par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse d’Amundi AM
Le FMI a récemment rendu publiques ses prévisions, et elles sont plus pessimistes que les nôtres. La grande différence concerne la prévision sur l'Allemagne : l’organisme international s'attend à une croissance de l'ordre de 0.3%, alors que notre prévision est de 0.8%.
Quelle que soit la prévision de croissance – qu’il s’agisse du FMI, des grandes banques ou d’Amundi – l'inflation reste maîtrisée, aussi bien aux États-Unis qu'en zone euro. La faible croissance et l'absence d'inflation justifient à elles seules le maintien de taux d'intérêt bas pour l'intégralité de l'année 2012 : il n'y aura pas de hausse de taux aux États-Unis, ni au Japon, ni au Royaume-Uni. Quant à la BCE, elle devrait de nouveau assouplir sa politique monétaire et porter son taux directeur à 0.5% dans les 3 à 4 mois à venir.
Autrement dit, nous allons rester dans un environnement de taux bas, un facteur favorable pour la croissance mondiale. Certains pays dits émergents sont ainsi capables d'assouplir davantage leur politique monétaire, et cela pour au moins deux raisons :
- l'existence de marges de manoeuvre pour la politique économique ;
- une croissance globalement autonome.
Dans ces conditions, la politique monétaire a une efficacité directe sur la croissance. Même si cette dernière est en repli en 2012, le retrait restera modéré. Le vrai problème reste indubitablement l'environnement de dette publique et du déficit public, notamment en zone euro. Celle-ci devra faire face à 4 problèmes spécifiques :
- Des montants d'adjudication élevés tout au long de l'année,
- Une perte de crédibilité liée à la difficulté que les pays européens ont manifesté dans la gestion de la crise de la dette,
- La solvabilité de la Grèce et la perspective d'un défaut,
- La fragilité du Portugal, désormais dans le viseur des marchés.
1er facteur de risque : Un programme d'adjudications chargé en 2012
Nous avons tous encore en mémoire les difficultés qu'ont connues des pays comme l'Espagne, l'Italie, ou encore l'Allemagne (à un degré moindre bien sûr) dans la conduite de leurs émissions obligataires. Bien évidemment, l'Italie reste un des grands émetteurs de 2012, tout comme la France, mais ce qui caractérise l'année en cours est le montant global.
2ème facteur de risque : La crédibilité, un enjeu majeur pour les Etats européens
Les Européens ont le devoir d'améliorer leur image en termes de gouvernance et de discipline. Certains accords, on le voit déjà avec le nouveau pacte de stabilité, se feront sans l'assentiment de tous les pays. La République Tchèque et le Royaume-Uni ont déjà refusé de valider le nouveau pacte, et il en sera de même sans doute pour quelques sujets à venir. Il était vital de réformer l'ancien pacte, son inefficacité étant devenue criante et très dommageable à la zone euro. Jusqu'à présent, aucune sanction, aucune correction n'ont été imposées lors des dépassements des règles budgétaires.
Certains pays, dont la Grèce, n'ont jamais respecté le pacte, non pas à cause du fléchissement du cycle économique mais bien par manque de rigueur.
D’autres Etats ont réussi à le respecter de façon épisodique, mais globalement le constat est sévère : plus des 2/3 des cas de non respect sont liés à du laxisme et 1/3 seulement à un fléchissement du cycle économique. Tout cela sans la moindre sanction ou la moindre contrainte de correction. Ce manque de discipline atteste bien évidemment d’un déficit de gouvernance qui se traduit pour finir par une faible crédibilité. Certes, la gouvernance européenne vient souvent en opposition avec la souveraineté nationale, mais la crédibilité est à ce prix. La volonté allemande de mieux contrôler l'exécution budgétaire en Grèce partait d’un constat indiscutable, mais elle s'est heurtée à l'exigence qu’ont certains pays de conserver une part de leur souveraineté. La crédibilité de la zone passera inévitablement par des pertes de souveraineté, mais aussi par la capacité des pays à mettre en place un vrai dispositif anti contagion. Il est question depuis des mois de mieux doter le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), ou de créer plus rapidement le mécanisme de stabilité européen (MSE). Il est également question de modifier le traité européen, les procédures de vote, de restaurer la compétitivité, et de faire en sorte que la discipline et la rigueur ne se traduisent pas par un effondrement de la croissance économique. Voilà en clair la feuille de route des pays européens.
