Irlande : fin du plan d’aide, et après ?

par Benoit Heitz, économiste chez Société Générale

•  Durement touchée par la crise, l’Irlande a dû faire appel à l’aide internationale. En effet, son économie était non seulement très dépendante de l’extérieur mais surtout le pays a connu la formation puis l’éclatement d’une bulle immobilière, conduisant au quasi effondrement de son système bancaire. Ce dernier étant par ailleurs hypertrophié, le pays s’est retrouvé au bord du précipice.

• Ce plan d’aide international, qui a pris fin en décembre dernier, est présenté comme un succès. L’Irlande devrait constituer le 1er cas de sortie par le haut d’un pays de la zone euro sous plan d’aide : la bulle immobilière s’est dégonflée, le système bancaire a été restructuré à marche forcée, l’activité s’est stabilisée et le pays a regagné un accès aux marchés de la dette qui s’améliore rapidement.

• Néanmoins, le pays cumule certaines difficultés de l’Espagne et de l’Italie et, par conséquent, d’importants ajustements l’attendent encore. Ainsi, l’activité est encore nettement inférieure à son niveau d’avant crise, les finances publiques présentent une dette et un déficit élevés, la position extérieure du pays reste très dégradée et les ménages font encore face à une dette importante qu’ils ont de plus en plus de mal à rembourser.

• Au total, si l’Irlande s’est éloignée du groupe des pays sous plan d’aide (Grèce, Portugal), elle est encore loin de rejoindre le « cœur » de la zone euro : elle doit désormais être classée dans le groupe intermédiaire avec l’Italie et l’Espagne.

– Une importante bulle immobilière…

Avant la crise, l’Irlande a connu une importante bulle immobilière, caractérisée par une envolée des prix et une hypertrophie du secteur de la construction. Ainsi, les prix des logements anciens ont progressé en moyenne de plus de 15 % par an entre début 1996 et début 2007 et le poids du secteur de la construction dans l’économie est passé de 6,1 % du PIB en 1996 à 11,1 % du PIB en 2006, contre un poids qui est resté en moyenne inférieur à 7 % du PIB pour l’ensemble de la zone euro.

Cette frénésie immobilière a été accompagnée, et permise, par une hausse rapide de l’endettement des ménages.

En 2001, le taux d’endettement des ménages irlandais s’établissait à 48 % du PIB, soit dans la moyenne de la zone euro. Il a ensuite fortement progressé pour atteindre 120 % du PIB en 2009, soit nettement plus que dans le reste de la zone euro. Et c’est encore plus élevé qu’au Royaume-Uni ou en Espagne, pays qui ont également connu une bulle immobilière. Facteur aggravant, le patrimoine financier des ménages irlandais en face de cet endettement massif était limité. Par conséquent, leur patrimoine financier net de leurs dettes, exprimé en pourcentage du PIB, était le plus faible de l’Union européenne à 15.

– …couplée à une hypertrophie du système bancaire…

Parallèlement et conjointement, la période d’avant- crise en Irlande a été marquée par le gonflement extrêmement rapide du secteur bancaire. En 10 ans, ce dernier est ainsi passé, en taille de bilan, d’un peu plus de deux fois et demi le PIB à plus de 10 fois le PIB.

Il convient néanmoins de quelque peu relativiser cette importance du secteur bancaire, ces chiffres étant distordus par l’IFSC (International Financial Services Center, cf. encadré). En effet, si l’on ne considère que les banques opérant sur le marché domestique irlandais, leur poids était moitié moindre. Mais même ainsi corrigé, il reste important et en forte augmentation en quelques années.

– …ont mené les finances publiques au bord de l’abîme

L’éclatement de la bulle immobilière, de par les pertes qu’elle a provoquées, a conduit l’ensemble des banques irlandaises à la quasi-faillite, ce qui a contraint l’État à les nationaliser. Du fait de la taille de la bulle immobilière et du système bancaire, le coût de ce sauvetage a été très important : le FMI l’estime à 40 % du PIB. Le déficit public a par conséquent atteint près de 15 % du PIB en 2009 puis plus de 30 % du PIB en 2010 et le pays a été contraint de faire appel à l’aide internationale pour se financer.

