Zone euro : en attendant la Grèce…

par Frédérique Cerisier et Thibault Mercier, économistes chez BNP Paribas

Les projections de croissance de la BCE sont inchangées. Les prévisions d’inflation ne sont relevées qu’à court terme, du fait des prix de l’énergie.

Durant sa conférence de presse, Mario Draghi a réaffirmé la nécessité d’une mise en œuvre complète du programme d’assouplissement quantitatif et réclamé un « accord solide » pour la Grèce.

La conférence de presse a été l’occasion pour la BCE de présenter ses nouvelles projections macroéconomiques à horizon 2017. Les perspectives d’évolution de l’activité restent inchangées (ou presque) par rapport aux prévisions de mars dernier. La croissance attendue du PIB est maintenue à 1,5% cette année et 1,9% en 2016, tandis qu’elle est très légèrement revue à la baisse en 2017, de 2,1% à 2%. Le principal changement est à voir du côté des projections de prix à la consommation cette année. L’inflation est relevée de 0% à 0,3%, essentiellement du fait de la remontée plus rapide qu’anticipée des prix du pétrole (en dollars) et, dans une moindre de mesure, d’un euro plus faible que dans les prévisions de mars. Pour 2016 et 2017, l’inflation attendue demeure identique aux précédentes prévisions, à respectivement 1,5% et 1,8%.

Les nouvelles projections macroéconomiques témoignent de la confiance du Conseil des Gouverneurs dans l’efficacité de la politique monétaire actuelle pour ramener, à terme, l’inflation à un niveau proche mais en deçà de 2%. Jusqu’à présent, les évolutions observées et les enquêtes de conjoncture corroborent ce diagnostic. Néanmoins, comme l’a souligné M. Draghi, le chemin à parcourir reste long. Le niveau des capacités excédentaires demeure élevé et leur résorption est dépendante d’une amélioration durable de l’activité et notamment de la demande intérieure. A ce titre, M. Draghi a pris soin de rappeler que la réalisation des projections macroéconomiques dépendait étroitement de la mise en œuvre complète du programme d’assouplissement quantitatif qui court au moins jusqu’en septembre 2016 et, de manière générale, jusqu’à ce que les perspectives d’inflation soient durablement en ligne avec l’objectif de stabilité des prix.

Plus généralement, le Président de la BCE a mis l’accent sur l’unanimité au sein du Conseil des Gouverneurs pour maintenir l’orientation actuelle de la politique monétaire tant que le redressement de l’inflation ne sera pas plus solide et en dépit des mouvements de correction, parfois brusques, pouvant intervenir sur les marchés financiers. Soulignant que des niveaux très faibles des taux d’intérêt s’accompagnaient généralement d’une élévation de la volatilité, M. Draghi a rappelé que cela ne pouvait interférer avec l’objectif de stabilité des prix, et précisé que la gestion des risques financiers appartenait aux politiques macro-prudentiel.

M. Draghi réclame un « accord solide »

Comme on pouvait s’y attendre, une grande partie de la session questions-réponses de la conférence de presse a été consacrée au cas grec. Bien entendu, le Président du Conseil des Gouverneurs de la BCE s’est refusé à commenter les négociations en cours. Il a en revanche clarifié un point : la BCE n’envisagera pas d’accroître le plafond de T-bills grecs en collatéral (actuellement 15 milliards d’euros) sans perspective crédible d’un accord, qui permettrait que les versements des créditeurs officiels au titre du second plan d’aide reprennent (ou, du moins, soient programmés). Il n’est donc pas envisageable « d’acheter du temps » dans les négociations actuelles en augmentant ces émissions. En outre, Mario Draghi a refusé de spéculer sur ce que pourrait être la réaction de la BCE (durcissement des exigences en collatéral, interruption de la fourniture de liquidité d’urgence ELA, …) si un des paiements dus au FMI en juin était manqué, ou repoussé avec les autres à la fin du mois. C’est effectivement ce qui s’est passé : à la veille d’une échéance de EUR310 millions, le gouvernement grec a demandé et obtenu l’autorisation du FMI de regrouper les échéances de juin.

Surtout, le Président de la BCE en a profité pour faire passer deux messages. D’abord, « la BCE veut que la Grèce reste dans l’euro ». Cette déclaration avait probablement pour objectif de faire contrepoids à celles d’autres officiels envisageant explicitement une sortie du pays de l’union monétaire, et visant à faire croire que, si l’Etat Grec en décidait ainsi, l’UEM saurait s’en accommoder. Bien entendu, ces déclarations s’inscrivent dans un contexte de négociations extrêmement difficiles, où chacun prétend que ses positions ne sont quasiment pas négociables. Ces déclarations sont néanmoins regrettables et pourraient avoir des conséquences durables une fois les négociations actuelles achevées. De fait, le Président de la BCE s’est également félicité de « la volonté générale et de la grande détermination » dont semblent maintenant faire preuve toutes les parties en présence pour trouver un accord.

Second message : il faut aboutir à un accord solide pour la Grèce, ce qui suppose un accord faisant preuve d’équité sociale, à même de susciter la croissance, capable d’assurer la soutenabilité budgétaire de la Grèce et de prendre en charge les risques pour la stabilité financière. Cela résume en effet parfaitement la situation: les objectifs d’excédents primaires demandés à l’Etat Grec ne doivent pas s’appuyer sur des prévisions de croissance irréalistes ou des mesures d’austérité socialement trop couteuses. Malgré cela, l’accord doit restaurer en profondeur la soutenabilité des finances publiques grecques, pour écarter durablement les spéculations sur une sortie du pays de l’union monétaire, condition nécessaire au redressement de l’économie grecque, et donc au succès du programme. De là à dire que, à la mise en œuvre effective et complète des réformes par le gouvernement grec doit répondre une forme ou une autre de restructuration des créances détenues par les Européens, il n’y a qu’un pas, que Mario Draghi n’a pas franchi en conférence de presse.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas