par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• La BCE a pris la quasi-totalité des observateurs de court en baissant son principal taux directeur de 25 pdb, à 0,25%. Elle a toutefois maintenu son taux de dépôt à 0%.
• La principale explication de ce geste intervenant plus tôt que prévu est le risque de « période prolongée d’inflation basse », bien que la balance des risques sur la stabilité des prix n’ait pas été formellement révisée à la baisse. Les prévisions du staff, en décembre, et l’évolution des anticipations d’inflation (notamment l’enquête Survey of Professional Forecasters à paraître la semaine prochaine) seront des éléments-clés pour juger d’un éventuel prochain geste de la BCE.
• In fine, la baisse du taux de refinancement a pour but de renforcer le guidage des anticipations, une politique confirmée par la BCE ce mois-ci. Des facteurs techniques, tels que la volonté de limiter la volatilité de l’Eonia, ont également pu jouer un rôle dans la décision de la BCE.
• Côté liquidité, la BCE a décidé de prolonger le régime d’appels d’offres illimités jusque mi-2015, en ligne avec nos attentes. D’autres instruments restent envisageables, notamment une opération de refinancement à très long terme (v-LTRO), mais la BCE n’a pas discuté de cette éventualité en détail.
La décision de la BCE de baisser le taux « Refi » de 25 pdb cette semaine a surpris les observateurs, qui pour la plupart n’attendaient pas de baisse des taux avant décembre. La décision n’a pas été adoptée à l'unanimité, mais « une large majorité des membres du Conseil des gouverneurs a considéré que les éléments disponibles étaient suffisants pour agir dès aujourd’hui », tandis que d’autres membres « préféraient réserver leur point de vue pour le mois prochain ».
Mario Draghi a longuement expliqué les raisons qui ont amené à cette action intervenant plus tôt qu’attendu. Le déclencheur, avant toute autre chose, a été le chiffre particulièrement bas de l’inflation en zone euro au mois d’octobre (0,7% a/a), qui reflète une modération généralisée des composantes de l’indice IPCH selon le président de la BCE. Ce chiffre a changé les perspectives d’inflation, mais le Conseil des gouverneurs a décidé de ne pas modifier sa balance des risques en termes de stabilité des prix. De fait, le communiqué de la BCE note à présent que «nous pourrions connaître une période prolongée d’inflation basse, qui serait suivie d’une remontée graduelle de l’inflation vers un peu moins de 2% ».
La forte réaction du marché à l’annonce de la décision et à la conférence de presse – réaction qui s’est produite malgré un premier décalage des anticipations de taux après la publication des données d’inflation la semaine dernière – suggère que la BCE a obtenu ce qu’elle voulait dans un premier temps. Mario Draghi a clairement indiqué qu’un taux de dépôt négatif et/ou une opération de refinancement à très long terme (v-LTRO) étaient possibles à l’avenir, si les risques de déflation venaient à augmenter. La deuxième éventualité nous semble plus probable que la première, mais toute décision de cette nature dépendra des conditions de liquidité dans les mois qui viennent.
Tout est affaire de guidage des anticipations
Toutes les décisions prises par la BCE doivent être vues comme des moyens supplémentaires destinés à renforcer sa politique de guidage des anticipations. La BCE conserve ainsi un biais baissier et «n’a pas atteint la limite basse » sur les taux directeurs. Cet argument s’applique également à la prolongation de ses allocations illimitées de liquidités à taux fixe (Fixed-Rate, Full Allotment, ou FRFA) jusque mi-2015. La prolongation précédente avait été annoncée mai 2013 (jusqu’en juillet 2014, i.e. pour une période d’un peu plus d’un an). Cette fois-ci, la prolongation est de 20 mois environ, une durée jamais atteinte auparavant qui non seulement constituera un filet de sécurité pour les banques de la zone euro pendant la revue des bilans bancaires (Asset Quality Review, ou AQR) et les stress tests l’an prochain, mais fournit également – de manière indirecte – une estimation approximative de la période pendant laquelle la BCE pourrait maintenir sa politique de guidage des anticipations.
