Face à la crise, le gouvernement prend-il les bonnes mesures ?

Par Olivier Ferrand, président de Terra Nova

La politique de relance du gouvernement est-elle efficace ?

En annonçant son plan le 4 décembre 2008 à Douai, le Président de la République avait promis d’injecter 28,6 Md€ dans l’économie française. Or, comme l’a révélé une note de Terra Nova, la réalité de ce plan se situe en-deçà des annonces : son montant total ne dépassera pas 10 Md€, auxquels s’ajoutent les 2,6 Md€ du sommet social de février 2009, c'est-à-dire 0,6 points de PIB pour 2009. Il s’agit des mesures les plus faibles, en volume, de tous les pays de l’OCDE.

Les mesures prises sont-elles justes ?

S’il faut saluer les mesures d’investissement public prises par le gouvernement, l’urgence de la crise exige de soutenir le pouvoir d’achat. Or, comme il l’avait fait au début du mandat avec le « bouclier fiscal », le gouvernement tourne le dos aux classes moyennes et populaires en refusant de soutenir fortement la consommation. Au-delà de l’inefficacité économique, ce choix pose la question de la justice sociale.

La politique de relance est-elle durable ?

Au contraire des mesures prises aux Etats-Unis, qui sont résolument tournées vers une « croissance verte », le plan français ne consacre que 600 millions d’euros à l’environnement. Par ailleurs, certaines mesures sont en contradiction avec les préconisations du Grenelle de l’environnement.

Pourtant, une relance efficace, juste et durable est possible :

  • En accordant le volume du paquet à ses ambitions : Terra Nova proposait en décembre d’investir 40 Md€, soit 2% du PIB ;
  • En axant l’investissement public sur des projets « verts »,
  • En relançant la consommation par une baisse de 2 points de TVA et par des mesures ciblées sur les ménages modestes ;
  • En coordonnant les plans de relance européens.

LES MESURES GOUVERNEMENTALES FACE A LA CRISE COMPRENNENT DEUX VOLETS

  • un plan présenté le 4 décembre par le Président de la République à Douai : Terra Nova en avait dressé l’analyse critique dans une note1 ;
  • des mesures fiscales et sociales annoncées à l’issue du sommet social du 18 février.

Que penser de ces mesures ?

1 – RAPPEL DES MESURES GOUVERNEMENTALES

1.1 – LE PLAN DE RELANCE

Le plan est annoncé comme un paquet de 26 Md€ (1.3% du PIB) pour soutenir l’activité, axé sur l’investissement. Il se compose de trois séries de mesures :

  • Des investissements pour 10 Md€. Il s’agit d’une accélération des investissements publics autour des grands projets en cours : infrastructures (lignes TGV, tramways RATP, canal Seine Nord, infrastructures électriques), université (plan campus), défense.
  • Des mesures de trésorerie pour les entreprises et les collectivités locales pour 11 Md€. Concrètement : paiements et remboursements anticipés de TVA, du crédit impôt recherche, des trop perçus d’impôt sur les sociétés, acompte de 20% sur les marchés publics, remboursement anticipé pour les collectivités du fonds de compensation de la TVA…
  • Des mesures en faveur de la consommation pour 4Md€. On y trouve des mesures ciblées sur le logement (doublement du prêt à taux zéro), l’automobile (prime à la casse), l’emploi (soutien au chômage partiel, exonération supplémentaire de charges), et les salariés les plus modestes (prime de 200€ aux futurs bénéficiaires du RSA).
1.2 – LES MESURES ISSUES DU SOMMET SOCIAL

Après la journée de manifestation du 28 janvier, le Président de la République annonce, lors d’une intervention télévisée du 5 février, un complément « social » à son plan de relance, d’un montant de 1.4 Md€ – montant correspondant aux intérêts versés à l’Etat par les banques bénéficiant du soutien public.

