France : Une surprise mais pas deux !

par Werner Perdrizet, économiste au Crédit Agricole

La bonne surprise des résultats de la croissance française au quatrième trimestre 2011 (+0,2% t/t) aura du mal à être reproduite au premier trimestre. Nous anticipons un recul de -0,3% t/t de l’activité sous le coup de l’affaiblissement de la demande intérieure. Les messages des enquêtes restent ambigus, signe d’une incertitude toujours très forte sur l’évolution de l’activité. Elles témoignent cependant d’un contexte de ralentissement économique et de faibles perspectives de croissance. De nombreux facteurs devraient inciter les entreprises et les ménages à réduire leurs dépenses, ce qui contribueraient au recul de la consommation privée et de l’investissement des entreprises. Un effet de correction lié à la fin d’éléments temporaires ayant soutenu l’investissement au trimestre dernier pourrait appuyer son recul en ce début d’année.

La croissance française a surpris positivement au dernier trimestre 2011 en progressant de +0,2% t/t alors que l’activité reculait dans l’ensemble des autres grandes économies européennes. Il est peu probable que la croissance maintienne cette bonne tenue relative en ce début d’année. La tendance de fond reste au ralentissement et les éléments temporaires de soutien vont sans doute se corriger, l’ensemble conduisant à un léger recul anticipé de la croissance de – 0,3% t/t au premier trimestre.

Enquêtes : entre dégradation et stabilisation

L’évolution de l’activité reste cependant incertaine comme en témoigne la divergence des enquêtes sur le climat des affaires dont les indicateurs oscillent entre contraction modérée (Insee) et relative stabilisation (PMI) de l’activité. En février, l’indicateur sur la confiance des chefs d’entreprises Insee est resté stable par rapport à janvier (91) soit un niveau nettement inférieur à sa moyenne de long terme (100) mais bien supérieur à 2009, avec un point bas historique atteint en mars à 70. Le PMI, enquête réalisé auprès des directeurs d’achat s’est, quant à lui, légèrement replié mais reste en zone d’expansion de l’activité (à 50,6 contre 51,2 en janvier).

Cette légère baisse est le résultat d’un recul de l’évolution de l’activité des services dont l’indice perd 2 points à 50,3. Mais celui-ci a été en partie compensé par une amélioration de l’indice dans l’industrie qui gagne 2,6 points à 51,4. Ce signal d’une meilleure résistance de l’industrie au ralentissement économique reste cependant fragile, les « nouvelles commandes » étant toujours orientées à la baisse dans ce secteur. Du côté Insee, les « perspectives personnelles de production » restent également dans le rouge (à -2 contre une moyenne de long terme à 5) malgré un léger mieux (+3 points sur le mois).

Activité : en recul modéré au T1 2012

Ainsi, en privilégiant une légère contraction de l’activité, nos prévisions se rapprochent davantage du message envoyé par les indicateurs Insee. La croissance serait négativement impactée par le recul de la demande intérieure, en particulier, la consommation privée et l’investissement des entreprises. Notamment, le rebond observé de l’investissement des entreprises au cours du dernier trimestre, lié en partie à des achats anticipés de véhicules de société avant le durcissement du bonus-malus écologique, n’est pas reproductible et laisse même planer le risque d’une correction technique au T1.

Consommation en légère baisse

Après avoir légèrement ralenti en fin d’année 2011, la consommation des ménages marquerait le pas (0,2% T1/T4). Le recul de la consommation en biens serait la composante la plus affectée sous l’impulsion d’une forte diminution des achats de voitures. En janvier, les dépenses en biens ont ainsi baissé de 0,4% m/m et de 7,6% pour les automobiles soit une baisse respective de 0,5% et 4,8% par rapport à leur moyenne sur le trimestre précédent. Le recul des immatriculations dans l’automobile (-18,3% m/m soit -24,9% a/a) s’explique en partie par des phénomènes affectant spécifiquement ce secteur : la fin de la prime à la casse, le durcissement du bonus-malus « écologique » entré en vigueur le 1er janvier et la fin de promotion pour le neuf. D’une façon générale, la consommation des ménages reste fragilisée par la dégradation de leur pouvoir d’achat et la détérioration du marché du travail.

