France : l’effet « multiplicateur » à l’œuvre au T4

par Axelle Lacan, économiste au Crédit Agricole

La publication par l’Insee des résultats détaillés du 4e trimestre 2012 réserve quelques surprises. Si le repli de l’activité a été confirmé à -0,3 % t/t, les composantes ont subi quelques révisions. Ainsi, la consommation privée a finalement légèrement reculé (-0,1 % t/t, contre +0,2 % t/t annoncé initialement). A l’inverse, le repli de l’investissement des sociétés non financières (SNF) s’est avéré moins prononcé (-0,8 % t/t, au lieu de -1,2 % t/t).

• Les effets secondaires de l’assainissement des finances publiques entachent les comptes des agents en fin d’année 2012 : le pouvoir d’achat des ménages a chuté, fléchissant sous le poids croissant des impôts sur le revenu et le patrimoine ; le taux de marge des SNF a reculé de 0,5 point, à 27,7 %, confirmant la carence de profitabilité des entreprises françaises.

• Ces nouveaux éléments vont dans le sens de notre scénario. Les ménages ont fait le choix de puiser dans leur épargne, pour limiter la baisse de leurs dépenses de consommation. C’est un ressort dont ne disposent pas les entreprises, qui sont donc contraintes de reporter leurs décisions d’investissement.

Recul confirmé de 0,3% t/t de l’activité au T4

L’Insee a publié cette semaine sa deuxième estimation du PIB au 4e trimestre 2012. Le repli de l’activité est confirmé, à -0,3 % t/t.

Néanmoins, les composantes ont été légèrement révisées, avec deux changements significatifs :

• Les dépenses de consommation des ménages ont été révisées à la baisse. Elles n’ont pas progressé de 0,2% t/t comme annoncé initialement, mais reculé de 0,1 % t/t.

• L’ajustement de l’investissement des sociétés non financières a, à l’inverse, été moins fort, avec un recul de 0,8 % t/t contre -1,2 % t/t annoncé en première estimation. Ceci confirme une certaine inertie de l’investissement des entreprises en France, avec un ajustement moins sévère que lors des crises passées et moins fort qu’ailleurs en zone euro.

Au total, la demande intérieure hors stocks a pesé sur l’activité, à hauteur de 0,1 point. La contribution négative du déstockage massif opéré par les entreprises est confirmée à -0,4 point. Et le commerce extérieur, grâce à un tassement des importations, a soutenu l’activité à hauteur de 0,2 point.

Pouvoir d’achat des ménages et taux de marge des SNF en berne

-) Les ménages souffrent…

Le revenu disponible brut des ménages a fortement reculé au 4e trimestre (-0,5 % t/t), souffrant de la forte hausse de la pression fiscale.

• La masse salariale a continué à progresser, mais un peu plus faiblement qu’au trimestre précédent (+0,3 % t/t, après +0,4 % t/t), sous pression de l’ajustement de l’emploi (44 600 postes ont été détruits dans les secteurs marchands sur le trimestre). Les salaires par tête freinent un peu, mais restent en hausse assez soutenue (+1,9 % a/a, après +2,1 % a/a au T3).

• Les prestations sociales sont restées dynamiques, la hausse du nombre de chômeurs entraînant une augmentation des allocations chômage. Rappelons qu’en moyenne, sur le quatrième trimestre, le taux de chômage au sens du BIT ressort à 10,6 % de la population active en France (y compris Dom) et à 10,2 % en France métropolitaine. C’est le plus haut niveau atteint depuis 1999.

• Le recul du revenu disponible brut des ménages tient surtout à la forte accélération des impôts sur le revenu et le patrimoine. Ils ont bondi de 7 % t/t (après +4% t/t au T3), suite à la mise en application des mesures votées pour 2012, avec notamment la désindexation du barème de l'IRPP, l’instauration d'une contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus, l’alourdissement de l’ISF et des droits de succession, la forte diminution de l’abattement sur les plus-values immobilières (hors résidences principales) et la réduction de niches fiscales.

Parallèlement à ce recul marqué du revenu disponible brut des ménages, les prix à la consommation ont accéléré (+0,3 % t/t, après -0,1 % t/t au T3), notamment sous l’effet de la hausse des prix alimentaires. Il en découle une chute du pouvoir d’achat des ménages très marquée, de 0,9 % t/t, soit 0,8% a/a en glissement.

Afin d’amortir l’impact du recul de leurs revenus sur leurs dépenses de consommation (qui n’ont reculé que de 0,1 % t/t), les ménages ont puisé dans leur épargne. Le taux d’épargne a ainsi diminué de 0,6 point sur le trimestre, de 16,2 % à 15,6 %.

