par Stéphane Darracq, PDG de makazi group
Qui se souvient de l’inoffensif lapin Nabaztag et comment imaginer cet aimable compagnon digital en redoutable cheval de Troie du Big Data ? Pourtant, les apparences peuvent être trompeuses : ce gentil lapin est sans conteste l’un des premiers objets connectés dont la finalité est de pénétrer chez son utilisateur et de capter discrètement un maximum de données comportementales sur son hôte.
Depuis l’année 2007 qui a vu le lancement du lapin Nabaztag, la révolution digitale des objets connectés est en marche. Ce lapin était relié à Internet et au téléphone portable de son propriétaire grâce à sa connexion wifi : il permettait d’alerter son utilisateur lors de la réception d’emails et changeait de couleur en fonction de la météo ou du cours de la bourse, tout en répondant à son maitre au moyen d’une commande vocale. C’était en quelque sorte le paléolithique des objets connectés.
En ce début d’année, le salon « CES » 2014 de l’électronique grand public de Las Vegas a définitivement consacré les objets connectés comme la grande innovation de la décennie : selon un sondage CSA / Havas Media de janvier 2014, 81% des Français en ont déjà entendu parler tandis que 55% déclarent les connaitre précisément, preuve de leur entrée dans nos vies quotidiennes. A terme, les stratèges de McKinsey estiment que d’ici 2025, les objets connectés devraient représenter plus de 2700 milliards de dollars de valeur ajoutée pour l’économie mondiale, confirmant ainsi que nous sommes confrontés à un phénomène à l’impact économique majeur. Notre conviction est que ce phénomène est aussi en mesure de conduire à un bouleversement des pratiques de communications entre les entreprises et les consommateurs, avec toutes les conséquences sociétales qui y sont liées.
En apportant un service immédiat, ces objets répondent à un besoin de premier niveau
L’un des objets connectés les plus médiatisés est sans contexte la « Google Glass » ou lunette connectée de Google. Equipée d’un affichage « réalité augmentée » dans le verre de la lunette elle intègre l’affichage de données de navigation sur Internet, emails, SMS et l’usage d’un appareil photo le tout commandé par la voix. D’autres exemples incluent les capteurs de sommeil de la société Withings ou le bracelet Polar Loop munis d’un moniteur de fréquence cardiaque. Tous ces « objets » ont en commun d’être par définition raccordés à Internet et de servir, grâce à cette connexion, de capteurs d’informations (rythme cardiaque, géo-localisation de l’utilisateur, température ambiante). Ils ont aussi une fonction d’émetteur ou de récepteur de ces informations vers des applications « intelligentes » à même de les stocker pour utilisation ultérieure, transformant ainsi un simple objet en canal de communication relié au Smartphone de son utilisateur lui-même ou à l’ordinateur d’un tiers – médecin ou entraineur sportif par exemple dans le cas des données cardiaques évoquées précédemment. La matière première qui circule ainsi consiste en un flux continu de « données » de nature très variée. Ce sont ces données, collectées en grande quantité grâce aux objets connectés, qui nous raccordent à l’univers du « Big Data ».
L’objet connecté en cheval de Troie du Big Data?
Au-delà des services immédiats qu’ils rendent à leurs utilisateurs et de leur rôle de canal de communication, la vocation des objets connectés est aussi de collecter des données en très grande quantité. Température de la maison, rythme cardiaque du sportif, vitesse d’un véhicule, géo-localisation de son utilisateur : autant de données d’une grande diversité dont il ne fait pas de doutes qu’elles iront bientôt constituer des bases de données et enrichir l’information déjà collectée sur les utilisateurs. Il n’y a alors qu’un pas à franchir pour conclure que la véritable valeur de ces objets connectés réside dans leur capacité à collecter des données récentes, variées, d’une très grande richesse d’information et en très grande quantité. L’utilisation de celles-ci conduira logiquement à de nouveaux modèles d’affaires créateurs de valeur pour toutes les parties prenantes.
Comment sinon justifier le prix impressionnant de 2,3 milliards de dollars payé par Google pour le rachat de la société Nest Labs au début de l’année 2014 ? Au-delà des thermostats design de cette société installés dans les maisons californiennes par des propriétaires soucieux d’économies d’énergie, il ne fait aucun doute que ce n’est pas le chiffre d’affaires de quelques dizaines de millions de dollars de la société qui justifie une telle valorisation : ce sont bien les flux d’informations collectés chez leurs utilisateurs qui intéressent Google dans la cadre de sa stratégie d’agrégation de données et vont lui permettre à terme de croiser ces données du monde physique – la maison, la voiture, l’environnement visuel – avec les milliards de données digitales qu’il collecte déjà depuis ses débuts.
L’idée de Google est claire: ajouter un nouveau point d’entrée au sein des foyers – américains dans un premier temps – pour décrypter de façon encore plus précise les habitudes, les usages et les comportements des utilisateurs, via l’analyse des données collectées par les thermostats conçus par Nest Labs. Les spécialistes du marketing digital y auront reconnu le fameux « cookie » physique ou marqueur des comportements et des activités des consommateurs dans le monde réel …. Passerelle vers l’enrichissement d’autres données purement digitales.
De multiples opportunités de nouveaux modèles d’affaires pour les acteurs économiques
Dans ce futur ou tout objet pourra être connecté les vainqueurs ne seront pas les seuls fabricants de ces objets connectés. Il y a fort à parier que les entreprises qui parviendront à imaginer des services répondant aux besoins identifiés grâce à ces données et qui sauront trouver de nouveaux modèles économiques créateur de valeur à partir des montagnes de données collectées seront les véritables bénéficiaires de cette révolution en marche de l’« Internet of everything ».
A ce titre, l’utilisation des données à des fins de communication ou de ciblage publicitaire compte parmi les pistes les plus avancées : en s’équipant de plateformes logicielles de gestion des données (ou DMP pour « Data Management Platform » selon l’acronyme consacré), les grands annonceurs publicitaires seront très vite à même d’enrichir leur communication avec leurs clients grâce aux informations spécifiques remontées via les capteurs de la maison ou de la voiture connectée par exemple.
Le juge de paix sera le consommateur final
Il ne fait aucun doute que les objets connectés vont modifier en profondeur notre quotidien. Que ce soit dans le domaine de la santé, du sport, de l’automobile, le grand public va adopter ces objets utiles ou répondant à de nouveaux besoins. Attention toutefois aux risques juridiques et de réputation que font prendre aux entreprises l’utilisation de données souvent personnelles ou rattachées à des données personnelles ! Seul le respect des règles juridiques régissant l’utilisation des données personnelles par les entreprises feront disparaître les réticences du grand public devant la pertinence ou l’attractivité des nouveaux services proposés grâce à l’utilisation intelligente de ces données. L’enjeu est double pour les entreprises qui sauront mener cette démarche, avec la création de valeur grâce à de nouveaux services ciblés à destination de leurs clients mais aussi la création d’un véritable « capital data ».