Ralentissement retardé de l’inflation

Outre le ralentissement des revenus nominaux, le pouvoir d’achat des ménages apparaît fragilisé par une inflation toujours élevée. En janvier, celle-ci n’a que très légèrement décéléré à +2,3% a/a contre +2,5% au mois précédent. Cette légère décélération s’explique par le ralentissement de la progression des prix des produits manufacturés (-1,9% m/m soit +0,6% a/a contre +1% a/a en décembre).

Sous cette impulsion, l’inflation sous-jacente est ainsi passée de +1,9% a/a au mois précédent à +1,5%. A l’inverse, si la progression annuelle des prix énergétiques a également ralenti, celle-ci reste élevée (+7,3% a/a contre +9,3% auparavant) et empêche un freinage plus marqué de l’inflation. Ceci s’explique en partie par une augmentation toujours importante des prix des produits pétroliers (+9,8% a/a contre +11,7% a/a), en lien avec la hausse des cours du pétrole (à 110,5 dollars le baril de Brent, en moyenne, en janvier), et par la forte progression des prix du gaz (+9,2% a/a contre +6%) dont l’augmentation des tarifs est entrée en vigueur au 1er janvier (+4,4%). Le risque à court terme est que les tensions géopolitiques au Proche et Moyen-Orient continuent à pousser à la hausse le prix du baril avec en corollaire une inflation globale durablement plus élevée.

Marché du travail fragilisé

La dégradation du marché du travail se traduit à la fois par une détérioration de la situation de l’emploi et une hausse du chômage. Après s’être ainsi stabilisé au troisième trimestre 2011 (+0% t/t), l’emploi dans les secteurs marchands hors agriculture s’est ainsi contracté de -0,2% t/t. Dans un contexte de ralentissement économique et de visibilité réduite, les entreprises sont incitées à réduire leurs effectifs pour gagner en productivité. Le chômage continue ainsi sa progression. Au quatrième trimestre, le nombre de chômeurs au sens du BIT passe à 9,4% contre 9,3% au trimestre précédent (France métropolitaine). Le moral des ménages s’en trouve affaibli ce qui les pousse à limiter leurs dépenses et favorise la hausse de l’épargne (+17,1% au T3 2011) notamment pour motif de précaution. En février, l’indice synthétique de confiance des ménages de l’Insee reste toujours à des niveaux bas (à 82) même si celui-ci poursuit sa timide progression entamé pour le deuxième mois consécutif (+ 2 points par rapport à décembre).

Investissement des entreprises en recul marqué

Au léger recul de la consommation privée au premier trimestre 2012 s’ajouterait une contraction plus marquée de l’investissement des entreprises, une multitude de facteurs jouant en ce sens. Tout d’abord, les perspectives d’activité restent toujours très incertaines et orientées à la baisse. Ensuite, la situation financière des entreprises apparaît toujours difficile, en raison de leur profitabilité dégradée et de conditions de crédit légèrement resserrées. L’absence de tension sur les capacités de production ne pousse pas non plus les entreprises à investir. Le taux d’utilisation de ces capacités (TUC) reste inférieur à son niveau moyen de long terme. Ces freins à l’investissement auraient déjà pu déboucher sur un recul de celui-ci à la fin de l’année dernière mais des facteurs temporaires ont contribué positivement à son évolution (+1,4% t/t). Les achats d’automobiles par les entreprises ont ainsi été boostés par un effet de rattrapage par rapport aux retards d’approvisionnement liés à la catastrophe japonaise en mars 2011 ainsi qu’une anticipation par les entreprises de l’alourdissement de la taxe sur les véhicules de société les plus polluants. Un contrecoup probable au premier trimestre contribuerait également au recul de l’investissement des entreprises attendu à -1,1% t/t.

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