Égypte achète la plupart de ses denrées alimentaires sur le marché international), elles utilisent leurs réserves de devises étrangères pour défendre la devise nationale. Si les turbulences politiques persistent au cours des prochains mois, comme ceci est largement anticipé, une substantielle dépréciation de la livre semble probable. Or, les réserves de devises ont déjà largement diminué. Une aggravation de la crise économique est dès lors à prévoir.

Après l’Égypte, la Russie est le deuxième pays où les fuites de capitaux ont été considérables cette année. Il convient cependant de souligner que la Russie a une longue tradition de fuite des capitaux. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, il n’y a eu que quelques trimestres sans sorties de capitaux nettes. Néanmoins, l’ampleur des fuites de capitaux a fortement augmenté au cours des cinq derniers trimestres. Ceci est indiscutablement lié à la hausse des incertitudes politiques. Les élections parlementaires de cette semaine ont montré que le régime Poutine est moins solide qu’il ne l’était auparavant. Si les troubles politiques devaient connaître une escalade, les fuites de capitaux s’intensifieraient. Il est trop tôt pour mettre en garde contre une crise de la devise parce que les protestations ne datent que de quelques jours et, surtout, parce que la Russie dispose de vastes réserves financières. Toutefois, l’exemple de l’Égypte est parlant : si les fuites de capitaux s’accélèrent et si la situation politique ne s’améliore pas rapidement, les pressions sur le système financier s’intensifieront. Les leaders politiques devront alors faire preuve d’ingéniosité pour rester au pouvoir.