Optimisme en Indonésie

par Tek Khoan Ong, Vice-président exécutif senior, Directeur général de Templeton Emerging Markets Group

En tant qu’investisseurs, nous pensons qu’il y a de nombreuses raisons d’être enthousiastes. L’Indonésie possède une population importante et jeune qui s’urbanise rapidement et alimente ainsi la croissance des revenus et de la consommation. Il s’agit du 4ème pays le plus peuplé du monde, 5ème en prenant l’Union européenne (UE) dans son ensemble (données de 2013), avec plus de 240 millions d’habitants, dont plus de 40 % ont moins de 25 ans.[1] L’économie de ce pays riche en ressources naturelles est la 16ème plus importante au monde et pourrait ravir la 7ème place d’ici 2030 si la croissance du PIB se maintient à 5-6 % par an.[2]

À elle seule, la population urbaine de 110 millions de personnes devrait quasiment doubler d’ici 2030[3] et les dépenses des quelque 45 millions de ménages indonésiens à revenus moyens augmentent rapidement.[4] D’ici là, la puissance économique du pays pourrait donc même dépasser celle de l’ensemble des pays de l’UE, Allemagne et Royaume-Uni compris. L’Indonésie étant le plus grand pays d’Asie du Sud-Est au niveau démographique, sa prospérité croissante devrait bénéficier à l’ensemble de la région.

Le président venu du peuple nourrit de grands espoirs

Élu en tant que « président venu du peuple » en raison de ses origines humbles et de son parcours brillant à la mairie de Solo ou en tant que gouverneur de Jakarta, on attend beaucoup de savoir si Joko Widodo (plus communément appelé « Jokowi ») sera capable de répliquer ses réussites passées à l’échelle nationale. Nous pensons qu’il a de bonnes intentions et une équipe de proches collaborateurs efficace, mais qu’il sera naturellement confronté à quelques obstacles. Considéré comme un outsider de la scène politique, Jokowi devra notamment composer avec son propre parti, le Parti démocratique indonésien de lutte (PDIP) et un parlement fragmenté. Exemple de cette difficulté, la constitution de son gouvernement (composé de manière pragmatique de l’une des meilleures équipes exécutives depuis des années), qui a dû se faire en intégrant quelques membres qui n’auraient pas été ses premiers choix. Viennent ensuite les problèmes de corruption et le ralentissement de l’économie qui s’accompagne d’un double déficit (budgétaire et de la balance courante). Toutefois, le plus grand défi de Jokowi sera probablement de répondre aux attentes du peuple indonésien.

Les subventions sur les carburants, héritage de l’ancien président Suharto, ont fait l’objet de discussions animées au sein du nouveau régime. Ces aides se montent à environ 20-25 milliards de dollars par an, soit plus ou moins 20 % du budget du pays, contre seulement 10 % environ qui sont consacrés aux infrastructures et 5 % à la santé.[5] Introduites initialement pour aider les personnes défavorisées, elles ont également profité aux plus riches, ce qui en fait un outil inefficace. La diminution de ces subventions devrait permettre au pays de réduire son déficit budgétaire et de mieux allouer les fonds au bénéfice d’autres réformes urgentes dans les infrastructures, la santé et l’éducation. Plusieurs hausses des prix des carburants sur les exercices 2005/2006, 2008/2009 et plus récemment en 2013, avaient entraîné le versement de subventions mensuelles en liquide aux ménages les plus en difficulté durant 2 à 9 mois. Selon nous, toute retombée politique négative résultant de la réduction ou de la suppression de cette mesure devrait être temporaire, surtout si l’on tient compte de la popularité du président et de son aptitude à convaincre les masses. x

Corruption et blocages bureaucratiques : il reste du chemin à parcourir

L’Indonésie a fait des progrès dans la lutte contre la corruption en constituant notamment une commission anti-corruption officiellement désignée Komisi Pemberantasan Korupsi (KPK). Mise en place en 2002, la KPK s’inspire du modèle de la commission indépendante de lutte contre la corruption (ICAC) de Hong Kong. Elle a traité des centaines d’affaires avec un taux de réussite impressionnant et a notamment engagé des poursuites victorieuses contre le juge en chef d’une cour constitutionnelle et l’inspecteur général de la police. Des hommes d’affaires influents, des ministres et même le fils de l’ancien président Susilo Bambang Yudhoyono n’ont pas été épargnés par les enquêtes de la commission. Nous pensons qu’il reste encore beaucoup à faire, le pouvoir très limité des autorités et l’autonomie des régions participant au développement constant de la corruption, le président Jokowi devra donc continuer de soutenir et renforcer la KPK. Admettant que la lutte contre la corruption nécessitera un changement des mentalités, celui-ci opère actuellement une véritable révolution dans le système éducatif, où la construction du caractère sera mise à l’honneur dès le plus jeune âge et en école primaire.

