par Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas
L’intégration de l’UEM avec cinq propositions directement tirées de la feuille de route tracée dans le rapport des cinq présidents.
• Elle réforme le semestre européen et crée un comité budgétaire européen consultatif indépendant.
• Elle appelle les Etats membres de la zone euro à mettre sur pied un réseau d’autorités nationales de la compétitivité et à s’accorder sur un mécanisme de représentation extérieure unifiée de la zone, notamment auprès du FMI.
• Elle réitère son appel pour l’achèvement de l’union bancaire et la mise en chantier d’un système commun de garantie des dépôts.
• Au-delà même des réticences de l’Allemagne, c’est la volonté des Etats membres d’ouvrir des chantiers institutionnels dans le contexte actuel qui est incertaine.
Malgré le peu d’appétence des Etats membres pour les sujets institutionnels à l’heure actuelle, la Commission européenne (CE) s’efforce de faire progresser le dossier de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire (UEM). Elle vient de publier une série de propositions et de décisions qui visent à mettre en œuvre la première étape des réformes préconisées dans le « rapport des cinq présidents » publié en juin dernier. Comme l’explique l’encadré, ce rapport préconise de s’attacher dans un premier temps à renforcer l’union économique et monétaire partout où les réformes préconisées peuvent se faire sans révision des traités européens. Pour l’heure, la Commission européenne fait cinq propositions concrètes.
- La Commission a décidé d’ajuster une nouvelle fois le déroulement du semestre européen, notamment en dissociant l’analyse de la situation économique de la zone euro de celle des Etats membres. Il s’agit de pouvoir mettre « l’accent sur les grandes priorités budgétaires, économiques et financières de l’ensemble de la zone euro, y compris son orientation budgétaire». D’autre part, elle annonce que les situations nationales en matière sociale et d’emploi feront l’objet d’une attention privilégiée dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques.
- Deuxièmement, elle va créer un Comité budgétaire Européen consultatif indépendant. Celui-ci sera composé de cinq membres nommés par le président de la CE, après avoir notamment consulté la Banque Centrale européenne, l’Euro working group (instance administrative préparant le travail de l’Eurogroupe) et les conseils budgétaires nationaux (tels, en France, le Haut Conseil des finances publiques). Outre qu’il complète le réseau des conseils budgétaires indépendants créés dans chaque pays, ce Conseil a vocation à procéder à « l’analyse économique de l’orientation budgétaire appropriée au sein de la zone euro […] il suivra aussi la mise en œuvre du cadre budgétaire de l’UE. Il pourrait également soumettre des suggestions en vue de [son] évaluation ». L’objectif de ces deux décisions serait de créer un espace supplémentaire dans la gouvernance européenne, permettant de discuter à un niveau agrégé de la politique budgétaire, au- delà du simple résultat des politiques nationales. L’évaluation des projets budgétaires pour 2016, en cours à Bruxelles1, et sur laquelle nous reviendrons dans de prochains numéros d’Ecoweek, montre bien à quel point, selon les règles actuelles, cette orientation n’est que le résultat de décisions décentralisées prises sur la base de critères exclusivement nationaux. La création d’une capacité budgétaire pour la zone euro n’est pas, loin s’en faut, à l’ordre du jour de cette phase 1 de l’approfondissement de l’UEM. Malgré cela, créer les conditions d’un débat régulier sur cette question, en montrant que le manque de coordination des politiques budgétaires nationales peut avoir un coût pour la zone euro dans son ensemble, serait déjà une avancée notable. Le second point commun de ces deux décisions est qu’elles relèvent de la seule Commission européenne. Elles devraient donc être effectivement mises en œuvre, et de façon relativement rapide. Ce n’est pas le cas des autres mesures annoncées la semaine dernière.
- La troisième mesure mise en avant par les services de Jean- Claude Juncker concerne la création d’un réseau d’autorités nationales de la compétitivité dans la droite ligne des recommandations du rapport des cinq présidents (cf. encadré). Ici, la Commission ne peut intervenir qu’indirectement : elle recommande au Conseil européen d’adopter une proposition par laquelle il incite les Etats membres à créer de telles autorités. La situation est à peu près la même lorsqu’il s’agit de promouvoir une représentation extérieure unifiée de la zone euro dans les institutions internationales: la Commission européenne demande au Conseil européen d’élaborer et d’adopter une feuille de route qui conduirait, à terme, à une représentation de la zone euro dans son ensemble par le président de l’Eurogroupe au niveau ministériel, et par un administrateur unique. Commencer par une représentation unique au sein du FMI est naturel dans la mesure où tous les membres de la zone y sont représentés, et où leurs intérêts y sont le plus souvent convergents2. Le dernier volet des mesures préconisées par la Commission concerne l’union bancaire. Aujourd’hui, sa mise en œuvre n’est que partielle, et le rapport des cinq présidents a fait de son achèvement l’objectif le plus concret de la première phase d’approfondissement de l’UEM. Cette fois encore, la Commission européenne a réaffirmé son souhait d’achever l’Union bancaire avant mi-2017. Elle compte pour sa part accroître la pression sur les Etats qui n’ont pas encore intégralement transposé la directive européenne relative au redressement et à la résolution des défaillances3. Mais les avancées attendues les plus importantes relèvent là encore des Etats membres. Il s’agit d’une part de compléter le second pilier de l’union bancaire, le mécanisme de résolution unique, en sécurisant le financement du Fonds commun de résolution, et d’autre part de lancer la construction de troisième et dernier pilier, le système commun de garantie des dépôts4. La Commission a annoncé qu’elle soumettra avant la fin de 2015 au Conseil une proposition législative pour la mise en œuvre des premières étapes de ce système. Cela dit, il est clair que le chemin sera encore très long, l’Allemagne étant peu désireuse de voir ce projet se réaliser prochainement.
L’UEM ne sera pas une priorité du sommet européen de décembre
Avec ces propositions, la Commission européenne agit lorsqu’elle est en mesure de le faire, et s’efforce de « faire vivre » un dossier qui n’est plus, à l’heure actuelle, en haut de l’agenda des chefs d’Etats. Alors même que le rapport des cinq présidents semblait avoir énoncé des objectifs très limités pour les deux prochaines années, il n’est pas dit qu’ils ne se révèleront pas encore trop ambitieux. Les chefs d’Etats et de gouvernements européens auront déjà fort à faire d’ici à la fin de l’année avec la crise des migrants, la restructuration attendue de la dette grecque et le lancement des négociations avec le Royaume-Uni, et il nous semble très peu probable qu’une avancée sur ce dossier soit au menu du Conseil européen de décembre. Rendez-vous en juin 2016 ?
NOTES
- En vertu du « two-pack », les Etats ont envoyé avant le 15 octobre à la CE leurs projets budgétaires pour 2016. Celle-ci est en train de les évaluer pour vérifier s’ils sont conformes aux règles budgétaires européennes et s’ils tiennent compte des recommandations formulées en juin par le Conseil.
- En revanche, l’ampleur des engagements pris par l’Institution en Grèce pourrait servir de contre-exemple malheureux à l’idée qu’en avançant en ordre dispersé, la zone euro pèse au final d’un poids inférieur à celui qui devrait être le sien.
- Des procédures d’infractions ont été engagées dès janvier dernier contre les pays qui n’avaient pas transposé cette directive avant la date limite du 31 décembre 2014. La Commission compte prendre des mesures supplémentaires contre les sept Etats qui, à ce jour, n’ont toujours pas satisfait à cette obligation.
- Pour mémoire, l’Union bancaire repose sur trois piliers : le mécanisme de supervision unique des banques, le mécanisme de résolution unique et la garantie commune des dépôts. Si les deux premiers sont globalement en place, le troisième fait défaut.
ENCADRE : Le rapport des cinq présidents
Ce rapport a été préparé et publié en juin 2015 par le président Jean-Claude Juncker en étroite coopération avec les présidents Donald Tusk, Jeroen Dijsselbloem, Mario Draghi et Martin Schultz. Il donne un aperçu de ce que pourraient être les principales étapes vers l’achèvement de l’union économique et monétaire (UEM). Le rapport distingue deux phases : au cours de la phase 1 (1er juillet – 30 juin 2017), le but est de s’appuyer sur les instruments existants et d’exploiter au mieux les traités en vigueur. Ce n’est qu’à partir du milieu de l’année 2017 (phase 2) que le processus de convergence sera rendu plus contraignant à travers un ensemble de critères qui pourraient revêtir un caractère juridique.
Phase 1 : Approfondissement par la pratique
Premièrement, pour approfondir l’intégration économique, il est recommandé de créer un système d’autorités de la compétitivité de la zone euro. Chaque État membre de la zone euro devrait créer un organe national chargé de suivre les performances et les politiques dans le domaine de la compétitivité. Cela permettrait d’éviter les divergences économiques et de renforcer, au niveau national, l’adhésion aux réformes nécessaires.
Deuxièmement, le rapport est particulièrement ambitieux sur l’objectif lié à l’achèvement de l’Union bancaire. La réalisation de cet objectif passe par : 1/ l’instauration d’un mécanisme de financement relais pour le Fonds de résolution unique (Single Resolution Fund), en introduisant des mesures concrètes pour la mise en place d’un dispositif de soutien (backstop) pour ce Fonds de résolution unique ; 2/ un accord sur un système européen commun de garantie des dépôts (Deposit Insurance Mechanism) ; 3/ l’amélioration de l’instrument de recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité (European Stability Mechanism).
Le rapport recommande également de considérer le lancement de l’union des marchés de capitaux comme une priorité. En effet, des marchés des capitaux véritablement intégrés offriraient une protection contre les chocs systémiques dans le secteur financier et renforceraient le partage des risques dans le secteur privé entre pays, ce qui réduirait la proportion de partage des risques qui doit être assurée au moyen de mécanismes publics.
L’union budgétaire est essentiellement considérée comme un objectif à long terme. À court terme, le rapport recommande uniquement la création d’un Comité budgétaire européen consultatif, chargé de coordonner et de fournir une évaluation indépendante des politiques budgétaires.
Phase 2 : Achèvement de l’UEM
A plus long terme, l’objectif est de rendre le processus de convergence plus contraignant. Cela impliquerait un certain partage de la souveraineté en ce qui concerne les politiques d’intérêt commun comme les politiques sur le marché du travail et la compétitivité, l’environnement des entreprises et l’administration publique. Ces mesures seraient une condition préalable à la création d’un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro. L’accès à ce mécanisme serait fonction de l’adhésion au processus de convergence et d’une certaine mise en commun du processus décisionnel relatif aux budgets nationaux. Il ne devrait en aucun cas conduire à des transferts permanents entre pays.