par Bénédicte Kukla, économiste au Crédit Agricole
• Après un dérapage des finances publiques en 2011, le gouvernement a annoncé qu’il ne pourrait pas se conformer cette année à la cible initiale de 4,4% du PIB de déficit optant pour un objectif plus réaliste de 5,8% du PIB.
• Cette révision du déficit 2012 arrive juste après la signature du Pacte Budgétaire Européen qui inscrit dans le marbre la discipline budgétaire. La Commission européenne attend de connaître les tenants et aboutissants d’une telle décision mais n’exclut pas la possibilité d’imposer des sanctions à l’Espagne. Néanmoins, le gouvernement espagnol reste dans l’esprit du pacte budgétaire en maintenant le cap de l’ajustement au niveau du déficit structurel, seule la composante cyclique faisant l’objet de révisions.
• Les primes de risque espagnoles n’ont pour l’instant que légèrement augmenté. L’ajustement budgétaire en 2012 reste ambitieux dans un contexte conjoncturel toujours difficile.
Cette semaine, les primes de risque espagnoles ont à nouveau dépassé celles de l’Italie, et ce pour la première fois depuis l’intensification de la crise de la dette souveraine à l’automne 2011. Les marchés semblent avoir réévalué le risque espagnol après que le gouvernement ait annoncé revoir en hausse l’objectif du déficit public pour 2012 à 5,8% du PIB en 2012 (après 8,5% en 2011), contre une cible initiale de 4,4% du PIB négociée avec les autorités européennes. Cette annonce vient seulement quelques jours après la signature du pacte de discipline budgétaire avec les autres 24 membres de l’UE. Le timing est certes mauvais, mais l’Espagne n’avait guère le choix. Les efforts à fournir pour atteindre la cible de 4,4% en 2012 semblaient irréalisables alors que le pays s’enfonce en récession et que le chômage atteint des sommets.
Un ajustement budgétaire plus « réaliste »
En 2011, le déficit a dépassé l’objectif de 2,5 points de PIB (à 8,5% du PIB). Ce dérapage est largement imputable aux dépassements budgétaires des régions autonomes, avec un déficit de -2,9% du PIB en 2011 (soit 1,6 points de PIB supérieur à la cible).
En 2012, le nouvel objectif du gouvernement est de réduire le budget à 5,8% du PIB (contre 4,4% initialement prévu). Cette révision du déficit en 2012 a pour vocation de soulager les finances du gouvernement central avec une réduction du déficit de 5,1% du PIB en 2011 à 4% en 2012 (contre 3,2% auparavant). Les régions devront également poursuivre leur effort d’ajustement avec un déficit ramené à 1,5% du PIB en 2012 (après 2,9% en 2011). Les régions ont validé cet objectif de réduction le 7 mars, un pas encourageant, mais qui n’est pas une garantie de succès. Les autorités espagnoles manquent toujours d’un mécanisme crédible pour contrôler les dépenses des régions.
En dépit de cette révision du budget 2012, le gouvernement espagnol maintient toujours son objectif de réduire le déficit public sous la barre des 3% du PIB en 2013.
Pour cette année, le gouvernement a justifié l’assouplissement de la cible budgétaire en raison de la dégradation attendue de la composante cyclique du déficit. Il maintient sa prévision d’un déficit structurel de 3,5% du PIB, mais a fortement ajusté à la hausse la part liée aux aléas conjoncturels (de -0,9% à -2,3%).
Le gouvernement espagnol reste en quelque sorte dans l’esprit du pacte budgétaire puisqu’il maintient le cap sur le front de la réduction du déficit structurel au cœur de cette nouvelle règle. En revanche, il remet sur le devant de la scène la question du calibrage des ajustements budgétaires avec le risque que trop d’austérité tue l’austérité si les efforts demandés entraînent une asphyxie conjointe de la croissance et des finances publiques. En effet, ramener le déficit de 8,5% à 4,4% aurait demandé des efforts supérieurs à 4,1 points de PIB compte tenu de la nécessité de compenser le jeu des stabilisateurs automatiques dans un contexte de récession sévère (-1,7% en 2012 selon les prévisions du gouvernement).
Si les autorités espagnoles maintiennent l’objectif structurel à -2,4% du PIB en 2013, cela impliquerait que la composante conjoncturelle du déficit soit limité à -0,6% du PIB pour que le déficit total ne dépasse pas 3% du PIB, ce qui implique un net redressement de la croissance, une hypothèse selon nous encore très optimiste.
La réalité inquiétante de l’économie espagnole
Au T4-2011, l’activité espagnole a reculé (-0,3% t/t), mais nettement moins que les autres pays de l’Europe du Sud (-0,7% t/t en Italie, -1,3% au Portugal). En revanche, les données conjoncturelles du début d’année sont inquiétantes.
La production industrielle du mois de janvier a reculé de -4,2% a/a après -3,5% a/a en décembre. Les enquêtes pour le mois de février ont également été décevantes. L’indice PMI des directeurs d’achat englobant l’activité dans le secteur des services et de l’industrie a baissé de 3,2 points en février, nuançant l’amélioration du mois de janvier (+4,0). En particulier, la composante des anticipations de commande continue à se dégrader, un signe avant-coureur d’un affaiblissement prolongé de l’activité. De plus, la hausse des prix des inputs continue à peser sur les marges des entreprises.
Du côté de la demande, la confiance des consommateurs est en berne (baissant de 4,5 points en février, à son plus faible niveau depuis juillet 2010). Le taux de chômage continue à grimper, à 23,1% en décembre 2011. Avec un taux d’utilisation des capacités à des niveaux historiquement bas, l’investissement a toutes les chances de rester au point mort. Au total, nous anticipons une baisse d’environ 0,5% t/t au T1-2012.
Espagne : entre rigueur et pragmatisme
L'opération de la BCE de refinancement des banques a été un succès en ramenant un certain calme sur les marchés financiers. Mais, les risques persistent. La restructuration du système bancaire sur fond d’assainissement des bilans continuent. Les conditions de financement des banques espagnoles (et toutes les banques européennes) restent encore sensibles à l’évolution de la crise grecque. A cela s’ajoute une récession économique plus sévère qu’anticipé, avec le risque d’une nouvelle envolée des créances douteuses.
Dans ce contexte, le gouvernement espagnol se montre pragmatique pour éviter que ne se matérialise un cercle vicieux entre austérité budgétaire et activité, lequel a déjà grippé les économies grecque et portugaise. Le gouvernement espagnol préfère en effet s’engager à faire un ajustement plus « réaliste » pour ne pas trop endommager la croissance. L’économie espagnole qui continue de solder les comptes de la bulle immobilière et purge les excès financiers passés, reste à la recherche de nouveau relais de croissance. Le gouvernement met désormais l’accent sur les réformes structurelles pour retrouver le chemin d’une croissance saine et durable.