2011 : promesses tenues dans le respect de l’ancien PSC

par Paola Monperrus-Veroni, Sandrine El Hakim et Léopold Jouven, économistes au Crédit Agricole

– En 2011, le déficit agrégé de la zone euro s’est établi à 4,1% du PIB, soit un résultat globalement meilleur que celui prévu dans les Programmes de stabilité de 2011 et nettement inférieur au déficit des autres grands pays industrialisés. C’est le résultat d’une amélioration structurelle des comptes publics avec une ponction budgétaire qui s’est élevée à 1,8 point de PIB. xx

– Les finances publiques en 2011 portent certes encore les stigmates de la crise financière de 2008-2009, mais reflètent aussi les limites de l’ancien cadre de surveillance multilatérale sortant du traité d’Amsterdam et de sa version réformée en 2005.

– En décembre 2011, les pays de la zone euro se sont accordés sur un nouveau Pacte budgétaire qui renforce le contrôle entre pairs et impose des contraintes plus fortes notamment sur l’évolution de la dette.

– Cette trajectoire de réduction des déficits sera difficile à maintenir en 2012: le ralentissement de l’activité au centre de la zone euro et la récession qui s’est installée dans les pays de la périphérie finissent par neutraliser les effets de mesures d’austérité sur les comptes publics et obligent à s’interroger sur l’opportunité d’un renforcement de la discipline budgétaire prévue dans les Programmes de stabilité.

L’année 2011 s’est conclue sur un résultat globalement satisfaisant sur le front des finances publiques. Les conséquences de la crise financière de 2008 sur le déficit ont été effacées pour moitié ce qui n’a néanmoins pas été suffisant pour réduire le poids des dettes. Le prix a été celui d’une austérité jamais connue auparavant, y compris durant la phase de convergence vers la monnaie unique. A l’action résolue et décisive des Etats pour éviter un effondrement du système financier et amortir le choc de la Grande récession a succédé le dogme de la stabilité et de l’austérité pour consolider au plus vite (sans doute trop vite) les bilans publics. Les excès commis durant la phase montante du cycle ont par ailleurs mis en lumière les failles du mécanisme de surveillance multilatérale censé garantir le maintien de la discipline budgétaire au sein de l’Union.

La crise n’explique pas tout

Le Pacte de stabilité et croissance adopté en 1997 imposait en effet un critère limite de déficit public à 3% du PIB que les pays de la zone euro s’engageaient à respecter. Ces mécanismes de surveillance étaient en outre assortis de sanctions en cas de dérapage, l’ensemble étant censé inciter les Etats à poursuivre les efforts de consolidation engagés en vue de l’adhésion à la monnaie unique.

Ce cadre de surveillance multilatérale a rapidement montré ses limites et conduit à une première réforme en 2005.

Si tous les pays ont fait des efforts budgétaires lors de la course à l’accession, un environnement monétaire et une conjoncture favorables ont aussi permis une amélioration spontanée des finances publiques à la fin des années 90. Le ralentissement économique du début de la décennie 2000 (effets de l’éclatement de la bulle internet) a fait se creuser les déficits publics. A l’exception de l’Espagne, la situation budgétaire des Etats de l’Union s’est détériorée entre 2000 et 2007.

La forte dégradation du solde conjoncturel sur la période 2001-2004 s’est accompagnée d’une détérioration du solde structurel après la mise en œuvre de politiques contra-cycliques. L’orientation plus restrictive prise par la politique budgétaire dès 2006, notamment en Allemagne, en Italie et au Portugal, après le redémarrage de la croissance, n’a pas permis de résorber le déficit structurel cumulé.

En moyenne sur la période 2000-2007, la politique budgétaire a été accommodante partout en Europe à l’exception de l’Allemagne, de l’Espagne et du Portugal alors que la reprise soutenue début 2006 a rapidement permis de combler l’écart de production creusé dans la période 2003-2005.

Ce relâchement budgétaire n’a pas porté à conséquence puisque l’excédent primaire est resté en moyenne supérieur à celui nécessaire à la stabilisation des ratios de dette. Le ratio dette/PIB a donc pu baisser (en dépit d’opérations sur les actifs nets pesant pour 2,5% du PIB sur la dette et d’un effet boule de neige encore présent). Seuls l’Allemagne, la France et le Portugal n’ont pas produit les efforts nécessaires à infléchir la trajectoire ascendante de leur dette.

Pourtant à ne pas avoir consenti plus d’efforts en période de croissance, les pays ont réduit leur marge de manœuvre pour accommoder les phases de basses eaux. Ainsi en 2007 dans la plupart des pays de la périphérie, ainsi qu’en France le solde structurel était inférieur à celui permettant d’atteindre un déficit dans la limite de 3% du PSC en cas de retournement brutal de l’activité1.