Finalement, lors du sommet du 18 février avec les partenaires sociaux, Nicolas Sarkozy présente un ensemble de mesures fiscales et sociales à hauteur de 2.6 Md€, notamment :

  • une indemnisation de 75% au lieu de 60% du chômage partiel ;
  • une prime « exceptionnelle » de 150 euros pour les trois millions de familles bénéficiant de l’allocation de rentrée scolaire ;
  • des bons d'achats de 200 euros par foyer pour l'aide à domicile, la garde d'enfants, le soutien scolaire, le ménage, versés avant la fin du premier semestre 2009 à des ménages ciblés ; – une prime de 500 euros pour les chômeurs ayant seulement travaillé de 2 à 4 mois ;
  • une réduction d’impôts en 2009 pour six millions de contribuables ;
  • la création d’un fonds d'investissement social, ciblé sur la formation des salariés en difficulté.
     

2 – LES MESURES GOUVERNEMENTALES NE SONT PAS LES BONNES

2.1 – UNE EFFICACITE ECONOMIQUE TRES LIMITEE

Les mesures gouvernementales se caractérisent par l’insuffisance de leurs montants et l’inefficacité de leur composition.

Des mesures spectaculairement insuffisantes en volume.

Les mesures gouvernementales affichent un montant total de 28.6 Md€, soit 1.4% du PIB. Cela situe la France très en-dessous des préconisations du FMI (relance de 2% du PIB), des plans de nos partenaires européens (2 à 2.5 points de PIB), des Etats-Unis (6 points de PIB) ou de la Chine (14 points de relance).

Surtout, la note de Terra Nova précitée a montré que la réalité du plan de relance se situe très en-deçà de l’affichage. Les mesures de trésorerie aux entreprises ne constituent pas des versements supplémentaires d’argent aux entreprises mais simplement des remboursements anticipés : elles leur permettent d’économiser des frais de trésorerie, environ 0.5 Md€ d’intérêts d’emprunts et non 10 Md€. Les investissements sont très longs à mettre en œuvre : dans une hypothèse optimiste, seuls 5 Md€ sur les 10 annoncés pourraient être dépensés en 2009.

Au total, le plan de relance ne dépassera pas les 10 Md€ en 2009, auxquels s’ajoutent les 2.6 Md€ du sommet social. On se situe à moins de 13 Md€, soit 0.6 point de PIB.

Les mesures de relance françaises apparaissent ainsi comme les plus faibles, en volume, de tous les pays de l’OCDE – quatre fois inférieures aux relances des Etats européens, dix fois inférieures à la relance américaine.

Une composition déséquilibrée

Le gouvernement insiste sur les mesures d’investissement. Il a raison. Le choix de l’investissement public comme moteur principal de la relance est pleinement justifié en termes d’efficacité économique : ce sont les investissements qui produisent les effets de relance les plus puissants sur l’activité(2) et ils permettent aussi de nourrir le potentiel de croissance à terme.

Les mesures d’investissement ont des effets profonds et durables, mais elles prennent du temps à se déployer. Or nous nous trouvons aujourd’hui dans l’œil du cyclone : l’économie française a besoin de mesures de relance d’effet immédiat, pour amortir le choc de la crise au premier semestre 2009.

Seules des mesures de soutien du pouvoir d’achat offrent de tels effets immédiats.

Or le gouvernement refuse de relancer le pouvoir d’achat, sur la base deux mauvais arguments.

Argument n°1 : les mesures de pouvoir d’achat, qui passent par le revenu des ménages, peuvent être épargnées et non consommées. Elles n’auraient alors pas d’effet de relance économique. C’est vrai. Il y a une déperdition. Mais un ciblage sur les ménages les plus modestes, qui n’ont pas la capacité d’épargner et consomment l’intégralité de leurs revenus, permet de lever cette hypothèque.

