par Raymond Verstraelen, gérant de portefeuille senior dans l’équipe Taux de Robeco
L’intégration des facteurs Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) aux processus d’investissement est actuellement très en vogue. Or, bien souvent, l’intérêt porté aux sujets « tendances » retombe tout aussi rapidement qu’il est apparu. Cependant, selon nous, il ne s’agit pas cette fois-ci d’un engouement passager. Il ne s’agit pas non plus d’une option utile mais accessoire.
Chez Robeco, l’intégration des facteurs ESG est devenue un pilier central de nos processus d’investissement.
Du côté obligataire, cela fait maintenant quatre ans que l’équipe Taux effectue des analyses ESG des émetteurs. Ces facteurs ont été entièrement intégrés dans le processus d’allocation des pays souverains, en complément de deux autres types de données traditionnelles : le cycle économique et la durabilité de la dette.
Nous leur donnons un rôle clé car ils permettent de mieux comprendre les dynamiques de la dette souveraine par rapport aux autres types de recherche. Les analyses ESG vont au-delà des analyses traditionnelles. Elles donnent davantage de précisions sur la manière dont un pays est réellement dirigé. La force de l’analyse ESG des pays repose sur sa capacité à identifier bien en amont les éventuels problèmes que peuvent rencontrer des pays
Les données ESG doivent être valides et cohérentes
Comment fonctionne au quotidien cette recherche ESG ? Ce qui importe à l’équipe Taux de Robeco est de rendre leurs analyses ESG pertinentes par rapport à ce qui est important pour les marchés obligataires. Sur cette base, les profils ESG établis sont le résultat de recherches internes combinées aux analyses approfondies de données reçues de prestataires externes. Cette analyse est essentielle pour s’assurer de la fiabilité, de la pertinence et de la cohérence des données externes. Parallèlement, la recherche interne est nécessaire pour identifier les points déterminants qui ne sont pas suffisamment couverts par les études externes.
Le vieillissement des populations, par exemple, nécessite une attention particulière. Il faut évaluer dans quelle mesure les gouvernements anticipent les coûts futurs liés au vieillissement et ce qu’ils mettent en œuvre pour assurer la durabilité de leurs finances. Parmi les autres points à surveiller, nous pouvons compter l’utilisation des énergies – comment le pays se classe t-il, notamment en termes de consommation, de dépendance et d’efficacité énergétique ? – et les risques politiques. Les données concernant les problèmes liés à la cohésion sociale, au fonctionnement du gouvernement et aux risques politiques aident à identifier les risques potentiels comme les opportunités.
Au final, nous intégrons au processus d’investissement le profil ESG déterminé. Comme la plupart des variables, l’importance des facteurs ESG prend une part plus ou moins élevée dans les prévisions de marché. Par conséquent, le poids attribué aux facteurs ESG dans chacune des décisions n’est pas toujours le même. C’est une question de jugement au cas par cas.
Une boussole en temps de crise
Après avoir détaillé les rouages de l’intégration ESG, concentrons notre attention sur l’impact que nos recherches ont sur la prise de décision.
L’analyse ESG nous a été d’une aide précieuse pour naviguer à travers les eaux troubles de la crise de la dette en zone euro. Elle nous a permis de distinguer plus efficacement les pays les uns des autres dès le démarrage de la crise. Les promesses politiques et les mesures d’austérité ont pu être observées d’un autre angle de vue, nous permettant de mieux juger de leur faisabilité.
Les analyses ESG ont fait apparaître des signaux précurseurs du danger, qui nous ont de ce fait permis d’ajuster nos allocations dans les pays de la zone euro. Il existe un lien direct entre nos analyses et nos décisions d’investissement.
La Grèce et le Portugal sont les pays les plus mal positionnés en termes de critères ESG
Que nous ont révélé nos recherches ESG sur la zone euro? Comme l’indique le graphique 2, le classement des pays de l’Union Monétaire Européenne montre que la Finlande et les Pays-Bas ont le mieux performé selon les critères ESG. A l’inverse, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie arrivent en queue de peloton. Et ce n’est pas une coïncidence si ces pays sont généralement ceux où la crise de la zone euro a été la plus prononcée.
Prenons l’exemple de la Grèce. L’analyse ESG a mis en exergue des problématiques telles que la faiblesse des institutions publiques du pays – il ne dispose notamment pas de bureau indépendant de mesure statistique – le haut niveau de corruption et la faiblesse de la justice. Or il est difficile de mettre en place des mesures nécessaires au rétablissement de l’Etat lorsque des informations de base, comme la population vivant dans une région donnée, ne sont pas disponibles.
Des signaux d’avertissement sur la France sont actifs depuis 2010
L’identification des pays menacés par un défaut n’est pas la seule utilité de l’analyse ESG. Elle est particulièrement utile pour distinguer les pays censés être en bonne santé, en donnant des classements identiques à ceux des agences de notation.
Considérons la France. Jusqu’à janvier, le pays a maintenu sa notation AAA. Mais bien avant le début de l’année nos analyses ont montré que le pays sous-performait, et ce de manière importante, les critères ESG des Pays-Bas.
De nombreux facteurs en ont été la cause. Tout d’abord, le coût des retraites est trop élevé. Des réformes ont été élaborées mais elles ne suffisent pas à endiguer le problème. Ensuite, la stabilité politique s’affaiblit en raison d’un soutien populaire qui s’érode. Enfin, le marché du travail français, relativement rigide, a diminué la compétitivité du pays. Ces problèmes indiquent que les reformes structurelles tant attendues seront difficiles à mettre en place.
Les feux de détresse ont donc clignoté. Notre analyse des critères ESG nous a donné un avantage significatif dans la reconnaissance des éléments qui ont contribué, en fin de compte, à dégrader la notation de la France. Nous avons commencé à réduire le poids du pays en portefeuille dès 2010. En tant que précurseur dans l’utilisation d’une approche ESG des pays, l’équipe commence désormais à en tirer les bénéfices.