– Dégradation de la compétitivité et du solde courant

Simultanément, les comptes externes du pays se sont dégradés. Ainsi, le solde des paiements courant du pays est passé d’une position de quasi équilibre en 2000 à un déficit de plus de 5% du PIB en 2007 et 2008. Cette dégradation provenait essentiellement de la dégradation du solde commercial. Notamment, outre, le plus grand dynamisme de l’activité en Irlande que chez ses principaux partenaires sur cette période, la compétitivité de l’Irlande au sein de la zone euro s’est nettement dégradée. Les coûts salariaux unitaires y ont en effet progressé de 42 % en 2000 et 2008, contre 15 % en moyenne pour l’ensemble de la zone euro, avec certes d’importantes disparités en son sein (+0 % pour l’Allemagne et +31 % pour l’Espagne notamment).

– Et l’activité a lourdement chuté

Sous le coup de la crise internationale et de l’éclatement de la bulle immobilière, l’activité irlandaise a lourdement chuté : entre fin 2007 et fin 2009, la contraction de l’activité a ainsi été de 11,5 %. Cette baisse de l’activité tient principalement à l’effondrement de l’investissement (-40 %), et notamment de la construction dont le poids a été ramené à moins de 3 % du PIB dès 2009.

Néanmoins, cette chute de l’activité est à mettre en regard du boom que l’économie irlandaise a connu sur les années précédentes. Au total, sur l’ensemble de la décennie 2000, l’Irlande a ainsi enregistré une croissance moyenne de 2,3 % par an.

D’importants ajustements ont été faits

– Dégonflement de la bulle immobilière

Le dégonflement de la bulle immobilière irlandaise a été spectaculaire, comme le laisse déjà entrevoir la chute du poids de la construction dans l’économie. Ainsi, il se construit maintenant en un an moins de logements qu’il ne s’en construisait par mois fin 2006. En parallèle, les prix de l’immobilier ont été quasiment divisés par deux par rapport à leurs plus hauts de mi-2007. Et la dette des ménages a commencé à refluer, même si ce mouvement est encore limité.

– Restructuration du système bancaire à marche forcée

Pour rétablir la santé du système bancaire, le gouvernement a rapidement pris d’importantes mesures, qui ont profondément modifié le paysage bancaire du pays.

Ainsi, il a transféré, à partir d’avril 2009, les créances immobilières douteuses des banques à une structure de défaisance, la National Asset Management Agency (NAMA). Il a redessiné le secteur bancaire à partir des principales banques du pays, qui ont été nationalisées et recapitalisées, autour de 3 piliers : le 1er autour de Bank of Ireland (à ne pas confondre avec la banque centrale, Central Bank of Ireland) ; le 2ème appelé Irish Bank Resolution Company (IBRC), constitué par la fusion de Allied Irish Bank et EBS Building Society ; le 3ème à partir de Irish Life and Permanent (ILP) qui avait précédemment récupéré une partie de Irish Nationwide Building Society. Ces piliers ont ensuite été ramenés à deux, avec la mise en faillite d’IBRC en 2013. Enfin, ce secteur bancaire redessiné a subi une cure d’amaigrissement, le gouvernement les recentrant sur leur cœur de métier, en cédant notamment leurs filiales étrangères ou non-bancaires.

Au total, le nombre d’acteurs bancaires majeurs sur le marché domestique irlandais a été nettement réduit et la taille des banques domestiques a été réduite de plus du tiers en l’espace de quatre ans.

– Politique d’austérité et de compétivité

Le gouvernement a, en parallèle, pris des mesures d’austérité visant à rétablir la situation des finances publiques. Ces mesures, qui représentent de l’ordre de 8 % du PIB selon le FMI, ont consisté pour un tiers en des hausses d’impôts et pour les deux tiers en des réductions de dépenses, avec notamment des baisses importantes des salaires (-14%) et des effectifs (-10 %) dans la fonction publique et une baisse des prestations sociales.

