Pacte de croissance, des mots aux actes

par Frédérique Cerisier et Caroline Newhouse, économistes chez BNP Paribas

A quelques semaines des élections en Grèce qui se tiendront le 17 juin, l’aversion au risque est maximale, dans l’hypothèse d’une victoire de Syriza qui légitimerait le profond rejet populaire de la politique d’austérité entérinée par Athènes et nécessaire au maintien du pays dans la zone euro.

Jeudi, les banques de la zone euro ont emprunté près de EUR 4 milliards auprès de la facilité de crédit à un jour de la Banque centrale européenne, le montant le plus élevé depuis l'échange de dette opéré par Athènes en mars. Les capitaux vont vers les placements jugés les plus sûrs, comme le dollar et le yen mais aussi le marché obligataire allemand. Ainsi, l’Allemagne a réussi, en milieu de semaine, à emprunter sur les marchés EUR 4,56 milliards à deux ans à «coupon zéro», tandis que sur les mêmes échéances, les taux espagnols à deux ans étaient à 4,25%, un plus haut depuis décembre 2011. Les enquêtes PMI pour mai ont encore assombri les perspectives de la zone euro. Après avoir échappé de peu à un nouveau repli du PIB au T1 2012 qui aurait signalé une entrée de la zone euro en récession technique, l’activité s’est probablement contractée au deuxième trimestre. Cette fois-ci, même l’Allemagne n’est pas épargnée, son PMI composite est repassé sous 50 en mai.

Malgré l’inquiétude croissante des opinions publiques et les tensions sur les marchés financiers, le dîner "informel" des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, organisé mercredi soir à Bruxelles a, sans surprise, débouché sur peu de décisions concrètes ou de grande ampleur. En fait, il s'agissait probablement surtout pour les membres du Conseil de refaire un "tour de table" suite à l'arrivée de F. Hollande à la tête de l'Etat français, et de préparer les décisions qui pourraient être prises lors du prochain sommet officiel des 28 et 29 juin.

Quelques points semblent d'ores et déjà faire consensus. Pour donner corps au "Pacte de croissance" réclamé par le Président français, les membres du Conseil ont demandé à la Commission Européenne de leur faire des propositions pour une réallocation plus ciblée des Fonds structurels. Ils ont en outre donné leur accord à un accroissement des moyens de la Banque Européenne d'Investissement (BEI). Cette banque, dont les 27 Etats membres sont les actionnaires, a pour mission d'accorder des financements de long terme à de projets d'investissement, en particulier dans le domaine des infrastructures. En complément de cette recapitalisation, la BEI devrait être autorisée, dès le second semestre, à expérimenter l'émission de "project bonds", des obligations explicitement émises pour financer des investissements dans les réseaux routier, ferroviaire, d'énergie et de communication, qui bénéficieraient d'une garantie partielle de l'Union Européenne. A ce stade, les fonds disponibles pour émettre ces garanties sont toutefois limités1, et il s'agit surtout pour la BEI de prouver la capacité de ce nouvel instrument financier à susciter, par effet de levier, un rebond des financements privés pour ces investissements de long terme.

S'agissant des autres sujets actuellement sur la table (création d'une véritable union bancaire européenne par la mise en place d'une assurance commune des dépôts, d'un dispositif de résolution des crises et d'une supervision intégrée des banques, d’une taxe sur les transactions financières), les discussions se sont poursuivies, sans qu'il soit possible de préciser si elles aboutiront et à quel horizon. En matière d'euro-obligations, la réunion a surtout permis aux Européens de prendre la mesure de leurs désaccords. Relancée par le chef de l'Etat français, l'idée d'une émission de dette commune reste totalement exclue outre-Rhin, où l'on considère qu'elle n'aurait pour effet que d'inciter les Etats fragilisés à relâcher leurs efforts.

En attendant des décisions politiques majeures, la Banque centrale européenne pourrait être à nouveau contrainte d’intervenir. Elle dispose encore de certaines marges de manœuvre (opérations de refinancement à long terme, nouvel assouplissement des critères d’éligibilité des collatéraux, reprise des achats de dette souveraine, baisse des taux…) et devrait rester en mesure d’imposer les conditions de son soutien. C’est à la suite de la fermeture de ses guichets à certains établissements grecs que le Fond hellénique de stabilité financière (FHSF) a annoncé le déblocage, attendu depuis plus d’un mois, des EUR 18 mds nécessaires à la recapitalisation de ses grandes banques.

NOTE

1 230 millions d'euros pris sur le budget de l'Union vont être réalloués à ce projet à court terme.

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