La démonstration était presque parfaite

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Un excès d’endettement public ne peut être qu’un frein à la croissance. Plus une dette est importante plus son service est élevé, limitant le revenu qui peut être alloué au financement d’autres dépenses, alors que la sensibilité des finances publiques aux niveaux des taux d’intérêt est accrue. D’autres risques peuvent exister: les agents privés peuvent constituer une épargne de précaution en anticipation d’une augmentation de la fiscalité ; les besoins de financement de l’Etat peuvent être tels qu’ils limitent l’accès des entreprises aux financements, ce qui peut par ailleurs conduire à une augmentation des taux d’intérêt. Finalement, face à une dette trop importante, un Etat pourrait choisir de faire défaut, brutalement (restructuration) ou moins (inflation).

La récente crise économique et financière a conduit à une dégradation des finances publiques, aux travers des effets du cycle, des différents plans de sauvetage et des efforts de relance. Mais dès les premières prémices de reprise, la volonté de réduire les déficits publics a vu le jour. L’éruption de la crise grecque a donné des arguments aux tenants de l’austérité. Certains ont vu dans ce cas pourtant très spécifique la réalisation du risque qui pèserait sur tous les Etats: un excès de dépenses publiques ne pourrait que déclencher une envolée des taux d’intérêt, elle-même conduisant à une crise de liquidité évoluant rapidement en crise de solvabilité. Par ailleurs, les tenants de l’austérité budgétaire ont basé leur argumentaire sur des études empiriques, notamment celle d’Alesina et Ardagna1, et celle de Reinhart et Rogoff2. Pour les premiers, l’austérité pouvait être expansionniste, alors que les seconds mettaient en lumière un ralentissement marqué de la croissance dès lors que l’endettement public dépassait 90% du PIB.

Ces travaux ont été, depuis, discutés3. Dans le cas d’Alesina et Ardagna, une revue détaillée des épisodes de rigueur expansionniste soulève deux questions. Si certains pays ont effectivement pu réduire leur ratio d’endettement public sans pour autant plonger leur économie dans la récession, c’est qu’une politique monétaire accommodante permettait d’atténuer les effets d’une politique budgétaire restrictive, alors que les pays en question profitaient d’un relais de croissance externe. On pense ici tout particulièrement au Canada des années 1990. La deuxième question tient à l’estimation des mesures de correction des déficits, puisque les auteurs ont retenu les réductions de déficits constatées ex post, qu’elles résultent de la mise en place de mesures restrictives ou du jeu des stabilisateurs automatiques. Cette approximation a conduit les auteurs à identifier davantage d’épisodes de rigueur expansionniste que l’histoire en a, en fait, connus. L’autre conclusion de ces travaux a aussi conduit à privilégier la réduction des dépenses à l’augmentation des prélèvements. Au-delà du postulat qui veut que le marché alloue plus efficacement les ressources que le gouvernement, les auteurs voyaient dans cet équilibrage les fondements d’un retour de la confiance, ingrédient nécessaire à une croissance auto-entretenue.

Après quelques années d’expérimentation au Sud de la zone euro, la question des bénéfices supposés de l’austérité reste très débattue : la récession se prolonge en Italie, Espagne, Portugal, Grèce, le choc de confiance n’a pas eu lieu et, malgré l’action de la BCE, les taux d’intérêt restent trop élevés. Avec le recul de l’activité, les ratios d’endettement ont continué d’augmenter. Les mesures d’austérité ont eu des effets d’autant plus marqués qu’elles n’ont pas été compensées par des dévaluations ou, comme aux Etats-Unis ou au Royaume Uni, par des achats de la banque centrale4. Elles ont probablement contribué à abaisser le niveau d’activité potentiel dans certains pays (Grèce), puisqu’ont été réduites, aussi bien les dépenses de fonctionnement que les dépenses d’investissement (infrastructures, recherche et développement, éducation). Quant à l’effet d’éviction (les besoins de financement publics assèchent les financements du secteur privé), sa réalisation dans certains pays en crise semble liée aux disfonctionnements du marché monétaire : les banques commerciales des pays en crise ne peuvent compter que sur la BCE pour leur accès à la liquidité, les obligeant à détenir suffisamment de collatéral éligible, ce qui les conduit à privilégier les achats de titres souverains à la distribution de crédit à l’économie.

Certes, l’Europe du Sud n’avait d’autre choix que la rigueur, puisque d’ores et déjà confrontée à une envolée des taux d’intérêt. Mais en dehors de la zone euro, d’autres pays l’ont adoptée, sans pression aucune des marchés. Au Royaume-Uni, les résultats ne sont que légèrement moins décourageants qu’en Europe continentale et si l’économie américaine résiste mieux, la croissance peine à dépasser 2%. De Reinhart et Rogoff, nous aurions préféré que soient retenus leurs travaux précédents, et notamment leur livre, paru en 2009, This Time is Different, dont l’une des conclusions aurait dû être au centre des préoccupations : suite à une crise de la dette, qu’elle soit privée ou publique, bancaire ou non, la croissance reste déprimée pour une décennie au moins. Ce seul constat aurait dû repousser l’austérité à un second temps, après qu’un policy-mix accommodant eut permis un retour à la croissance. Au moins, la tentation de la rigueur semble-t-elle moins forte. En Europe, la Commission Européenne accorde plus de temps pour le respect des objectifs budgétaires, alors que les critiques à l’encontre de l’austérité britannique se multiplient (FMI, agences de notation). S’il est plus difficile de trouver des éléments encourageants dans l’actuelle politique budgétaire américaine, au moins la Fed conduit-elle une politique qui brille par son absence d’automatisme et de dogmatisme.

  1. “Large Changes in Fiscal Policy: Taxes Versus Spending”, Alberto F. Alesina et Silvia Ardagna, NBER Working Paper n°15438, octobre 2009.
  2. “Growth in a Time of Debt”, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, NBER Working Paper n°15639, janvier 2010.
  3. Par le FMI, notamment. Voir «Will it hurt? Macroeconomic effects of fiscal consolidation», World Economic Outlook, October 2010, et «The good, the bad and the ugly: 100 years of dealing with public debt over hangs» World Economic Outlook, October 2012.
  4. Les données de l’OCDE montrent des réductions annuelles de déficits structurels, de 2010 à 2012, de 5,5 points de PIB en Grèce, 2,2 points au Portugal, 1,9 point en Espagne et 1,1 point en Italie.

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