par Edgardo Torija Zane, économiste chez Natixis
Les pays émergents connaissent un ralentissement important de leur croissance. Au premier trimestre 2012, le PIB de l'Inde n'a pas dépassé 5,3 % en rythme annuel, au plus bas depuis neuf ans. Au Brésil, la progression du PIB n’a été que de 0,8 %. Le ralentissement de la Chine, moteur de l'économie mondiale, inquiète également. La croissance y est passée de 9,5% au deuxième trimestre 2011 à 7,6% entre avril et juin 2012. Les devises de pays comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud sont fragilisées, les pertes contre dollar depuis un an s’établissent respectivement à 24%, 21%, et 20%.
Alors que le rythme de l'activité économique montre des signes de décélération dans la plupart des grands pays de l'OCDE, faut-il aussi s’inquiéter de la dynamique de croissance des pays émergents ?
Un petit rappel de l’histoire récente de la mondialisation permet d’avancer des éléments de réponse. La montée en puissance des pays émergents dans l’économie mondiale s’explique par deux mouvements importants : la relocalisation des activités de production des firmes multinationales vers des pays où les coûts de main d’œuvre sont relativement faibles (surtout l’Asie) et la dérèglementation financière qui a réorienté l’épargne mondiale vers différentes régions du monde. Ce processus s’est accéléré dans la dernière décennie, d’où la croissance très élevée des émergents entre 2003 et 2008. Or, l’expansion des capacités productives ne s’est pas toujours accompagnée d’une hausse décisive du pouvoir d’achat des populations de ces pays, de sorte que les émergents restent dépendants de la consommation et donc de la conjoncture des pays industrialisés.
Des changements dans la structure de la demande de ces pays au profit de la consommation intérieure sont donc nécessaires pour consolider la croissance sur le long terme et limiter leur dépendance vis-à-vis des ménages des pays du G7. Ce processus nécessite des changements profonds et se fait très lentement. En Chine, les PME concentrent environ 60% de l’emploi dans l’industrie et les services. Or, ces sociétés ont un accès limité au marché du crédit et financent leur croissance en réinvestissant les profits, ce qui implique que, pour maintenir la profitabilité et leur expansion, le coût de travail doit rester faible (ce qui va à l’encontre de l’objectif d’augmenter le pouvoir d’achat domestique). Le changement de modèle de croissance est compliqué et génère des coûts d’ajustement importants d’autant plus que même avec des salaires en hausse soutenue on risque de butter sur des goulots d’étranglement et des processus inflationnistes.
Les pays qui soutiennent leur demande domestique par des politiques expansionnistes -comme l’Argentine, la Russie et l’Inde- ont subi une inflation relativement élevée au cours des dernières années. On observe cette fragilité généralement chez les pays pétroliers et/ou les grands exportateurs de matières premières qui, bénéficiant de l’amélioration de leurs termes de l’échange sont confrontés au « syndrome hollandais » : la hausse des revenus liée à la vente de ressources naturelles accroit la demande domestique ce qui fait pression sur les prix et salaires internes. La compétitivité des autres secteurs risque ainsi d’être compromise. L’inflation, même si elle est le reflet de la hausse des revenus peut alors devenir un problème car elle va à l’encontre de l’objectif de diversification de la production.
Les pays en développement resteront un thème d'investissement incontournable dans les prochaines années. Les politiques économiques (par exemple l’assouplissement monétaire, qu’on voit déjà chez les principaux pays émergents) vont contrecarrer partiellement les tendances au ralentissement venant de la fragilité de la conjoncture des pays de l’OCDE et maintenir une croissance honorable. Or, sans un basculement des modèles de croissance vers les besoins de la demande intérieure et la production des biens haut de gamme, les émergents ne resteront pas immunisés aux turbulences des pays développés.