La résolution des lourdeurs bureaucratiques devra se faire quant à elle de plusieurs façons, notamment en embauchant des individus compétents, en mettant en place un système d’évaluation de la performance basé sur le mérite avec des indicateurs clés de performance et une meilleure gestion des responsabilités, en organisant des visites surprises de hauts fonctionnaires, en favorisant les systèmes en ligne pour améliorer la transparence et l’équité et en effectuant enfin une allocation budgétaire guidée par des priorités définies.

Perspectives d’investissement

Le marché boursier indonésien enregistre des performances solides depuis début 2014 dans le sillage de l’excellente année 2013, notamment grâce à l’optimisme entourant les réformes du nouveau régime. Le président Jokowi représente un vrai changement par rapport à tous ceux qui l’ont précédé depuis l’indépendance du pays en 1945. Ainsi, nous pensons que cet optimisme est justifié dans une certaine mesure, même si comme nous l’avons dit le chemin sera probablement semé d’embûches. Du fait de sa performance, le marché est en effet moins abordable qu’il y a un ou deux ans, mais pas non plus surévalué, et cette tendance devrait se poursuivre tant que le contexte macroéconomique demeure stable.

Nous identifions des opportunités potentielles dans de nombreux secteurs qui bénéficient des facteurs démographiques favorables et pourront tirer parti des réformes à venir. Celles-ci concernent les banques, qui prêtent aux entreprises en forte croissance et fournissent des prêts immobiliers, des cartes de crédit et d’autres produits de banque de détail aux ménages, ainsi que les sociétés liées aux secteurs de la consommation, des ressources naturelles et des infrastructures.

Nous pensons en outre que le poids des investisseurs indonésiens sur le marché local peut encore augmenter. L’Indonésie est historiquement connue pour ses taux d’intérêt et son inflation élevés. En conséquence, bon nombre de particuliers préfèrent placer leurs économies sur des comptes rémunérés qui offrent des rendements élevés ou bien investir dans l’immobilier pour se protéger de l’inflation. Le fait que beaucoup d’investisseurs locaux aient essuyé des pertes sur le marché boursier lors de la crise asiatique de 1997-1998 n’a pas joué en faveur de la popularité des actions. Bien que celles-ci puissent être caractérisées par une certaine volatilité, nous pensons qu’il s’agit d’une classe d’actifs intéressante à moyen et long terme. En effet, l’indice Jakarta Composite (JCI) a par exemple généré une performance de presque 20 % par an en dollars au cours de la dernière décennie.[6] Nous pensons qu’avec une meilleure formation à l’investissement, une communauté d’investisseurs plus jeune et un environnement de taux et d’inflation plus stable et favorable, les actions (et l’Indonésie en général) devraient susciter davantage l’intérêt des investisseurs mondiaux.

Quels sont les risques ?

Tout investissement comporte un risque, notamment celui de ne pas récupérer le capital investi. Les investissements dans des titres étrangers comportent des risques spécifiques : fluctuations de change, instabilité économique et évolution de la situation politique, par exemple. Investir dans les marchés émergents, y compris dans la sous-catégorie des marchés frontières, implique des risques accrus concernant ces mêmes facteurs, lesquels s’ajoutent aux risques liés à leur plus petite taille, à leur liquidité inférieure et à l’absence d’un cadre juridique, politique, commercial et social établi pour soutenir les marchés boursiers. Les risques liés à l’investissement dans les marchés frontières sont encore supérieurs à ceux associés aux marchés émergents en raison du développement moins avancé des structures précitées, ainsi que du potentiel de forte volatilité des prix, de la liquidité insuffisante, des barrières commerciales et des contrôles sur les taux de change.

NOTES

  1. Source : Banque mondiale, données de 2013.
  2. Source : Banque mondiale, données de 2013 sur le PIB (en USD courants).
  3. Source : McKinsey & Co., « The Evolving Indonesian Consumer », novembre 2013.
  4. Ibid.
  5. Source : Banque mondiale, « Economic Premise », mars 2014. Données de 2012.
  6. Source : Jakarta Stock Exchange Composite Index. Les indices ne font l’objet d’aucune gestion et il n’est pas possible d’y investir directement.