Argument n°2 : une relance nationale est inefficace parce que, dans une économie ouverte, elle accroît avant tout les importations. On relance la croissance en Allemagne et en Chine, mais pas en France. Le gouvernement cite ainsi en contre-exemple la relance socialiste de 1981. Cet argument est exact en cas de relance unilatérale, comme ce fut le cas en 1981. Il tombe si les relances sont coordonnées. Aujourd’hui, tous les pays du monde – Europe, Amérique, Asie – mettent en place des plans de relance massifs ; la quasi-totalité de ces plans sont plus énergiques que le plan français. Il n’y a donc pas de relance isolée française.

Au total, les mesures gouvernementales sont déséquilibrées : elles reposent sur une seule jambe, celle des investissements, et oublie la seconde, la consommation et le pouvoir d’achat.

2.2 – UN PROBLEME DE JUSTICE SOCIALE

Le refus de la relance par le pouvoir d’achat, au-delà de l’inefficacité économique, pose la question de la justice sociale.

Le chômage et le chômage partiel augmentent rapidement. Le pouvoir d’achat a été fortement entamé par la hausse moyenne du pétrole en 2008 : une hausse de 50% (de 60 à 90€). La dernière livraison de l’INSEE sur le partage de la valeur ajoutée montre que ce choc a été répercuté intégralement sur le travail, alors que les chocs pétroliers précédents faisaient l’objet d’un « partage du fardeau » entre capital et travail.

Veut-on oui ou non venir en aide aux classes moyennes et populaires, qui sont les premières victimes de la crise économique la plus grave depuis 1929 ? Le gouvernement de Nicolas Sarkozy répond à nouveau « non », comme il avait répondu « non » au début de son mandat avec son paquet fiscal réservé aux Français les plus aisés. Le pouvoir d’achat était pourtant une des grandes priorités de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Les mesures sociales annoncées en février ne remettent pas en cause le déséquilibre du plan de relance initial : d’un montant 2.6 Md€, elles demeurent d’un impact marginal. Elles ne constituent en aucun cas un second plan de relance, au contraire des engagements massifs des partenaires de la France.

L’Allemagne, notamment, a pris la mesure de la crise en arrêtant un second plan de relance de 50 Md€. Même la Norvège fait plus d’efforts que la France, avec un second plan de 11,4 Md€.

 2.3. LE TOURNANT RATE DE LA « CROISSANCE VERTE »

L’American Recovery and Reinvestment Act de Barack Obama prévoit un stimulus de 800 Md$, avec un large volet investissement centré sur la croissance verte. L’objectif est de lancer la mutation de l’économie américaine vers un modèle de développement durable.

Rien de tel en France. Une part limitée du plan de relance est consacrée à l’environnement : 600 millions d’euros, de l’ordre de 2%. 

Surtout, de nombreuses mesures vont dans le mauvais sens en terme écologique. L’Alliance pour la planète a recensé une trentaine de mesures incompatibles avec les engagements du Grenelle de l’environnement. Les plus spectaculaires concernent la construction de trois nouvelles autoroutes, alors que le Grenelle a conclu la fin de l’extension du réseau autoroutier national, et la prime à la casse, qui n’est pas réservée aux voitures propres. Le WWF a pu ainsi parler d’un « plan de relance par la pollution ».

3 – ELEMENTS D’UN PAQUET PROGRESSISTE ALTERNATIF

3.1 – UN PLAN DE RELANCE VIGOUREUX 

La question du volume du paquet se pose. Les pays européens les plus volontaristes présentent des plans qui atteignent un volume global de 2.5% du PIB. Terra Nova a proposé, dans sa note de décembre, un paquet de l’ordre de 2%, soit 40 Md€. Le contre-plan du parti socialiste, en janvier, atteignait 50 Md€. C’est désormais un minimum pour être à la hauteur des enjeux d’une crise qui s’est encore approfondie.

Le gouvernement invoque les risques de dérapage non-contrôlé des finances publiques. Il est vrai que la relance gouvernementale aurait été rendue plus facile si les finances publiques avaient été assainies ces dernières années : on peut d’autant plus dépenser en période de vaches maigres (en « bas de cycle » disent les économistes) que l’on a économisé en période de vaches grasses, en haut de cycle. Or aucun gouvernement, depuis 1974, n’a présenté un budget en équilibre et la dette s’est accrue : elle était de 65% du PIB avant le début de la crise, elle a déjà bondi à 74%.