Une baisse du taux Refi intervenant plus tôt que prévu répond également à plusieurs autres objectifs. Le principal d’entre eux, parmi ceux qu’a évoqués Mario Draghi, est l’objectif explicite de la BCE de réduire la volatilité de l’Eonia, grâce à la réduction de son corridor1. De fait, le CG a fait hier le choix de plafonner les taux au jour le jour plutôt que de s’attaquer directement au niveau de liquidité excédentaire au travers d’un nouveau v- LTRO ou d’une autre opération structurelle. La baisse de 25 pdb du Refi devrait par ailleurs avoir un effet légèrement positif sur les coûts de financement des ménages et des entreprises, bien que la fragmentation financière annule partiellement cet effet dans de nombreux pays périphériques. Autre point, la baisse du taux de refinancement pourrait contribuer à faire ralentir le rythme des remboursements de LTRO (au moins à la marge et pour les banques pour lesquelles le coût de la liquidité joue un rôle), dans la mesure où la baisse des taux réduit le coût d’opportunité lié à la détention de capital emprunté via les LTRO à 3 ans, dont le coût moyen est indexé sur le Refi. Dans le même temps, la prolongation du FRFA jusque mi-2015 pourrait pousser d’autres banques à remplacer une partie de leurs encours de LTRO à 3 ans par des emprunts à plus court terme, via les LTRO à trois mois par exemple, ce qui neutraliserait l’effet précédent. Enfin, toutes choses égales par ailleurs, la baisse du taux de refinancement rendrait plus attractif un nouveau v-LTRO qui peut toujours être mis en place par la BCE en début d’année prochaine par exemple.
Les prévisions du staff (et les anticipations d’inflation) pourraient faire basculer la balance des risques
Sans surprise, le président de la BCE a minimisé les risques de déflation en s’appuyant sur plusieurs facteurs, notamment sur l’importance des ajustements structurels dans la périphérie et sur la baisse des prix des matières premières, tout en livrant des informations sur ce que serait la réponse de la BCE en cas de déflation. Les commentaires de Mario Draghi ont conforté notre opinion selon laquelle la première réaction de la BCE face à une montée des risques de déflation serait d’abaisser le taux de dépôt en territoire négatif. Mario Draghi a ajouté qu’une nouvelle baisse du taux de refinancement était théoriquement possible et a cité les v-LTRO comme un des autres outils disponibles au sein de « l’arsenal » de la BCE.
Nous continuons de penser qu’un scénario de déflation généralisée reste improbable, mais deux facteurs-clés devront néanmoins être surveillés de très près, selon nous, dans la mesure où ils pourraient faire basculer la balance des risques sur l’inflation. Le premier concerne les anticipations d’inflation. La BCE continue de considérer que les anticipations d’inflation sont fermement ancrées, en ligne avec son objectif de stabilité des prix à moyen terme, mais une dérive baissière de certaines mesures de ces anticipations serait clairement de nature à provoquer la mise en place de nouvelles mesures d’assouplissement (qu’il s’agisse des résultats d’enquêtes telles que l’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes, le Survey of Professional Forecasters à paraître le 14 novembre, ou bien des niveaux anticipés par les marchés au travers des obligations indexées ou des swaps d’inflation).
Deuxièmement, les prévisions qui seront publiées en décembre par le staff des économistes seront très importantes pour le jugement que la BCE portera sur la balance des risques. Nous nous attendons à ce que l’inflation remonte de quelques dixièmes de point dans les mois à venir, mais le niveau enregistré en octobre tirera vraisemblablement l’ensemble du profil d’inflation vers le bas. Sur la base des cours futurs sur les marchés à terme2, nous pensons que la projection d’inflation médiane pour 2014 devrait être abaissée de 1,3% à 1,0%-1,2% environ, soit sous le niveau attendu aujourd’hui par les principaux organismes publics ou privés. L’inflation serait légèrement plus élevée en 2015, un peu au-dessus de 1,5%, en raison d’effets de base moins favorables mais surtout parce que la BCE continue de tabler sur un mouvement de normalisation haussière des prix sous-jacents à moyen terme.
Pour une fois, les prévisions de croissance seront moins cruciales et nous pensons qu’elles ne seront révisées (à la baisse) que marginalement. Nous observons que la BCE n’a pas cité le niveau de l’euro parmi les risques baissiers, que ce soit sur la croissance ou sur l’inflation. Cela devrait être à nouveau le cas le mois prochain, à moins d’un rebond de la monnaie unique à court terme.
NOTES
- La justification du corridor asymétrique (le taux d’emprunt marginal n’ayant été abaissé que de 25 pdb) nous paraît moins claire: Mario Draghi a déclaré qu’il fallait maintenir les incitations pour les banques à prêter sur le marché interbancaire, mais la diminution de l’écart entre le taux de dépôt et le taux de refinancement risque d’avoir l’effet contraire.
- Les données de marché sur lesquelles s’appuieront les prévisions du staff seront arrêtées mi-novembre. On peut aujourd’hui supposer que le staff se basera sur une hypothèse de contrat Brent autour de 105$ en 2014 et 101$ en 2015 (i.e. une baisse de 3,7%). L’hypothèse sur l’EUR/USD serait d’environ 1,28 en 2014 et d’environ 1,27 en 2015 (-0,8%).