par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM
Le début du mois de février avait été porté par les espoirs suscités par le nouveau plan de stabilité financière. Mais, lorsque les espoirs sont excessifs, ils sont très souvent déçus et les marchés ont cette fois aussi été frustrés par le manque de clarté entourant ce nouveau plan. Les marchés financiers internationaux sont à la recherche d’une « solution miracle » pour résoudre la crise financière et économique mais n’ont pour l’heure rien obtenu de la nouvelle administration Obama ni de la Réserve fédérale.
Du coup, la confiance des investisseurs se dégrade. Mais il n’existe aucune formule magique à cette crise financière, à l’exception d’une volonté politique absolue de venir à bout des racines du mal au lieu de simplement en traiter les symptômes. Ainsi que Ben Bernanke l’a clairement énoncé lors de son récent témoignage, l’économie américaine devrait « donner des signes de redressement en 2010 à une condition sine qua non : la stabilisation du système financier ».
Ainsi que l’a ostensiblement démontré l’expérience japonaise, il ne suffit pas d’injecter de l’argent dans l’économie réelle si l’on ne prend pas la peine de soigner les établissements bancaires. Il s’agit de loin d’une question politique. Venir au secours des banques s’avère en effet une opération délicate sur le plan politique car les électeurs vont exiger la tête des banquiers. C’est la raison pour laquelle le plan de sauvetage du secteur bancaire élaboré par le secrétaire au Trésor américain Tim Geithner a été présenté de telle sorte que ses meilleurs arguments ne soient pas connus du grand public, notamment le mécanisme destiné à capter l’argent privé vers les marchés financiers en offrant une option ouverte sur la reprise du secteur financier. Le TALF (Term Asset-Backed Securities Lending Facility) est à notre avis un puissant outil dont les aspects positifs ont tendance à ne pas être considérés à leur juste valeur. Il a le potentiel pour devenir une « banque parallèle » financée par le gouvernement et représente près d’un trillion de dollars américains.
Nous pensons que l’économie américaine et l’économie mondiale plus généralement vont se redresser en dépit de l’extrême faiblesse observée actuellement un peu partout dans le monde. Plus l’activité économique ralentira, plus la réponse des autorités sera énergique, augmentant d’autant les chances d’une reprise en 2010. La principale incertitude porte sur la capacité de cette réponse politique à gagner en efficacité et à réussir enfin à anticiper les problèmes au lieu de chercher à les résoudre a posteriori. Nous sommes fermement convaincus que ce scénario va se réaliser, même si la récession aux États-Unis devrait se révéler plus sérieuse et la reprise se manifester plus tardivement que ce que l’on prévoyait il y a encore deux semaines.
Les valeurs européennes se négocient désormais sur des multiples de valorisation attrayants pour les investisseurs qui peuvent se permettre le luxe d’avoir une vision à moyen terme ; toutefois, l’aspect « valorisation » est largement compensé par l’absence de visibilité. Nous avons le sentiment que le marché vient d’amorcer son ultime phase baissière et qu’une stabilisation décisive devrait enfin se manifester au cours du deuxième trimestre. Nous sommes désormais proches du creux de la vague car nous avons maintenant atteint la phase de répulsion envers les valeurs financières. Cela signifie que les investisseurs ne sont désormais plus prêts à acquérir des valeurs financières à n’importe quel prix. Plus que jamais, l’orientation du marché est largement tributaire du sort des valeurs financières. Il serait trompeur de vouloir évaluer les marchés d’actions lorsque les résultats sont au fond du gouffre.
La valorisation des marchés dépend de l’efficacité de la réponse des autorités et d’une solution globale pour le système bancaire. Le 20 novembre 2008, le S&P 500 avait clôturé sur un plancher de 752 points mais a de nouveau trébuché et les marchés d’actions restent au bord du gouffre. Prenons garde car lorsque le marché s’enfonce vers de nouveaux abîmes, cela provoque invariablement une avalanche de déclarations politiques : sauvetage de Bear Stearns en mars, de Fannie Mae et Freddie Mac en juillet, TARP en septembre. Que le marché touche le fond et les politiques montent au créneau, ce qui provoque un rebond violent avant un nouvel effondrement pire que le précédent. Il s’agit d’un schéma récurrent. A quelle annonce doit-on s’attendre cette fois-ci ?
Restaurer le système financier
Loin d’être parfait, le nouveau plan représente néanmoins un réel progrès. Son succès réside dans les éléments de détail, les mesures incitatives, l’exécution et des financements plus importants.
L’avancée la plus importante porte sur la mise en œuvre d’un « stress test généralisé » pour vérifier la viabilité des banques et leur apporter le cas échéant de nouveaux capitaux. Une question essentielle n’a toutefois pas été tranchée : la distinction entre les bonnes et les mauvaises banques. Dans ses nombreux écrits sur le sujet, Kindelberger fait observer qu’à l’apparition de la crise, il est nécessaire de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises banques, d’éviter de permettre aux « banques zombies » de survivre et de concentrer les aides sur les banques viables. Ce test pourrait répondre à cette question ; il sera obligatoire pour les établissements bancaires disposant de plus de 100 milliards de dollars d’actifs. Il contribuera à clarifier la situation des bilans des banques.