En outre, afin de soutenir la compétitivité et le potentiel de croissance de l’économie irlandaise, il a également mis en œuvre des réformes structurelles, en accroissant la concurrence et en rendant le marché du travail plus flexible. Conséquence de ces mesures, mais également de la sévérité de la crise, les coûts salariaux unitaires irlandais ont nettement reflué, de plus de 15 % par rapport à fin 2008, alors qu’ils ont continué de progresser dans la zone euro prise dans son ensemble et qu’ils avaient fortement progressé avant crise (+51 % entre début 2000 et fin 2008 contre +18 % en moyenne pour la zone euro). Ils sont par conséquent maintenant revenus à leurs niveaux de 2006.

– Un plan d’aide qualifié de réussite

Au total, le plan d’aide irlandais, qui a pris fin en décembre 2013, est qualifié de réussite : le secteur bancaire a été largement restructuré comme annoncé, le pays est sorti de récession, la dette publique entamerait sa décrue en 2014, le pays a réussi à réaliser plusieurs émissions de dette en 2013 à des coûts raisonnables et, sur les marchés, les taux d’intérêt sur la dette publique irlandaise sont inférieurs à ceux de l’Espagne ou de l’Italie. Dans ce contexte, contrairement à ce qui avait pu être attendu jusque récemment, le gouvernement a décidé de ne pas demander à ses partenaires de ligne de précaution, pour sécuriser son financement dans la période suivant la fin du plan d’aide.

Mais l’Irlande reste bel et bien un pays de la périphérie, au même titre que l’Espagne ou l’Italie

– L’activité peine à redémarrer

Sur le plan de la croissance économique, il convient néanmoins de tempérer cet optimisme. En effet, si le pays n’est plus en récession, le redémarrage de l’activité est encore laborieux, avec une alternance de hausses et de baisses sur les deux dernières années. Surtout, le PIB irlandais est encore inférieur, au T3-13, de 8 % à son niveau d’avant crise et il n’est que faiblement supérieur à son point bas atteint au plus fort de la crise

– Les finances publiques doivent encore être ajustées

Les finances publiques irlandaises ne présentent plus les déséquilibres extrêmes qu’elles ont connus au plus fort de la crise, avec notamment un déficit qui a culminé à plus de 30 % du PIB en 2010. Néanmoins, leur assainissement est loin d’être terminé. Ainsi, la Commission européenne prévoit, pour 2013, un déficit public qui serait encore de près de 7,5 % du PIB et une dette publique de 124 % du PIB, soit la combinaison de la 4ème dette la plus élevée de la zone euro (après la Grèce, l’Italie et le Portugal) et du 3ème déficit le plus élevé (après seulement la Grèce et Chypre).

Par conséquent, d’importants ajustements sont encore nécessaires afin de véritablement rétablir la situation des finances publiques (cf. graph. 8). Ils ne sont pas hors de portée. En effet, des ajustements d’une telle ampleur ont déjà été réalisés par le pays par le passé. Ainsi, au début des années 1980, le pays a accumulé les déficits si bien qu’il s’était retrouvé en 1987 avec un déficit de plus de 8 % du PIB et une dette publique de plus de 110 % du PIB. Et vingt ans plus tard, la dette avait été ramenée à moins de 25 % du PIB.

Néanmoins, le contexte dans lequel ce premier ajustement avait eu lieu était très différent de celui d’aujourd’hui. Notamment, dans la crise actuelle, la plupart des pays développés doivent fournir des efforts de désendettement, public et parfois privé, simultanément, ce qui est un frein significatif à l’activité mondiale. Surtout, au début des années 1980, l’Irlande faisait partie des pays les plus pauvres de l’Europe occidentale : son revenu par tête1 était inférieur d’un tiers à celui de l’Allemagne et de la France et inférieur de 10 % à celui de l’Espagne. Le pays a bénéficié d’un phénomène de rattrapage (aidé par les politiques menées par les gouvernements) par rapport au reste de l’Union européenne, qui a aidé à cet ajustement. Cette phase de rattrapage s’est caractérisée par une croissance durable et soutenue, ainsi que par un surcroit d’inflation. Tous ces facteurs ont soutenu les recettes publiques, réduit les besoins de dépenses et allégé mécaniquement le stock de dette publique rapporté au PIB nominal. Une telle trajectoire parait aujourd’hui difficilement reproductible, ne serait-ce que parce que l’Irlande fait maintenant partie des pays les plus riches de la zone euro avec un revenu par tête supérieur de 20 % à celui de la moyenne de la zone euro à 12, et même supérieur de 6 % à celui de l’Allemagne.