3ème facteur de risque : la Grèce, un répit potentiel à court terme, mais une véritable épée de Damoclès
Les négociations entre créanciers privés et gouvernement grec sont cruciales : ce qui est en jeu, c'est l'imminence ou pas d'un défaut grec. Un accord et la mise en place de réformes supplémentaires conduiraient les européens et le FMI à verser une nouvelle tranche de 130 milliards à la Grèce. Un tel versement permettrait à ce pays d'honorer le paiement de 14,5 milliards qui doit avoir lieu le 20 mars. Les Etats européens doivent éviter le défaut de la Grèce en mars, et ils doivent verser une nouvelle tranche d'aide, ce qui fera gagner du temps pour restaurer la crédibilité et améliorer la discipline budgétaire de la zone (une fois restaurée cette crédibilité, et mis en place un vrai dispositif anti contagion, il sera alors plus facile de gérer le défaut grec). Sinon, le défaut sera immédiat.
4ème facteur de risque : Portugal, un cas inquiétant
Nous avons à plusieurs reprises mis l'accent sur les difficultés structurelles de ce pays : un euro trop fort, des taux d'intérêt trop élevés, une compétitivité dégradée, des déficits courants élevés, et une dette totale (ménages, entreprises, et État) bien plus élevée que tous les pays de la zone euro : elle atteignait près de 320% du PIB en 2009, contre 290% au Royaume Uni, 275% en Irlande, 270 en Espagne, 240 aux États-Unis, 230 en France et en Italie … et en Grèce, 200% en Allemagne. Seul le Japon, mais dans des conditions fort différentes, était dans une situation plus grave, avec un ratio dette totale sur PIB de plus de 360%. En outre, le Portugal a perdu son rang d’investment grade, ce qui a encore affaibli le marché de sa dette. Pire encore, on voit mal comment le Portugal pourrait se redresser avec de tels taux d’intérêt (les toutes dernières émissions à 18 mois se sont déroulées avec des taux d’intérêt à 23%).
5ème facteur de risque : banques, une éclaircie durable, mais surtout l'élimination du risque de faillite
Les quelques semaines passées ont été très positives pour les valeurs financières. Le rôle de la BCE a été crucial. Par son financement à long terme (LTRO à 3 ans), elle a permis de retirer des marchés financiers une grande partie des craintes liées à des manques de liquidités. Comme dans le même temps, les banques ont considérablement réduit leur exposition aux dettes souveraines et aux dérivés, et qu'en outre le « deleveraging » s'est poursuivi, il était normal de voir aussi bien la valeur boursière que les écarts de crédit ou encore les CDS corriger fortement.
Cet accès à d’amples liquidités a non seulement rassuré sur le rôle de la BCE, mais il permet également aux banques de ne pas être forcées de solliciter les marchés financiers.
Un point également crucial car les banques ne sont plus en concurrence avec les émetteurs souverains sur les marchés obligataires. Jusqu’à présent, le risque bancaire et le risque souverain étaient liés, et se porter acquéreur d'une dette bancaire ou d'une dette d'État représentait un risque similaire. Le retrait des banques du marché obligataire a donc un effet très positif sur les adjudications des États. Autrement dit, les opérations long terme de la BCE donnent une bouffée d'oxygène très importante pour les émissions souveraines, mais aussi pour les valeurs financières. Attention cependant : les pays de la zone euro sont dans le viseur de S&P (14 d'entre eux ont été mis sous perspective négative), et Moody's a annoncé un changement de méthodologie pour les banques, une décision qui pourrait entraîner une nouvelle vague de dégradations de leurs notes.
Marchés financiers : où en est-on ?
Il est évident que les marchés financiers se sont positionnés dans la perspective d'un accord entre les créditeurs privés et l’ Etat grec, d'une récession molle, et d'un apaisement de la crise. L'un des points les plus importants est sans conteste la disparition graduelle du risque de faillite des établissements bancaires. Les actifs risqués ont très fortement souffert en 2011 (les actions allemandes ont cédé 16 % malgré un PIB en hausse de 3 %). Rappelons également que les indices de crédit étaient à des niveaux de valorisation qui, implicitement, indiquaient des taux de défaut ou des dégradations de rating hors normes. Les marchés financiers sont en train de corriger ces excès. Il nous semble que l'optimisme actuel devrait durer encore quelques semaines voire quelques mois. Le cas de la Grèce n'est pas réglé, la contagion au Portugal est un problème sérieux, les États souverains vont rester dans le viseur des agences de notation, le creux de la récession n'a pas encore été atteint, les consensus sur les profits des entreprises nous semblent trop élevés, les banques sont encore en risque en termes de rating … Autant de facteurs qui incitent à une prudence à moyen terme. Il convient donc de rester dans une logique de prudence, mais d'accepter un redéploiement des risques au moins de façon temporaire.