La seconde avancée du plan porte sur l’enveloppe de 100 milliards de dollars destinée à limiter les saisies. En autorisant la renégociation des termes des contrats de prêts hypothécaires des emprunteurs au bord de la faillite, cela devrait permettre de faire baisser la valeur des prêts hypothécaires à un niveau inférieur à la valeur estimative du collatéral. Les autorités fédérales devraient aussi bonifier le taux d’intérêt afin de rendre le refinancement de prêts plus abordable.
La principale faiblesse porte sur la conception de la structure de défaisance destinée à absorber les actifs toxiques des banques dans le cadre d’un partenariat public-privé. Cette structure aura une taille importante, jusqu’à 1 trillion de dollars, mais elle manque de précisions sur la valorisation des actifs toxiques et sur qui supportera les pertes.
Alternative à la structure de défaisance, l’institution d’une assurance globale sur la dette financière.
Aujourd’hui, les États-Unis garantissent les dépôts à hauteur de près de 3 trillions de dollars mais compte tenu du développement et de l’évolution du système financier, le gouvernement américain devrait-il élargir le champ de ces activités d’assurance de façon à y inclure une partie des dettes financières supportées par le « shadow banking system » ?
Depuis plusieurs années, les encours de titrisation sont supérieurs à l’encours des prêts bancaires en pourcentage de la dette privée. Contrairement aux gros titres de la presse récemment, les banques ont redémarré leur activité de prêts, mais c’est le système bancaire parallèle qui vacille. Les « shadow banks », les hedge funds, les banques d’investissement et autres SIV ont été contraints de se désendetter et les fonds publics ont été concentrés sur des bailleurs de fonds institutionnels plus visibles.
Vers une banalisation des « banques zombies » ?
Face à une récession comptable, comme c’est le cas actuellement, les banques cherchent à minimiser leurs passifs plutôt qu’à maximiser leurs profits. Elles ont ainsi tendance à stocker des liquidités, plutôt qu’à accorder des prêts non productifs. Le coût de l’argent (c’est-à-dire le niveau des taux d’intérêt) n’a donc que peu d’impact pour relancer la machine et inciter les banques à consentir de nouveaux prêts. Injections de capitaux frais, création de nouveaux crédits et élimination des prêts non performants constituent en revanche les remèdes. Tant le fonds d’investissement public-privé que le TALF dans sa version étendue vont plus spécifiquement donner aux institutions financières des moyens plus importants pour leur permettre d’épurer leurs bilans des actifs toxiques et établir un mécanisme pour acheter de nouveaux crédits.
Les autorités américaines ont enfin pris des mesures pour trier les bonnes banques des banques « zombies ».
Il s’agit d’un processus en deux étapes. Dans un premier temps, il consiste à effectuer une évaluation des fonds propres à partir de prévisions économiques « défavorables ». S’il ressort à l’issue de ce test que la banque concernée a besoin de davantage de capitaux pour lui permettre de faire face sans difficulté à ses pertes et de poursuivre son activité de prêts, elle disposera d’une fenêtre de six mois au cours de laquelle elle aura la possibilité de lever des fonds directement auprès du marché ou d’avoir accès aux capitaux mis à disposition par le Trésor dans le cadre du « Capital Assistance Program ». Les capitaux apportés par le Trésor prendront la forme d’actions privilégiées obligatoirement convertibles en actions ordinaires (à l’issue d’une période de 7 ans) offrant un dividende de 9 %. Ces « stress tests » sont fondés sur des hypothèses pessimistes : croissance négative de 3,3% en moyenne en 2009 et progression de 0,5 % en 2010, taux de chômage de 8,9 % pour 2009 et de 10,3 % pour 2010 et baisse des prix des logements de 22 % en 2009 et de 7 % supplémentaires en 2010 (estimations fondées sur l’indice Case Shiller des prix de l’immobilier dans 10 régions métropolitaines). L’incertitude concerne l’ampleur des pertes potentielles dans un tel scénario pessimiste.
Si la distinction entre bonnes et mauvaises banques n’est pas établie, quelle est l’alternative pour les autorités ? Maintenir les banques insolvables sous perfusion permanente comme on le ferait pour un patient diabétique à qui l’on devrait injecter régulièrement sa dose d’insuline ? Au début des années 1990, le Japon a subi un effondrement des prix de l’immobilier et des cours boursiers qui a plongé les grandes banques du pays vers la faillite. Plutôt que de laisser ces banques disparaître ou de les recapitaliser, le Japon a opté pour une approche plus simple, accorder des garanties explicites ou implicites et mettre en place des plans de sauvetage gouvernementaux au coup par coup, permettant à ces établissements de tout juste survivre.