La situation financière des ménages reste extrêmement dégradée

La situation financière des ménages reste elle aussi dégradée. D’une part, si la dette des ménages a commencé à refluer, passant de plus de 120 % du PIB en 2009 à 105 % du PIB en 2012, elle demeure très élevée : elle est nettement supérieure à celle de la moyenne des ménages de la zone euro et même plus élevée que celle des ménages espagnols à son pic de la crise. D’autre part, la situation financière des ménages irlandais endettés apparaît extrêmement précaire: près du quart de l’encours de prêts immobiliers aux ménages destinés à l’achat d’une résidence principale présente des arriérés de paiement et même 11 % de l’encours présente des arriérés de plus d’un an. La situation des prêts consentis à des fins d’investissement locatif est encore plus critique, avec plus d’un tiers de l’encours présentant des arriérés de paiement.

Au total, cela représente donc un encours de plus de 36 Mds EUR, soit 22 % du PIB, de prêts immobiliers aux ménages qui présentent des arriérés de paiement, dont 18 Mds EUR en arriérés de plus d’un an. De plus, cette proportion continue de monter, et on observe notamment un glissement vers des arriérés longs (la proportion des prêts présentant des arriérés de moins de 3 mois restant autour de 6 % de l’encours).

Les ménages irlandais apparaissent donc confrontés à un endettement très important auquel ils sont de moins en moins capables de faire face.

L’ajustement des comptes externes n’est encore que partiel

Du côté de l’ajustement des comptes externes, du chemin reste également à parcourir. Certes, après les déficits courants chroniques de la décennie précédente (-5,6 % du PIB en 2007), le pays vient de renouer avec les excédents courants (+4,4 % du PIB en 2012). Cet ajustement a été permis par le regain de compétitivité, qui a soutenu les exportations, mais surtout la profonde déprime de la demande intérieure, qui a fait plonger les importations. Mais sa position extérieure nette2 reste négative, avec un déficit de plus de 110 % du PIB en 2012 (au total comme hors IFSC), soit une position encore plus débitrice que celle de l’Espagne.

Des excédents courants conséquents et inscrits dans la durée seraient donc nécessaires pour résorber un tel déséquilibre. En effet, ce dernier rend le pays dépendant des capitaux étrangers et, par conséquent, vulnérable à un retournement du sentiment des investisseurs à son égard, d’autant qu’il renvoie quasi intégralement à de la dette extérieure nette (à hauteur de 90 % du PIB hors IFSC, soit un niveau comparable à celui de l’Espagne).

La situation économique irlandaise emprunte à la fois à l’Italie et à l’Espagne

Au total, si l’Irlande devrait pouvoir sortir la tête haute du plan d’aide international auquel elle a dû avoir recours, sa situation reste difficile et elle cumule les handicaps de l’Espagne (pour l’ampleur du déficit, la situation financière des ménages qui fait encore peser des risques sur le système bancaire, la position financière extérieure dégradée) et de l’Italie (pour le fort niveau d’endettement public). À grands traits, on pourrait dire que l’Irlande s’est éloignée de la Grèce et du Portugal pour se rapprocher de l’Espagne et de l’Italie, mais qu’elle est encore très loin du cœur de la zone euro.

NOTES

  1. Mesuré en termes de PIB par tête en parité de pouvoir d’achat.
  2. Soit la différence d’encours entre les investissements des résidents du pays à l’étranger et ceux des étrangers dans le pays.