par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Lundi 25 février, il fallait être à Londres, pour assister à la conférence organisée par la London School of Economics, sur un thème passionnant (les leçons que les économistes et les responsables de la politique économique devraient tirer de la crise) et avec des intervenants non moins intéressants: Ben Bernanke, Olivier Blanchard, Mervyn King, Lawrence Summers et Axel Weber1. La tonalité générale n’était pas des plus encourageantes : la crise financière n’a pas encore pris fin. Bien sûr, le pire est passé dans certains pays, notamment aux Etats-Unis avec la restauration de la stabilité financière et l’amélioration des perspectives économiques. Mais, la morosité persiste en Europe et au Japon.
Au début de la crise, les autorités budgétaires et monétaires ont adopté des mesures aussi rapides qu’audacieuses. Les déficits budgétaires structurels se sont massivement creusés sous l’effet des plans de relance. Dans le même temps, les banques centrales ont considérablement abaissé leurs taux directeurs, injectant autant de liquidités que nécessaire. En 2010, les choses ont évolué. La crise grecque, due à une dépense publique non contrôlée, a donné le coup d’envoi aux politiques de rigueur en Europe. L’adoption de l’austérité au Royaume-Uni et aux Etats-Unis s’explique plus difficilement, aucun des deux pays n’étant sous la pression des marchés.
Quelles que soient les raisons de ces politiques, les banques centrales ont dû, une fois de plus, se faire plus souples afin d’atténuer les effets des plans d’ajustement budgétaire. Les taux directeurs étant déjà proches de zéro, elles ont dû recourir à des instruments non conventionnels. A cet égard et contrairement à une idée reçue, la BCE n’est pas réstée inactive : les deux séries d’opérations de refinancement à plus long terme (LTRO) se sont en effet soldées par une augmentation de son bilan d’une ampleur comparable à celle enregistrée par les bilans de la Fed et de la Banque d’Angleterre (BoE).
Où en sommes-nous aujourd’hui ? La croissance est toujours aussi morose et la probabilité de replonger dans la récession n’a pas disparu. L’austérité ne semble pas être appelée à être abandonnée, même si la force avec laquelle elle est appliquée semble se tempérer. Au Royaume-Uni, la date à laquelle le ratio de dette commencera à diminuer a été repoussée, tandis que nombre de pays de la zone euro se sont vu accorder un délai supplémentaire pour atteindre leurs objectifs de déficit budgétaire. Aux Etats-Unis, il est plus difficile d’estimer la force de l’austérité sur l’ensemble des administrations publiques : si jusqu’alors elle était principalement le fait des Etats et collectivités locales, elle est maintenant appliquée par le gouvernement fédéral. Le Japon est un cas à part : malgré une dette colossale, le nouveau gouvernement s’est engagé sur la voie de la relance.
Dans le monde occidental, une austérité légèrement moins forte ne contribuera qu’à peser un peu moins sur la croissance, pas à la soutenir. Comme l’a souligné M. Blanchard, on voit mal comment l’Europe pourra sortir de la situation actuelle sans croissance, un constat qui vaut pour l’ensemble du monde développé. L’économie américaine enregistre un rebond et pourra ainsi faire face à la réduction du déficit du gouvernement fédéral. Après l’extraordinaire désendettement du secteur privé, le dynamisme sous-jacent de l’économie ne fait aucun doute. Les exportations vont toutefois continuer à jouer un rôle clé car les ménages hésitent probablement encore à s’endetter. Face à la rigueur, la plupart des pays européens, y compris le Royaume-Uni, ont plus que jamais besoin d’un coup de pouce de l’étranger, tandis que le Japon reste largement tributaire de la demande extérieure.
Comme de nombreux pays se livrent concurrence pour un marché final limité (les pays émergents ne peuvent pas totalement compenser le recul de la demande des pays développés), les prix devront s’ajuster. L’Europe du Sud n’a pas eu le choix et applique une dévaluation interne, soit une baisse des salaires. Face aux coûts d’une telle politique, une dévaluation pure et simple est bien plus tentante. Si cette solution est totalement impossible pour les pays de la zone euro pris individuellement, elle est envisageable pour la zone euro dans son ensemble, comme pour le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. D’où les références à une guerre des monnaies. Les Etats-Unis l’aurait lancée avec les vagues successives d’assouplissement quantitatif, qui exercent des pressions à la baisse sur le dollar. Le même grief a été formulé récemment à l’encontre de la politique japonaise (pour des raisons plus objectives, il est vrai).
Dans son intervention de lundi dernier, M. Bernanke a précisément traité de ce sujet, démontrant que : 1/ le respect de l’étalon-or – et non son abandon par la suite – avait contribué à prolonger et aggraver la dépression des années 1930 2/ la guerre des tarifs douaniers avait alors été beaucoup plus dommageable pour l’économie mondiale que les vagues successives de dévaluation 3/ des taux de change flexibles permettent aux banques centrales de répondre à des problèmes nationaux et non de tenter d’influer sur la valeur de leur monnaie. En résumé, les politiques monétaires accommodantes des principales banques centrales mondiales ne visent pas à abaisser la valeur externe de leurs devises. Par ailleurs, et selon M. Bernanke, l’adoption de mesures ultra-accommodantes par un pays donné peut avoir des effets positifs sur ses partenaires commerciaux, et donc le jeu est à somme positive. Le monde entier devrait donc bénéficier de l’activisme des grandes banques centrales du monde développé.
NOTES 1 Respectivement, Président de la Fed, Chef économiste du FMI, Gouverneur de la BoE, ancien Secrétaire au Trésor américain et Directeur du Conseil économique national de la Maison blanche, et ancien Président de la Bundesbank (et un temps successeur probable de Jean-Claude Trichet à la présidence de la BCE).