par Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas
En tant que centre financier régional, Hong Kong a été directement et durement touché par la crise financière internationale de l’an dernier. Les cours boursiers et les prix de l’immobilier ont fortement chuté, les coûts de financement obligataire se sont envolés et le marché interbancaire s’est retrouvé temporairement paralysé suite à la faillite de Lehman Brothers mi-septembre 2008. Les tensions ont commencé à s’apaiser dès la fin du mois d’octobre 2008, notamment grâce aux interventions rapides des autorités pour atténuer les pressions sur la liquidité et stabiliser le système bancaire. Hong Kong a également profité d’entrées nettes de capitaux au T4 2008.
Hong Kong est entré en récession, l’activité des plus importants secteurs économiques subissant une forte contraction. Pour 2009, nous prévoyons un recul de 4,5 % du PIB réel, la seconde plus mauvaise performance des dernières décennies, après le repli de 6,0 % enregistré en 1998. A terme, Hong Kong devrait pouvoir rebondir rapidement dans le sillage de la reprise des économies chinoise et internationale ; le territoire en effet ne souffre pas de déséquilibre macroéconomique ou de problème structurel majeurs susceptibles de provoquer un décalage entre la reprise de l’économie mondiale et celle de sa propre économie.
Les banques ont subi l’an dernier de graves difficultés de financement et une baisse de leurs bénéfices. Elles font maintenant face à une augmentation du volume des prêts non performants. Les défauts de paiement des entreprises se multiplient, provenant notamment des entreprises hongkongaises qui ont installé leurs usines de production et bases d’exportation au Guangdong.
Tout d’abord, un choc financier
La chute des cours boursiers a commencé au cours des premiers mois de 2008 (en partie en raison des craintes autour du durcissement monétaire en Chine) et s’est accélérée sous l’effet de l’intensification de la crise financière internationale. Suite à l’effondrement de Lehman Brothers, la Bourse de Hong Kong a subi des dégagements massifs et les levées de fonds se sont taries. L’indice Hang Seng a touché son point le plus bas fin octobre 2008, perdant 60 % de sa valeur par rapport à la fin de 2007. L’indice boursier n’a pas été plus bas depuis novembre 2008 mais est resté très volatile, notamment à cause de mauvaises nouvelles sur le front de l’économie réelle.
Les prix de l’immobilier ont chuté au S2 2008, après une période de hausse importante. En glissement annuel, l’indice des prix immobiliers a augmenté de 25 % en juin 2008, avant de reculer de 11 % en décembre 2008 et de 14 % en janvier 2009. Le volume des transactions immobilières s’est effondré au S2 2008 (+18 % en ga au S1 2008, -56 % au S2 2008, -68 % en janvier 2009), signe que la tendance baissière des prix n’est pas terminée. Les sombres perspectives en matière de croissance et d’emploi vont en effet peser sur l’activité immobilière en 2009. Cependant, d’une manière générale, les fondamentaux macroéconomiques et la solvabilité des ménages se sont améliorés depuis 10 ans, et l’ampleur de la correction des prix immobiliers en 2008-2009 devrait s’avérer moins violente qu’à la suite de la crise financière asiatique en 1997-1998. De plus, la correction du marché immobilier est aujourd’hui plus directement liée à une détérioration du cycle économique qu’à l’éclatement d’une bulle comme en 1997-1998.
Marché interbancaire : vives tensions…
Avec l’aggravation de la crise financière depuis mi-septembre 2008, l’assèchement de la liquidité à l’échelle mondiale a provoqué un net durcissement des conditions de financement pour les banques et les entreprises hongkongaises pendant quelques semaines. A l’instar du reste du monde, les coûts de financement obligataires se sont envolés et le marché interbancaire a été temporairement paralysé. La liquidité interbancaire s’est tarie et les taux interbancaires sont montés en flèche entre mi-septembre 2008 et fin octobre 2008 (graphique n°3). Après quelques jours de paralysie, le marché interbancaire est resté marqué par une réticence persistante des banques à se prêter entre elles et par une extrême nervosité, comme en témoignent la volatilité des taux d’intérêt et la très courte maturité des lignes de crédit interbancaires (qui n’excédaient pas 24 heures, y compris pour les signatures les plus solides).
Les craintes des banques locales se sont intensifiées fin septembre 2008 lorsqu’un établissement de taille moyenne, Bank of East Asia, a été confronté à des retraits de dépôts massifs. L’intervention des autorités a permis d’endiguer rapidement la fuite des dépôts qui ne s’est pas étendue à d’autres institutions.
Les tensions du marché interbancaire et du système financier ont commencé à donner des signes d’apaisement fin octobre 2008.
Les taux interbancaires sont tombés à un bas niveau, sous l’effet d’une amélioration de la liquidité et d’une baisse du taux directeur, principalement grâce aux actions décisives de la HKMA (Hong Kong Monetary Authority), mais aussi grâce à des entrées nettes de capitaux. L’assouplissement des contraintes de liquidité n’a guère profité aux marchés actions et obligations hongkongais, qui sont restés fortement déprimés.
… atténuées grâce aux interventions de la HKMA
- Afin d’assouplir les conditions de financement des banques, la HKMA a rapidement réduit son taux directeur, en suivant les décisions de la Réserve fédérale américaine – comme l’exige le currency peg de Hong Kong. La HKMA a également modifié la formule de calcul du taux directeur par rapport au taux US afin d’accroître sa marge de manœuvre durant la crise. Le taux directeur, ramené de 5,75 % à 3,50 % au cours du S1 2008, a été abaissé à trois reprises depuis mi-septembre et se situe actuellement à un plus bas historique de 0,5 % (graphique n°3). La HKMA a d’autre part injecté directement des liquidités sur le marché interbancaire et mis en œuvre en octobre 2008 des mesures temporaires pour faciliter le financement des banques via la fenêtre d’escompte (ces mesures doivent être annulées dans les prochains jours).
- Afin de stabiliser le système bancaire, les autorités ont mis en place, en octobre 2008, une garantie illimitée de tous les dépôts en HKD et en devises. La garantie sera effective jusqu’à fin 2010 et s’applique aux montants excédant les dépôts déjà garantis dans le cadre du Deposit Protection Scheme (100 000 HKD). L’Exchange Fund de Hong Kong servira, le cas échéant, à financer la garantie des dépôts.
Un « Contingent Bank Capital Facility » a aussi été créé en octobre 2008 afin d’aider à la recapitalisation des institutions financières qui en ont besoin (son financement sera également assuré par l’Exchange Fund). Ce dispositif restera en vigueur jusqu’à fin 2010.
… et aux entrées nettes de capitaux
Après une période de sorties nettes de capitaux étrangers entre janvier et juillet 2008 (totalisant 34 MdUSD), Hong Kong a bénéficié d’entrées nettes de capitaux substantielles entre septembre et décembre (totalisant 42 MdUSD), sous l’effet du débouclement des positions de carry trade (financées en dollars de Hong Kong). Les entrées nettes de capitaux ont permis de doper la liquidité du système monétaire et bancaire hongkongais durant les derniers mois de 2008, contribuant à leur stabilisation.
Les flux de capitaux devraient être très volatiles à court terme.
D’ailleurs, Hong Kong a enregistré des sorties nettes de capitaux d’un montant de 27 MdUSD en janvier-février 2009 (graphique n°4). Le débouclement des positions de carry trade est aujourd’hui probablement achevé.
Puis une récession
Hong Kong est une économie très ouverte, un entrepôt de marchandises pour la région et un centre financier totalement intégré au système international ; le territoire est également très lié à l’économie chinoise. Hong Kong a donc été très affecté par le récent assèchement du crédit, l’effondrement du commerce mondial et le ralentissement de la croissance chinoise, et notamment par les difficultés du secteur exportateur de la province du Guangdong.
L’économie hongkongaise est aujourd’hui en récession sévère. En valeur réelle et corrigée des variations saisonnières, le PIB s’est contracté de 0,9 % en gt au T2 2008, de 0,7 % au T3 2008 et de 2,0 % au T4 2008. En rythme annualisé, la croissance du PIB réel s’est élevée à 2,5 % en 2008, contre 6,4 % en 2007. Sur l’ensemble de 2009, le PIB réel devrait reculer de 4,5 % avant de revenir en territoire positif en 2010. Nous estimons en effet que Hong Kong sera en mesure de rebondir rapidement dans le sillage de la reprise des économies chinoise et internationale : l’économie hongkongaise en effet ne souffre pas de déséquilibre macroéconomique ou de problème structurel majeurs susceptibles de provoquer un décalage entre la reprise de l’économie mondiale et celle de sa propre économie.
