par Jésus Castillo, économiste chez Natixis
Après un premier avis en mai 2012, concluant que l’Espagne faisait face à de graves déséquilibres macroéconomiques qui devaient être redressés urgemment, la Commission européenne dans sa seconde revue considère désormais que ceux-ci sont devenus excessifs. Elle souligne notamment le niveau très élevé des dettes intérieure et extérieure.
Ainsi sur les seize indicateurs suivis par la Commission, l’Espagne présentait des excès pour 6 d’entre eux fin 2011 : déficit courant supérieur à 3% du PIB (aujourd’hui proche de l’équilibre), position extérieure nette inférieure à -35% PIB, pertes de parts de marchés à l’exportation supérieures à 6%, dette du secteur privé supérieure à 160% du PIB, dette publique supérieure à 60% du PIB, moyenne du taux de chômage sur trois ans supérieure à 10%. L’Espagne se retrouve sous le coup d’une procédure pour déséquilibre macroéconomique excessif qui signifie qu’elle devra présenter un programme de rééquilibrage avec des objectifs et un calendrier précis, conformes aux recommandations que la Commission fera d’ici le 29 mai prochain.
L’avertissement est sérieux. En effet, la Commission semble davantage s’inquiéter de la spirale récessive dans laquelle l’Espagne pourrait s’enfoncer en l’absence de mesures correctrices énergiques, plus que du non respect des objectifs de réduction de déficit budgétaire. Le gouvernement ciblait un déficit budgétaire de 6,3% du PIB en 2012, il sera finalement d’environ 7% et de plus de 10% si l’on inclut l’effet ponctuel des recapitalisations des banques. Il est même fort probable qu’elle accorde une année supplémentaire au gouvernement pour ramener son déficit sous le seuil de 3% en 2015 au lieu de 2014. Par contre elle devrait émettre des recommandations particulièrement contraignantes sur l’agenda des réformes structurelles. Si elle reconnaît les bonnes intentions de l’Espagne, elle juge par ailleurs que les résultats ne sont pas satisfaisants (réforme du marché du travail, réforme du marché des biens et services) et la mise en œuvre effective trop lente.
Le panorama est effectivement complexe. Pour éviter que le piège de l’endettement ne se referme sur elle, l’Espagne doit d’une part procéder à un ajustement bilanciel de l’ensemble des agents économiques publics et privés via une baisse de l’endettement et/ou une amélioration de leur solvabilité. Ce rééquilibrage si l’on exclut l’hypothèse de la restructuration (haircut), ne peut s’opérer que par deux moyens. Soit par l’augmentation de la capacité du pays à générer des richesses, c'est-à-dire par l’accroissement de la croissance potentielle. Soit par l’apparition d’excédents primaires ou de réduction de la charge de la dette, c'est-à-dire par la baisse des taux d’intérêt.
D’autre part, l’Espagne doit opérer un changement de modèle productif afin de rééquilibrer l’offre et la demande de biens et services (réduire la dépendance au reste du monde en termes d’importations et de financement, se réindustrialiser) et ainsi permettre le rééquilibrage du marché du travail (réduction du taux de chômage). Si la solvabilité extérieure est quasiment atteinte avec un solde courant qui devrait redevenir positif dès cette année, il n’en reste pas moins que la dette extérieure nette du pays se stabilisera à un niveau très élevé (environ 90% du PIB) et aura du mal à baisser en l’absence de croissance. La solvabilité budgétaire quant à elle apparaît encore plus difficile à atteindre. Vu le niveau actuel des taux d’intérêt, du ratio de dette publique et du taux de croissance potentielle (proche de zéro), il faudrait que le solde budgétaire primaire s’améliore encore de 6 points. Cette amélioration sera d’autant plus difficile à obtenir dans la mesure où le multiplicateur a très certainement été sous-évalué. En effet, de 2009 à 2012, le déficit budgétaire s’est réduit de 4,4 points (hors recapitalisation des banques) et a nécessité un effort de consolidation d’environ 7 points de PIB.
Enfin, reste la délicate situation du marché du travail. Si les rééquilibrages en cours se poursuivent par la baisse des salaires dans un contexte de relative rigidité des prix, de baisse de la demande domestique, d’absence d’investissement et où au final l’emploi reste la seule variable d’ajustement, alors l’Espagne risque de sortir de la crise mais avec un taux de chômage durablement élevé et fortement appauvrie. Il est donc urgent de s’interroger sur la nature des politiques économiques préconisées aux pays en difficulté.