La crise a montré les limites du PSC

Face à des positions budgétaires structurelles fragiles, l’impact de la crise a été sans appel. L’équilibre était d’autant plus délicat pour l’Espagne, la Grèce et l’Irlande, qui bénéficiaient d’un écart critique (écart entre le taux payé pour servir la dette et le taux de croissance de l’économie) favorable, du fait de leur très forte croissance passée. D’autant plus que le choc de l’activité a été dans plusieurs pays plus brutal que celui anticipé par la Commission européenne, avec des écarts de production cumulés en 2009 bien plus négatifs que ceux théoriquement anticipés par les marges de sécurité cyclique. Dans l’ensemble de la zone euro, le déficit de croissance au plein de la crise a été de 6% et l’output négatif cumulé dès 2009 s’est élevé à 4%.

Ceci n’a pas été sans conséquence sur les soldes publics, qui ont subi une dégradation de 5,5% du PIB en moyenne en zone euro entre 2007 et 2010, et davantage dans les pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Irlande et la Finlande, où la chute de l’activité a été plus abrupte. Les finances publiques ont en effet souffert d’une augmentation automatique des dépenses publiques, telles que les allocations chômage, mais aussi par le manque à gagner en termes de recettes fiscales artificiellement gonflées dans la période de boom par l’émergence de bulles de prix d’actifs (immobilier surtout) qui ont fini par éclater. Ces stabilisateurs automatiques ont pesé pour la moitié (2,4% du PIB) sur la dégradation du solde. Mais en réponse à l’appel de novembre 2008 de la Commission européenne en faveur d’un plan européen de relance économique les pays ont réagi par des politiques fortement contra-cycliques expliquant pour une autre moitié la montée des déficits et creusant le solde de façon structurelle à la hauteur de 2,8 points de PIB. Des mesures spécifiques en soutien des secteurs en détresse s’y sont ajoutées (0,4 point de PIB), avec un effet temporaire sur les finances publiques.

Pour beaucoup de pays membres les améliorations en termes de dette obtenues depuis 1998 ont été effacées. En moyenne, dans la zone euro, euro l’affaiblissement de la croissance et la remontée de l’écart critique, le creusement des déficits et les opérations en compte capital (recapitalisations du secteur bancaire) ont contrib-1u2é en égale mesure à l’accumulation de la dette. Mais dans les pays de la périphérie ainsi qu’en France, c’est surtout la hausse du déficit qui a engendré une remontée du ratio dette/PIB.

Tous les pays membres de la zone euro ont été frappés par la procédure de déficit excessif en 2009, mais ont pu faire valoir des circonstances exceptionnelles et allonger ainsi la période nécessaire pour revenir dans le critère de 3%, dès 2012 pour la Belgique et l’Italie, dès 2013 pour les autres pays hors programme FMI-CE. La version réformée du PSC a néanmoins montré ses limites. Le manque d’incitation à la rigueur en conjoncture favorable, à peine abordé par la réforme de 2005, tient à l’absence d’un cadre répressif, sanctionnant de manière préventive les comportements non conformes avant même que l’excès de déficit ne se matérialise. De plus, la surveillance par les pairs limitée aux positions budgétaires, ne portait pas sur les déséquilibres macroéconomiques, qui ont gonflé au cours de la dernière décennie avec un grand écart entre, schématiquement, les pays du Nord qui sont compétitifs, exportent et dégagent des excédents d’épargne et ceux du Sud qui consomment, importent et s’endettent. Seule l’Irlande en 2001 a fait l’objet d’une alerte précoce pour une politique trop inflationniste, non conforme aux Grandes orientations de politique économique.

Le retournement précoce, dès 2010, de l’orientation de la politique budgétaire dans plusieurs pays avec une impulsion à peine positive (0,6 point de PIB) en présence d’un output gap, certes en cours de réduction, mais encore fortement négatif (-2,6%) a permis de réduire le déficit agrégé de la zone euro (de 6,4% en 2009 à 6,2%). La Grèce, l’Espagne et dans une moindre mesure la Belgique et la France ont mené dès cette période des politiques restrictives. Mais ces mesures de rigueur particulièrement sévères en Grèce et en Espagne ont été mises en œuvre dans un contexte de creusement de l’écart de production auquel elles ont par ailleurs contribué, avec une austérité comme facteur inhibiteur de croissance, pesant en retour sur les équilibres publics (trappe à austérité).

2011 : la zone euro en quasi-bon élève

En 2011, le déficit agrégé de la zone est de peu supérieur au plafond (4,1%) du PSC et nettement inférieur au déficit des autres grands pays industrialisés.

La baisse de 2,1 points de PIB s’explique presque entièrement par une amélioration structurelle des comptes publics avec une ponction budgétaire à l’économie de la zone qui s’élève à 1,8 point de PIB. L’assouplissement monétaire permis par un taux directeur particulièrement bas, des injections massives de liquidité, mais aussi par le plafond sur les taux d’intérêt à long terme pour les pays sous programmes CE-FMI, ont rendu cet effort un peu plus soutenable.