Cela étant, l’endettement de la France demeure encore raisonnable. Il se situe en haut de la moyenne européenne, mais sans excès. Il reste encore des marges de manœuvre importantes. Le Japon, lors de sa grande crise du début des années 90, avait laissé filé sa dette jusqu’à près de 200% du PIB.

Une injection massive est nécessaire aujourd’hui pour encaisser le choc de la crise. La France en a encore les moyens. Tous les autres pays européens et occidentaux le font, alors que certains sont dans des situations budgétaires beaucoup plus problématiques.

En revanche, il est essentiel que les mesures prises aujourd’hui soient transitoires, et que le gouvernement se lance dès la sortie de crise dans un exercice de rigueur budgétaire de grande ampleur pour permettre un retour rapide du budget à l’équilibre, et un reflux de l’endettement. Le gouvernement l’a promis – comme tous les précédents…

3.2 – UN CONTENU EFFICACE, EQUITABLE ET DURABLE

Sur la base de 40Md€ pour 2009, un plan de relance progressiste pourrait comprendre quatre séries de mesures :

  • La relance de l’investissement public autour de la croissance « verte ». Cela passerait par le lancement progressif de grands projets. 5 Md€ en 2009 paraît le montant maximum crédible pour 2009. Mais en 2010, l’effort de relance devra être relayé pour l’essentiel par l’investissement, autour de 20 Md€.
  • La baisse de la TVA de 2 points. Elle agirait dès 2009 sur la consommation des ménages (20 Md€).

Elle serait réversible : le retour à la norme serait ajustable dans le temps, pour être calé sur la conjoncture économique. Cette mesure a un effet multiplicateur relativement limité mais elle a un impact immédiat, général et permet une coordination européenne. Des travaux américains actuels (David et Christina Romer) montrent en outre que le multiplicateur fiscal augmente fortement en temps de crise. 

  • Des mesures ciblées sur les ménages modestes. Terra Nova a proposé en décembre un : « chèques crise » pour un montant de 11 Md€ pour les bénéficiaires du RSA et de la PPE, soit plus de 1.000€ par foyer bénéficiaire. Elles permettraient une réinjection massive au profit des ménages en difficulté. Elles seraient efficaces (revenus supplémentaires quasi-intégralement consommés) et justes. Elles pourraient être gagées sur une révision du « paquet fiscal » de l’an dernier. C’est cette logique qu’a mise en œuvre Gordon Brown, en instaurant une fiscalité supplémentaire pour les plus riches afin de contribuer au financement de la baisse de deux points de TVA. Par ailleurs, un fonds d’investissement social, tel que préconisé par la CFDT, pourrait être créé pour aider au retour à l’emploi des chômeurs et des jeunes entrants, particulièrement fragilisés par la crise : ce fonds, doté de 5 Md€, serait le premier jalon vers l’instauration en France d’une véritable « sécurité sociale professionnelle ». 
  •  Une relance coordonnée au niveau européen. La présidence française aurait du déployer autant d’énergie politique sur ce point qu’elle ne l’a fait pour le plan de sauvetage des banques. La TVA, dont les règles sont harmonisées au niveau européen, est l’instrument le plus naturel pour une telle coordination.

Un tel paquet aurait des effets beaucoup plus rapides dès 2009, couplés à une politique de justice sociale et de développement durable sans comparaison en donnant la priorité à la relance du pouvoir d’achat des plus modestes et aux investissements « verts ».

NOTES

(1) Note Terra Nova du 8 décembre, « Les vrais chiffres du plan de relance ».
(2) L’investissement a le plus fort « multiplicateur » macroéconomique : les modèles montrent qu’augmenter l’investissement de 1 point de PIB conduit à un surcroît de croissance d’un point voire plus.

Retrouvez les études de la Fondation Terra Nova.