La locomotive allemande défie les vents contraires

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

Le début d’année a été marqué en Allemagne par une franche accélération de la reprise économique. La croissance du PIB était de 0,8% t/t au T1 2014, la plus forte hausse depuis le premier trimestre 2011. Certes les conditions météorologiques très clémentes au cours de l’hiver passé ont eu un effet positif sur l’activité dans l’industrie (+1,3% t/t au T1) et la construction en particulier (+5% t/t, plus forte progression depuis le T1 2011), tandis que les exportations nettes reculaient. Mais la consommation privée et publique ainsi que l’investissement ont aussi contribué positivement à la croissance, comme l’a précisé Destatis (le détail des comptes ne sera pas disponible avant le 23 mai).

Par ailleurs, les entreprises ont reconstitué leurs stocks, après la contraction marquée à la fin d‘année dernière (-0,6pp), soutenant ainsi l’activité du T1. Toutefois, le deuxième trimestre a débuté sur une note moins favorable. D’une part, nous attendons une correction à la baisse de la croissance du T2 après la forte progression du T1. D’autre part, le ralentissement de l’activité en Chine et la crise ukrainienne pourraient amplifier cette correction. A ce titre les commandes industrielles, en forte baisse en mars (-2,8%, le repli le plus important depuis octobre 2011), constituent une source d’inquiétude.

Démarrage en force mais des perspectives assombries… par le ralentissement chinois…

D’une part, les indicateurs récents témoignent d’une décélération généralisée de l’activité chinoise en début d’année. Or la Chine est le troisième partenaire commercial de l’Allemagne, derrière les Pays- Bas et la France. Les entreprises allemandes y exportent principalement des automobiles (environ un tiers du total des exportations), ainsi que des machines et des biens d’équipement (un quart). L’industrie manufacturière très spécialisée se trouve particulièrement bien positionnée sur le marché chinois, où les classes moyenne et supérieure ont bénéficié, jusqu’à présent, d’un pouvoir d’achat en expansion rapide. Il est vrai que le processus de changement "structurel" lentement mené par Pékin freine la croissance. En effet, les mesures les plus récentes portent sur la lutte contre la corruption, la restructuration de l’industrie (mesures de lutte contre la pollution, réduction des surcapacités, etc…), ainsi que la maîtrise de la dette interne et des risques pesant sur le secteur financier. La priorité des autorités chinoises n’en demeure pas moins la stabilité de l’économie et des conditions sur le marché du travail. Elles devraient, par conséquent, mettre tout en œuvre pour atteindre leur cible de croissance (7,5% comme en 2013) et assurer à la fois la paix sociale et la poursuite des réformes structurelles.

… Et la crise ukrainienne

D’autre part, la crise ukrainienne est source de préoccupation croissante en Allemagne. La victoire du «oui» au référendum controversé dans les régions orientales de Donetsk et de Lougansk en constitue le dernier rebondissement avant les élections présidentielles prévues le 25 mai à Kiev. Berlin se fait l’avocat d’une reprise du dialogue entre Kiev et les pro-Russes. En interlocuteur privilégié de Moscou, l’Allemagne souhaite privilégier la voie diplomatique et éviter une escalade des sanctions à l’égard de la Russie. En effet, les relations entre les deux pays sont anciennes. La présence allemande en Russie date du XVIIIème siècle, sous le règne de l’impératrice Catherine II, d’origine allemande. En outre, depuis les années soixante-dix, l’Ostpolitik allemande a privilégié le dialogue et le rapprochement avec l’Est. Enfin, depuis 2001, les rencontres du « dialogue de Saint-Pétersbourg » offrent, chaque année, un forum aux sociétés civiles des deux pays, en marge des consultations inter-gouvernementales.

Pour l’Allemagne qui est le premier partenaire européen de la Russie, le dossier ukrainien est donc crucial. En effet, la Russie fournit un tiers des importations allemandes de gaz et de pétrole, lesquelles transitent largement par l’Ukraine. Dans ces conditions, la perspective d’une escalade des tensions avec la Russie conduit l’Allemagne à questionner avec encore plus d’acuité le bienfondé de ses choix énergétiques et les conséquences de la sortie du nucléaire annoncée par Angela Merkel à l’horizon de 2022. La transition énergétique est coûteuse et ne peut se faire au mépris de la sécurité d’approvisionnement en énergie du pays (les énergies renouvelables représentent à ce jour moins du quart de l’électricité produite et sont tributaires des conditions météorologiques) ou de la compétitivité économique de l’industrie nationale (la facture électrique des ménages allemands a doublé en dix ans). Par ailleurs, les intérêts capitalistiques allemands en Russie dépassent le seul secteur énergétique. 6 000 entreprises allemandes sont installées sur le sol russe dans des secteurs aussi variés que la chimie, les transports ou encore les machines-outils. Elles emploient près de 300k personnes. Enfin, Berlin craint qu’un passage de la phase 2 des sanctions (interdictions de visas et gel des avoirs) à la phase trois, beaucoup plus large, exerce un effet négatif non négligeable sur l’activité russe et en conséquence sur la croissance allemande. Si tel était le cas, nous serions amenés à réviser nos prévisions de croissance pour 2014 et 2015 à la baisse.

Pour l’heure, il est encore trop tôt pour s’alarmer. Les enquêtes restent orientées à la hausse. Ainsi l’indice IFO du climat des affaires pour le mois d’avril a rebondi à 111,2, légèrement en-dessous du niveau atteint en février, le plus élevé depuis juillet 2011. En particulier, l’indice des anticipations a continué de progresser et ce en dépit de la crise ukrainienne. Enfin, les premières mesures prises par la grande coalition (introduction du salaire minimum, abaissement sous certaines conditions de l’âge de départ à la retraite…) afin de rééquilibrer les moteurs de la croissance allemande devraient permettre d’en réduire la forte cyclicité.

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