Le Portugal enfin récompensé de ses efforts ?

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

Le Portugal suivra-t-il l’exemple irlandais en sortant de son programme d’aide internationale sans aucune autre forme de soutien? La question, qui paraissait sans objet il y a encore quelques mois, se pose aujourd’hui avec acuité. Il est vrai que depuis la crise politique de l’été dernier, la situation économique et financière s’est considérablement améliorée. Le programme UE-FMI portugais s’achève le 17 mai. D’ici là, le gouvernement devra avoir tranché entre une sortie du programme sans aide ou accompagnée d’une ligne de précaution du Mécanisme Européen de Stabilité (MES).

Reprise avant l’heure

La sortie de récession est intervenue plus tôt que prévu. Au deuxième trimestre 2013, le PIB portugais a augmenté de façon inattendue, de 1,1% t/t. Cette performance qui a mis fin à 10 trimestres consécutifs de contraction a d’abord été attribuée à des facteurs temporaires, susceptibles de s’inverser au cours des mois suivants. La hausse du T3, à 0,3%, et, surtout du T4, à 0,6%, ont finalement confirmé une reprise bien ancrée, tirée par les exportations et l’investissement productif. L’activité a donc augmenté au cours des trois derniers trimestres de 2013, une performance sans équivalent parmi les pays périphériques. A 1,6%, la progression du PIB en glissement annuel (g.a.) au T4 a même été la plus rapide de la zone euro. Sans une forte contraction de l’activité fin 2012 (qui a lancé l’année 2013 sur des niveaux très bas), l’activité aurait progressé, en moyenne, l’année dernière. Le PIB a reculé, mais de seulement 1,2%, soit un rythme nettement inférieur à celui attendu en début d’année. En 2013, dans ses prévisions de Printemps, la Commission européenne projetait une récession de 2,3%. Les perspectives pour 2014 sont positives. Nous attendons une croissance de 1,4%. L’activité pourrait ralentir quelque peu en rythme trimestriel mais elle sera probablement plus équilibrée. L’amélioration de la situation sur le marché du travail pourrait entraîner le redémarrage de la consommation des ménages. Le taux de chômage, qui culminait à 17,7% au T1 2013, s’est replié à 15,3% au T4. La baisse est entièrement due aux créations d’emploi, la population active étant restée stable sur la période (l’émigration a été compensée par une hausse du taux de participation).

Dans ce contexte, la situation des finances publiques, dont on craignait les dérapages, se redresse plus vite qu’attendu. Ainsi le déficit public pourrait s’être inscrit à un niveau proche de 5% du PIB en 2013 contre un objectif de 5,5%. Les données devront être confirmées par Eurostat fin avril mais elles sont cohérentes avec la reprise de 2013. Reposant surtout sur les hausses de recettes, la consolidation budgétaire de l’an passé a probablement bénéficié du retour anticipé de la croissance. L’objectif de 2014, à 4% du PIB, avait cristallisé les crispations politiques l’été dernier. On peut aujourd’hui attendre un déficit inférieur même en cas de nouveaux rejets de mesures par la Cour constitutionnelle. Le retour de la croissance devrait permettre de ramener le déficit public sous les 3% du PIB d’ici à 2015.

Amélioration des conditions de financement

Reflétant l’amélioration économique, la réappréciation plus générale des risques attachés à la périphérie de la zone euro (notamment vis- à-vis des pays émergents), et le rachat massif de dettes souveraines à haut rendement après la clôture des bilans bancaires au 31 décembre 2013 (qui serviront de base au stress test en 2014), les taux des emprunts d’Etat portugais ont diminué de façon spectaculaire. Après une baisse de 200 points de base depuis le mois de janvier), les taux à 10 ans oscillent désormais autour de 4%, soit un niveau proche du plus bas historique. Cette forte détente a permis au Trésor portugais de réintégrer les marchés de capitaux à long terme. L’agence de la dette a ainsi pu placer EUR 3,3mds à 5 ans en janvier et EUR 3mds à 10 ans en février, à des taux respectifs de 4,7% et 5,1%, proches de ceux du marché secondaire à l’époque. Par ailleurs, le Trésor a aussi dégagé l’horizon de remboursement en procédant à des rachats de dettes à échéance 2014-2015 financés par des émissions à moyen terme. EUR 2,8mds d’euros ont été rachetés en 2014 et EUR 5,3mds en 2015. En tenant compte des rachats de dettes, des fonds levés jusqu’à maintenant et des prêts officiels encore non versés, les besoins de financement pour 2014 et 2015 sont largement couverts.

Difficultés structurelles

Les conditions semblent donc réunies pour permettre une sortie réussie du programme, avec ou sans ligne de précaution. Compte tenu de ses bénéfices politiques présumés, cette dernière option sera probablement favorisée par le gouvernement, à la veille des élections européennes et dans l’optique des élections nationales en 2015. L’amélioration de la situation à court terme ne doit cependant pas occulter les difficultés structurelles de l’économie portugaise au premier rang desquelles figure la faiblesse de la croissance potentielle. Entre 2000 et 2010, celle-ci a à peine dépassé 1% par an. Les réformes introduites pendant la crise sont susceptibles de l’élever quelque peu, mais probablement pas substantiellement. Au- delà du manque de flexibilité de l’économie portugaise auquel peuvent éventuellement répondre les réformes, la faiblesse tendancielle des gains de productivité tient d’abord au faible niveau du capital humain. A cet égard, la récente émigration liée à la crise, qui a abouti à une baisse de la population de 1,5% depuis fin 2010, ne devrait pas aider. Dans ce contexte, et compte tenu de l’absence d’inflation, les taux longs devraient rester supérieurs à la croissance potentielle nominale, impliquant d’importants efforts budgétaires pour réduire l’endettement. L’abondance de liquidités a permis de faire baisser les rendements mais les primes de risque sont toujours élevées, proches de 250bp, reflétant le statut junk des obligations portugaises. A moyen terme, la normalisation des politiques monétaires pourrait donc se traduire par des difficultés de financement pour l’Etat portugais surtout si le désendettement est lent. Au final, si l’embellie conjoncturelle devrait permettre au Portugal de se passer d’un programme de précaution à court terme, l’option n’est probablement pas écartée à moyen terme.

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