… les entreprises aussi

Le caractère dégradé du compte d’exploitation des SNF se confirme au 4e trimestre. L’effet conjugué du léger recul de la valeur ajoutée (VA) et de l’accélération des prélèvements a entraîné un repli de 1,9 % t/t de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des SNF.

Pour rappel, l’EBE, qui correspond au solde entre les ressources (valeur ajoutée et subventions) et les charges d’exploitation (rémunérations des salariés et impôts liés à la production), peut être associé avec, précaution aux « profits globaux » au sens de la comptabilité nationale.

• La valeur ajoutée des SNF a légèrement reculé en fin d’année (-0,1 % t/t), suivant le repli de la production.

• Malgré la moindre progression de la masse salariale, les rémunérations versées ont accéléré, à cause de la forte hausse des cotisations sociales employeurs. Cette dernière s’explique par la fin du dispositif d’exonération sur les heures supplémentaires et le relèvement du taux de cotisation d’assurance vieillesse.

• Enfin, les impôts sur la production ont fortement augmenté (+3,6 % t/t, après +1,8 % t/t), avec la mise en application de la hausse du taux du forfait social, passant de 8 % à 20 % au 1er août.

Le taux de marge, rapport entre l’EBE et la VA, s’est quant à lui réduit, de 28,2 % à 27,7 %. C’est le plus bas niveau atteint depuis près de 30 ans.

Le revenu disponible brut des sociétés non financières a reculé de 8,8 % t/t au 4e trimestre. Ceci s’explique par le bond de l’impôt sur les sociétés (+20,3 % t/t).

Ce repli de l’épargne est un point important. Le revenu disponible brut (ou épargne, ou encore auto- financement) correspond en effet aux profits restant à la disposition de l’entreprise, une fois les dividendes et les impôts sur les bénéfices versés. Il peut donc être assimilé, là encore avec précaution, aux profits réinvestis ou mis en réserve au sens de la comptabilité nationale. Cette chute est donc un signal peu favorable pour l’évolution de l’investissement des entreprises sur les prochains trimestres.

Une confirmation de notre scénario

Globalement, le détail des comptes du 4e trimestre confirme les hypothèses sous-jacentes de notre scénario: l’assainissement des finances publiques a des effets négatifs sur l’activité (« effet multiplicateur »), qui sont plus marqués pour les entreprises que pour les ménages.

L’effort structurel décidé pour 2013 est très important : il avoisine 40 milliards d’euros, soit 1,9 % du PIB. Il est axé sur une hausse des prélèvements fiscaux et sociaux (trois-quarts de l’effort), qui va à nouveau pénaliser l’activité.

Les ménages, qui disposent d’une situation financière plus favorable, vont pouvoir continuer à jouer sur leur épargne, pour amortir les effets des hausses de prélèvements. Deux périodes seront à distinguer sur l’année :

• Au premier semestre. La masse salariale va continuer à décélérer. L’emploi va encore s’ajuster (taux de chômage attendu à 10,5 % au 2e trimestre 2013), et les salaires progresseront plus mollement, dans le sillage du freinage de l'inflation et de la moindre revalorisation du Smic au 1er janvier 2013 (+0,3%). Néanmoins, les ménages vont pouvoir profiter d’une stabilisation es prélèvements obligatoires en début d’année pour reconstituer leur épargne. Cette dernière est ainsi attendue en hausse, avec un taux d’épargne à 16,1 % au 2e trimestre 2013.

• Au second semestre. La masse salariale restera sous pression et les prélèvements obligatoires augmenteront très fortement, avec la mise en application des mesures votées pour 2013 (alourdissement de la fiscalité sur les placements financiers, non-indexation du barème de l'impôt sur le revenu, création de la tranche a 45%, b5aisse du plafond du quotient familial). Les ménages devraient alors, à l’instar de ce qu’ils ont fait fin 2012, puiser dans leur épargne pour limiter l’impact sur leurs dépenses de consommation. Le taux d’épargne est attendu à 15,1 % fin 2013.

Ainsi, malgré un pouvoir d’achat encore en recul sur l’ensemble de l’année 2013 (-0,3% en moyenne annuelle, après -0,4 %), la consommation parviendrait à globalement se stabiliser sur l’année.

La situation financière des entreprises françaises est plus tendue. Elles disposent ainsi de moins de marges de manœuvre pour investir. Le taux de marge devrait néanmoins commencer à se redresser, dans un premier temps grâce aux gains de productivité réalisés, en lien avec l’ajustement de l’emploi. Il est attendu à 28 % pour les SNF au 2e trimestre 2013, et à 28,2 % en fin d’année. Les entreprises bénéficieront en 2014 des effets du CICE, avec une baisse des coûts unitaires de production et donc une amélioration des profits. Le taux de marge est ainsi attendu à 29,1 % en 2014, après 28,1 %.

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