Les pays sous programmes CE-FMI ont fourni les efforts structurels les plus importants, mais les trois grands pays France, Allemagne et Italie ont aussi mené des politiques fortement contra-cycliques (supérieures à 1 point de PIB). Des mesures temporaires ont fourni un coup de pouce de 0,5 point de PIB, alors que l’alourdissement de la charge d’intérêt a pesé pour 0,1 point sur les finances publiques. Trois pays, l’Allemagne (avec un solde de -1%), l’Autriche (-2,6%) et la Finlande (-0,5%), respectent le critère du PSC portant sur le déficit, en avance par rap0p,o00rt aux délais prévus par la procédure pour déficit excessif.

Avec un déficit primaire agrégé de 1,2%, contre un excédent de 0,4% nécessaire à stabiliser la dette, la hausse du ratio dette/PIB n’a pu être enrayée en zone euro. La progression de 2,4 points de PIB de la dette sur la période tient également au différentiel défavorable entre le taux d’intérêt et la croissance encore trop élevé (pesant pour 0,7 point de PIB) et à des flux de créances nettes à la hauteur de 0,6 point (recapitalisations du secteur bancaire, contributions au Fonds européen de stabilité financière, etc.).

Le résultat est globalement meilleur (-0,1%) qu’annoncé dans les Programmes de stabilité pour 2011 du fait d’une réduction plus importante qu’anticipé des déficits en l’Allemagne (-1,5 point d’écart par rapport aux engagements), au Portugal (-1,7 point), en Autriche (-1,4 point) et en Finlande (-0,4 point). En revanche, l’Irlande (-3,1 points), l’Espagne (-2,5 points), la Grèce (-1,8 points) et aussi les Pays-Bas (-1 point) ont présenté des soldes largement en deçà des objectifs. La révision à la hausse du déficit de 2010 (0,4 point), principalement du fait de l’Allemagne et du Portugal, a pesé sur l’évolution des comptes publics, qui ont en revanche profité de taux d’intérêt un peu plus faibles qu’anticipé (0,1 point). La croissance en zone euro a été plus faible qu’initialement prévu (1,5% contre 1,7% anticipé dans les programmes), en raison surtout des contre-performances de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne, mais aussi de la Finlande, des Pays- Bas et dans une moindre mesure de l’Espagne. Le dérapage mécanique du déficit dû à une conjoncture affaiblie est resté limité au niveau agrégé (0,1 point) et aussi pour l’Italie et l’Espagne (0,3 point), mais a en revanche fortement pesé en Grèce (1,7 point).

Globalement, l’orientation budgétaire a été de 0,4 point de PIB plus restrictive qu’annoncé dans les programmes de 2011, notamment en Allemagne, au Portugal, en Grèce, en Autriche, mais aussi en France et en Italie. La politique s’est au contraire relâchée par rapport aux engagements en Espagne, aux Pays-Bas, en Irlande et en Belgique. Aucun de ces pays n’a respecté en 2011 les préconisations de la Commission en termes de réduction du déficit structurel, sans par ailleurs pouvoir une nouvelle fois invoquer des circonstances exceptionnelles.

Pour 2012 se pose donc la question de l’opportunité d’un effort supplémentaire par rapport à celui prévu par les Programmes de stabilité pour 2011 (1 point de PIB en moyenne dans la zone euro), alors que le contexte conjoncturel s’est fortement dégradé avec des prévisions de croissance à 1,8% désormais clairement obsolètes, le Consensus tablant plutôt sur un recul du PIB de -0,4% en 2012.

C’est bien là l’enjeu de la politique économique en 2012 et 2013, alors que le nouveau Pacte de stabilité et croissance devient opérationnel avec des règles plus strictes. Certes, la dégradation de la conjoncture laissera l’opportunité à plusieurs pays de faire valoir des circonstances exceptionnelles et de reporter une partie des efforts de consolidation. Mais pour les pays sous- programme ce report est moins automatique. En effet, si une inflexion de stratégie paraît devoir s’imposer en zone euro afin d’éviter toute surenchère à l’austérité pour compenser la dégradation conjoncturelle des soldes publics, un dérapage par rapport à l’effort structurel négocié devrait lui faire l’objet d’une négociation tripartite entre le pays, la CE et le FMI.

NOTES

  1. La Commission calcule des marges de sécurité budgétaire comme le déficit structurel maximum permettant une pleine utilisation des stabilisateurs automatiques dans le respect du critère de 3% du déficit. Cette marge prend en compte la taille et la fréquence des fluctuations cycliques négatives les plus importantes spécifiques à chaque pays (observées sur la période 1980-2000) et à la zone euro dans son ensemble.

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