Conséquence : ces établissements moribonds n’ont pas été en mesure de soutenir la croissance économique. Malheureusement, les États-Unis pourraient répéter les erreurs du Japon en considérant que le problème auquel le système bancaire est confronté aujourd’hui est un problème de liquidité et non de solvabilité. La plupart des propositions formulées jusqu’à présent supposent que dès lors que la confiance aura été rétablie sur les marchés financiers, la situation des banques se rétablira de sorte que le risque est élevé de permettre aux banques « zombies » de survivre. Le résultat serait une décennie de perdue pour l’économie américaine et mondiale.
L’assouplissement quantitatif se propage
L’assouplissement quantitatif débarque en Europe. La Banque d’Angleterre est la première en Europe à avoir commencé à racheter des emprunts d’État britanniques (gilts) et d’autres actifs dans le but d’accroître la masse monétaire. Tout rachat d’actif par une banque centrale peut s’apparenter à faire marcher la planche à billets. L’efficacité d’une telle politique dépend en grande partie du choix des actifs rachetés. On observera qu’il existe probablement dans ce cas une corrélation négative : en effet, plus les actifs rachetés s’apparenteront à des disponibilités (en termes de liquidité, de maturité et de risque de crédit), moins les mesures d’assouplissement quantitatif auront un impact significatif.
Le type d’assouplissement quantitatif proposé au Royaume-Uni pourrait fonctionner via différents canaux : il pourrait ainsi inciter les banques à utiliser les dépôts supplémentaires pour octroyer de nouveaux prêts, accroître les ressources des vendeurs de ces actifs et influer ainsi sur leur comportement, contribuer à faire baisser les rendements des emprunts d’État et, enfin, et ce n’est pas négligeable, permettre d’abaisser les coûts d’emprunt pour les entreprises d’une manière plus directe. La Banque Nationale Suisse vient de suivre l’exemple de la Banque d’Angleterre. La BCE va-t-elle s’engager dans la même voie ?
Les dépenses publiques comme nouveau moteur de croissance
Tout le monde se demande quels sera le prochain moteur de croissance dès lors que le processus de reconstitution des stocks sera achevé. Il ne faut pas perdre de vue cette équation de base : PIB = C+I+P+(EX-IM), où « C » représente la consommation, « I » les investissements, « P » les dépenses publiques et « EX-IM » les exportations nettes. « P » va prendre un rôle de plus en plus important dans la mesure où « C » devrait rester en plein désarroi pendant un certain temps. Les portefeuilles doivent prendre en compte le fait que « I » et « C » vont avoir une influence relativement moins importante à moyen terme.
L’épargne est durablement orientée à la hausse. En janvier, l’épargne des ménages a ainsi progressé pour s’établir à 5 % du revenu disponible aux États-Unis, un niveau inégalé depuis près de 14 ans. Il s’agit d’un retournement de tendance très net comparativement au paroxysme de la bulle immobilière en 2005 où l’on observait des taux d’épargne négatifs avec des ménages qui dépensaient plus d’argent qu’ils n’en gagnaient. Cette tendance à la hausse de l’épargne n’est pas terminée et va nécessiter la mobilisation de fonds publics supplémentaires pour contrer la pression déflationniste.
L’un de nos thèmes favoris « l’avenir sera à la modération » reste donc d’actualité.
La question de la dérivée seconde : suite…
Dans notre précédent commentaire mensuel, nous avions abordé la question de la dérivée seconde, à savoir : la dynamique des indicateurs avancés. Dans le contexte actuel des marchés, il est d’autant plus important d’être particulièrement attentifs à l’évolution des indicateurs du secteur manufacturier et des autres indicateurs économiques qui donnent des signes d’amélioration depuis deux mois. L’indice composite des indicateurs économiques avancés est ainsi ressorti en hausse pendant deux mois consécutifs. L’indice PMI chinois s’est redressé pour le troisième mois consécutif. Ce qui soulève la question suivante : sommes-nous proches d’un point de retournement ? Cette lueur d’espoir doit néanmoins être considérée avec prudence.
L’amélioration de la dérivée seconde intervient alors que l’économie mondiale connaît sa pire récession depuis 60 ans; des données supplémentaires sont nécessaires pour apprécier la stabilité de l’amélioration. Les stocks restent pléthoriques malgré cinq trimestres de liquidation. Si l’on observe la relation historique entre l’indice ISM, les performances des actions et les principales périodes d’effondrement des marchés, l’on aboutit aux conclusions suivantes :
- un redressement durable de l’indice ISM s’accompagne presque toujours d’un effet positif sur les actifs risqués 12 mois plus tard ;
- cependant, le décalage entre actions et indice ISM a un impact majeur sur le résultat. Ainsi, si les marchés d’actions touchent le fond avant l’ISM, cela se traduit par des rendements boursiers plus importants car les investisseurs ont dans ce cas une conviction plus forte dans une reprise que lorsque c’est le schéma inverse qui se produit.