par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
La BCE a mené cette semaine sa deuxième et dernière opération de prêt à plus long terme (LTRO) d'une échéance de 3 ans. Une demande nourrie l’a accueillie : 800 banques, contre 523 lors de l’opération similaire de décembre 2011, ont emprunté à la BCE pour un total de EUR 530 milliards, la plus grosse somme jamais octroyée en une seule opération.
Sept banques centrales nationales (BCN) en association avec la BCE ont assoupli les critères d'éligibilité des actifs apportés en garantie, ce qui a permis à des banques de taille plus modeste de participer à l'opération. Beaucoup de ces banques n'avaient, en effet, pas pu profiter de la première LTRO, car elles ne détenaient pas de collatéraux répondant aux critères de la BCE. Or, comme le soulignait son président, M. Draghi, ces banques constituent une source de financement importante des petites et moyennes entreprises, qui elles même comptent pour 80 % de l’emploi.
Pour de nombreuses grandes banques, la première opération de refinancement avait entièrement couvert les besoins de liquidités. Elles ont pu, néanmoins, décider de participer à la deuxième opération, bien que dans des montants moindres, afin de profiter de ce qui restait une belle opportunité. Les taux d'intérêt de plusieurs titres de dette souveraine, de dette bancaire senior et dette corporate dépassent, en effet, largement le taux attendu de cette LTRO à 3 ans. Celui-ci est déterminé en fonction de la moyenne des taux de soumission minimale appliqués aux opérations principales de refinancement (c’est-à-dire le taux refi) sur la vie de l'opération. Même si la BCE devait laisser ses taux directeurs inchangés jusqu'à la fin 2014 puis, progressivement, relever le taux refi de 25 pb par trimestre, le taux effectif de cette LTRO à 3 ans ne dépasserait que légèrement les 1,25 %.
Les motifs de l’extension des mesures exceptionnelles
La BCE avait décidé en décembre 2011 d’étendre ses mesures exceptionnelles de prêts, afin d'éviter à l'économie un credit crunch. Plus de EUR 500 milliards de titres de dette bancaire arrivent en effet à échéance en 2012, et pour une grande partie au premier trimestre. Face à des conditions particulièrement tendues sur les marchés financiers, de nombreux établissements risquent de peiner à refinancer cette dette. En zone euro, ces difficultés se transmettent d’autant plus facilement au reste de l'économie que le secteur bancaire reste une source importante de financement des entreprises. Selon la toute dernière enquête de la BCE sur le crédit, les conditions de prêts se sont tendues de façon significative au dernier trimestre 2011, et les banques s'attendent à ce que les conditions restent relativement tendues au T1 2012. Les principaux facteurs qui ont contribué au durcissement des conditions de prêts ont été la détérioration de la conjoncture, les ajustements de bilans et la hausse des coûts de financement. Les deux derniers facteurs ont vraisemblablement pesé sur les positions de liquidités des banques.
Les premiers fruits
L’action de la BCE commence à porter ses fruits. Les conditions de refinancement des banques s'améliorant, on peut supposer que leur qualité de crédit sera évaluée plus favorablement. Les CDS du secteur bancaire s’inscrivent en baisse depuis la première LTRO à 3 ans. Cela devrait continuer.
L’amélioration est aussi perceptible sur le marché monétaire, où les spreads BOR/OIS reculent désormais franchement. Le taux Eonia, qui en temps « normal » oscille autour du taux refi (1%), se rapproche désormais du taux d'intérêt de la facilité de dépôt (0,25%) Il devrait rester à ces niveaux quelque temps encore, compte tenu de cette abondance de liquidités et de l'absence de perspective de hausse des taux directeurs (la probabilité restant plutôt celle d’une baisse). Par conséquent, le positionnement effectif de la politique monétaire est beaucoup plus accommodant que ce que ne le suggère le taux principal de refinancement.
Le credit crunch est évité
Les différences entre une stratégie d'assouplissement purement quantitatif, telle que celle adoptée par d'autres banques centrales comme la Banque d'Angleterre ou la Réserve fédérale américaine, et le dispositif de prêts exceptionnels mis en place par la BCE, sont multiples. Pour autant, ces stratégies ont produit les mêmes effets sur les marchés des obligations des titres d’Etat. Depuis décembre 2011, la demande d'emprunts d'Etat italiens et espagnols (de la part des établissements de crédit domestiques essentiellement) a fortement augmenté, ce qui en a nettement abaissé le rendement.
L’action de la BCE a donc clairement réduit le risque de liquidité qui pesait sur l’Italie et l’Espagne. La question de la solvabilité reste, quant à elle, de la compétence des chefs d’Etat et de gouvernement. Ces derniers se sont mis d’accord sur de nouvelles règles budgétaires plus strictes (règle d’or…) et sur la création d'un mécanisme permanent de stabilité financière. Ces solutions sont un pas dans la bonne direction mais demandent à être renforcées.
Le montant des ressources mises à disposition du Mécanisme de Stabilisation (EUR 500 milliards au total pour le FESF et le MSE) est notamment insuffisant pour construire un pare-feu crédible contre les risques de contagion. Pour réduire de manière significative les tensions des marchés financiers, les leaders européens devront se montrer plus ambitieux et viser la transformation, l'Union économique et monétaire en quelque chose se rapprochant davantage d'une union fiscale.
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