Recul du PIB
Le ralentissement a d’abord touché les secteurs les plus importants de l’économie hongkongaise, qui sont le commerce international, les services financiers et le marché immobilier. Le taux de chômage a rapidement augmenté pour s’établir à 3,5 % en août 2008 puis à 5,0 % en février 2009, contre un plus bas depuis 10 ans de 3,1 % en janvier 2008. La population de Hong Kong a également subi des pertes importantes sur une large gamme de placements en actions, tandis que la correction des prix de l’immobilier incite les propriétaires à couper dans leurs dépenses.
Les effets de destruction de richesse et la hausse du chômage ont à leur tour affecté les ventes de détail depuis le T4 2008.
Toutes les composantes de la demande se sont détériorées fortement. Dès le deuxième et troisième trimestres 2008, la croissance de la consommation privée et de la formation brute de capital fixe a ralenti par rapport au T4 2007 et au T1 2008. Au T4 2008, la demande intérieure a plongé, notamment à cause d’une réduction drastique des investments des entreprises privées. Le recul de la demande privée devrait se poursuivre au S1 2009 sous l’effet du pessimisme des entreprises et des ménages, de la hausse du chômage, d’un accès restreint au crédit, de la baisse des prix des actifs et du déclin des activités avec la Chine (exportations de biens et services).
Hong Kong a subi une forte contraction de ses échanges extérieurs depuis novembre 2008. Ces échanges sont largement dominés par les activités d’importation et de ré-exportation, Hong Kong servant d’entrepôt commercial pour la Chine et la région. Fin 2008, les exportations de biens représentaient 168 % du PIB. Sur ce total, les exportations de produits fabriqués localement ne représentaient que 5 %, Hong Kong ayant délocalisé sa production manufacturière dans les régions voisines, notamment au Guangdong.
Les exportations de marchandises ont reculé de 22 % en ga en janvier-février 2009, sous l’effet d’une baisse des ventes vers la Chine, et la chute des importations a été un peu plus rapide (-23 % en ga). Ces tendances devraient persister pendant quelques mois encore, ce qui pourrait aboutir à une contribution temporairement positive des exportations nettes de marchandises à la croissance du PIB. La contribution des exportations nettes de services à la croissance du PIB, quant à elle, s’est fortement contractée au T4 2008 mais reste positive.
Compte tenu de la faiblesse de la demande intérieure et de la diminution de l’inflation importée, le glissement annuel de l’indice des prix à la consommation (IPC) hongkongais a diminué rapidement, passant d’un plus haut de 6,3% en juillet 2008 à 0,8 % en février 2009 (graphique n°6) – avec une rebond temporaire en janvier 2009 sous l’effet du Nouvel An chinois. Des épisodes de déflation sont possibles cette année. En moyenne, nous prévoyons une hausse de l’IPC à 0,5 % en 2009, contre 4,3 % en 2008.
La politique économique est contracyclique, mais contrainte par le Currency Peg
- Le Currency Peg empêche les autorités hongkongaises de pratiquer une politique monétaire et une politique de change autonomes. Toutefois, étant donné que le taux directeur de Hong Kong suit les évolutions des taux directeurs américains, il restera proche de zéro à court terme. La procyclicité des économies américaine et hongkongaise permet aujourd’hui à la HKMA de conduire une politique monétaire contracyclique adaptée à la conjoncture actuelle.
- Sur le plan budgétaire, le gouvernement garde sa prudence habituelle – un élément essentiel à la crédibilité du Currency Peg.
Des mesures de relance ont été introduites depuis la mi-2008, notamment sous la forme de projets d’infrastructures.
L’augmentation des dépenses publiques semble néanmoins limitée au regard des plans annoncés par les gouvernements voisins.
D’autres mesures ne sont pas à exclure dans les prochains mois. Pour l’année fiscale 2008/09 (d’avril 2008 à mars 2009), les mesures de relance ont représenté 3,4 % du PIB. Les autorités ont en effet répondu rapidement au choc externe et ont aussi été sous pression pour redistribuer à la population l’excédent budgétaire record de l’année précédente. Le plan de relance prévoit des créations d’emplois dans la fonction publique et le secteur de la construction, le développement de projets d’infrastructures, des mesures fiscales et des prestations d’aide sociale. Pour 2009/10, le budget présenté fin février prévoit des mesures de relance équivalentes à 3 % du PIB, en recul donc par rapport à 2008/09.
Les nouvelles mesures destinées à lutter contre la récession se composent essentiellement d’initiatives fiscales, tandis que les dépenses d’infrastructures devraient continuer d’augmenter cette année (pont HK-Zhuhai-Macao entre autres).
