par Alexandre Baradez, Responsable Analyses Marchés chez IG France
Il y aura incontestablement un avant et un après Shinzo Abe sur les marchés financiers. Son arrivée au pouvoir a créé une inflexion très nette de l’évolution de ces derniers, que ce soit le marché des changes ou celui des actions. L’homme fort du Japon a axé sa politique sur 3 axes : plan de relance, intervention monétaire et réformes structurelles, les fameux Abenomics.
L’intervention la plus spectaculaire pour les marchés financiers et notamment pour le marché des changes est celle de la banque centrale (BoJ) dont l’intervention vise à briser le cercle déflationniste dans lequel est plongé l’archipel depuis près de 15 ans. La BoJ s’est fixée pour objectif de ramener l’inflation dans la zone des 2% en doublant la masse monétaire en deux ans.
Conséquences spectaculaires de cet arsenal de relance : le Nikkei 225 a bondit de plus de 80% et la yen s’est massivement affaibli face aux principales devises, dont l’euro et le dollar. Le dollar est passé de 80 yens à fin 2012 à plus de 105 yens à fin 2013. Même constat pour l’euro qui s’est très nettement apprécié : la devise européenne s’échangeait à 100 yens fin 2012…contre 145 yens fin 2013, soit plus de 45% de hausse. Même si la BoJ s’est toujours défendue de vouloir agir sur les taux de change, l’effet est bien là, la communauté internationale n’ayant que pas ou peu réagi face à ces mouvements sensibles sur les devises.
On pourrait penser qu’après une telle phase d’affaiblissement, le yen devrait reprendre quelques couleurs face aux autres devises mais il n’en sera rien. Le meilleur exemple à ce propos est très proche de nous : lors de l’accroissement des tensions en Ukraine, avec d’abord un changement de pouvoir puis la montée en puissance des tensions géopolitiques autour de la Crimée, le yen, traditionnel marqueur du « risque » s’est très peu renforcé alors que d’autres marchés, notamment les marchés actions ont sensiblement baissé au cours de la journée de lundi (3 mars). Le yen n’est pas l’unique devise recherchée en période de risques, c’est également le cas du dollar américain et du franc suisse. Mais le renforcement extrême du yen depuis des années, face au dollar notamment, laisse penser que la phase de correction qui a commencé à s’opérer depuis l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe n’est pas prête de s’arrêter…
Au début des années 80, un dollar US s’échangeait contre près de 280 yens. Après la crise des subprimes et au plus fort de la crise de la dette en zone euro, un dollar s’échangeait contre « seulement » 75 yens…
Depuis près de 30 ans, le yen n’a donc cessé de se renforcer face au dollar et plus récemment face à l’euro. L’ampleur des Abenomics aura permis d’infléchir cette tendance long terme et les derniers chiffres économiques en provenance du Japon ne devrait pas changer la ligne de conduite du camp politique au pouvoir. La production industrielle a bondi de 4% soit le rythme de croissance le plus élevé observé sur les deux dernières années, les ventes au détail ont progressé de 4.4% en rythme annuel et l’inflation grimpe à 1.3%. Ces résultats ne devraient pas pousser la banque centrale à ralentir la cadence monétaire sachant que la crainte principale à court terme est l’impact potentiellement négatif d’une hausse des taxes sur la valeur ajoutée qui pourrait freiner la demande intérieure.
Il est également nécessaire de tenir compte d’un effet de rattrapage du dollar par rapport au yen après les baisses massives de ces dernières années, la devise américaine est encore loin des sommets des années 2000 (près de 135 yens en 2002 ou encore 123 yens en 2007, juste avant la crise des subprimes). Autre facteur à prendre en compte, le ralentissement du quantitative easing (QE3) de la FED qui devrait s’accélérer en 2014 compte tenu du rythme de croissance de l’économie américaine et de la baisse du chômage. Même si l’économie devait connaître des phases de ralentissement ponctuelles (comme ce fut le cas avec les évènements climatiques récents), il y a peu de chance de voir la FED prendre le risque de laisser émerger de nouvelles bulles. Ce qui devrait donc se traduire par une hausse des taux fin 2014-début 2015 et donc favoriser le renforcement du dollar face au yen.
La hausse des cours observée depuis la fin 2012 devrait se traduire par un retour sur les 110 yens pour le dollar (niveau été 2008) et plus de 150 yens pour l’euro dans les mois qui viennent.