Excédentaire à hauteur de 7,7 % du PIB en 2007/08, le solde budgétaire hongkongais a affiché un léger déficit de 0,3 % en 2008/09 et devrait atteindre, d’après les autorités, 2,4 % du PIB en 2009/10, principalement en raison de la baisse des recettes fiscales. Par ailleurs, les contingent liabilities du gouvernement ont augmenté avec la récente introduction de mesures de garantie des dépôts et de soutien au système bancaire. D’une manière générale, les finances publiques sont saines, l’endettement public est modéré et le gouvernement dispose de réserves fiscales très confortables (représentant 29 % du PIB). L’endettement public se compose de la dette du gouvernement central (1 % du PIB fin 2008), des titres émis par l’Exchange Fund (10 % du PIB) et des dettes garanties par le gouvernement (moins de 1 % du PIB).
Crédit bancaire déprimé sur fonds de récession et de détérioration de la qualité des actifs
En ligne avec le taux directeur de la HKMA, le taux de base bancaire a été ramené à un bas historique de 5,0 %, contre 5,25 % en juin 2008 et 6,85 % en décembre 2007. D’une manière générale, les taux d’intérêt offerts par les banques hongkongaises n’ont pas diminué aussi rapidement que le taux directeur, et le crédit bancaire devrait rester déprimé à court terme malgré une liquidité abondante, à cause de la forte aversion au risque des banques, de la contraction de l’activité réelle et de la détérioration de la qualité des emprunteurs locaux. Les banques de Hong Kong ont déjà subi depuis septembre 2008 d’importantes difficultés de financement et pertes dues à leur exposition au marché boursier local et aux subprimes et produits dérivés. Les banques subissent maintenant une détérioration de la qualité de leurs actifs. Le volume des prêts non performants a augmenté au S2 2008, quoique partant d’un niveau très faible, représentant 0,85 % de l’encours total des prêts en décembre 2007, 0,88 % en juin 2008 et 1,24 % en décembre 2008.
La qualité des actifs des ménages est demeurée solide jusqu’à la fin de 2008. Les nouveaux prêts non performants sont principalement provenus des entreprises, notamment des firmes exportatrices installées au Guangdong. Au cours des dernières années, l’intégration croissante de Hong Kong à l’économie chinoise – à travers la délocalisation de la production manufacturière vers la province du Guangdong et l’augmentation des financements de business chinois par les banques hongkongaises – a en effet fait naître une nouvelle source de risques. Les risques liés au ralentissement actuel de l’économie chinoise affectent désormais sévèrement le secteur bancaire hongkongais. Les faillites et défauts de paiement se sont multipliés depuis octobre 2008 dans la province du Guangdong et concernent notamment les producteurs exportateurs originaires de Hong Kong et financés par des banques hongkongaises. Selon la Fédération des industries hongkongaises, entre 10 % et 15 % des entreprises de Hong Kong (sur un total de 75 000) établies à Guangdong ont dû fermer avant février 2009.
La qualité des portefeuilles de prêts aux entreprises, des prêts sur cartes de crédit et des prêts hypothécaires détenus par les banques hongkongaises devrait se dégrader dans les prochains mois. La contraction de l’économie, la hausse du chômage, la diminution des prix des actions et de l’immobilier pèsent sur la solvabilité des entreprises locales et des ménages, ainsi que l’augmentation des taux d’intérêt réels. Le recul de l’inflation s’est en effet accompagné d’une montée des taux d’intérêt réels depuis la mi-2008 (graphique n°6), une tendance qui devrait se poursuivre à court terme. L’augmentation des taux d’intérêt réels a un effet mécanique négatif sur la dynamique de la dette domestique (suite à une période de taux d’intérêt réels très bas au S1 2008).
D’une manière générale, grâce à des ratios de liquidité et de capitalisation solides, le secteur bancaire devrait réussir à absorber les effets du choc actuel. La solide capacité des autorités hongkongaises pour soutenir les banques et gérer les périodes de crise réduit aussi les risques de crise bancaire « systémique ».
C’est aussi la raison pour laquelle il est peu probable que de nombreuses banques recourent au final au Contingent Bank Capital Facility récemment créé. Les mesures prises dernièrement par les autorités en vue de soutenir la liquidité et la recapitalisation des banques se sont néanmoins révélées utiles dans la mesure où elles ont contribué à renforcer la confiance et à stabiliser le système financier.