par Ludovic Subran, Economiste en chef, et Mahamoud Islam, Economiste en charge de l'Asie chez Euler Hermes
• Marchés : Les marchés financiers resteront très volatils en raison d'un rééquilibrage bancal. La croissance du PIB ralentira encore, à +6,5 % en 2016 et +6,4 % en 2017, avec une volatilité accrue.
• Politique : Les autorités chinoises renforceront probablement les mesures de soutien en augmentant l'objectif de déficit (à -3,5 % du PIB contre – 2,3 %), en assouplissant la politique monétaire (baisse de -50pb du taux directeur et de -100pb du ratio de réserves obligatoires) et en dévaluant le renminbi (à 6,8-7 pour 1 USD). Une communication et des choix plus clairs viseront à rassurer le secteur privé.
• Impayés : En 2016, les défaillances d'entreprises augmenteront de +20 % et les délais moyens de paiement s'allongeront à 84 jours. La dette des entreprises est élevée (160 % du PIB) et le ratio d'endettement s'accroîtra dans les secteurs industriels (machinerie lourde, construction et matières premières), tandis que les secteurs liés à la demande des ménages (alimentation), les produits haut de gamme (ordinateurs) et les industries soumises à des objectifs gouvernementaux (aéronautique, automobile) pourraient présenter moins de risques de crédit.
• Investissement : Les résultats des entreprises devraient se stabiliser après avoir reculé de -2 % en 2015 sur fond de volumes de ventes limités, de pressions déflationnistes et de demande extérieure atone. La croissance des investissements sera inférieure à +5 % en termes réels pour la première fois en 25 ans. Le désendettement en cours, les fuites de capitaux et la baisse des IDE freineront le financement des investissements.
• Le trou noir des exportations : Les échanges commerciaux chinois ont connu une évolution en dents de scie durant l'année écoulée, marquée par des recettes limitées à l'export en USD, ce qui a fortement ébranlé les fournisseurs de premier plan du pays en matières premières (Malaisie, Amérique latine, Moyen-Orient, Afrique) ainsi que ses plateformes commerciales partenaires (Singapour, Hong Kong, Taïwan). Une initiative commerciale de très grande ampleur (One Belt One Road) pourrait constituer une lueur d'espoir.
• Yuan : Les pressions à la baisse s'accroissent – baisse des exportations, resserrement monétaire aux États-Unis, fortes pressions déflationnistes. À court terme, une nouvelle erreur de communication sur une dépréciation neutraliserait les gains de compétitivité.
La volatilité des marchés financiers est avant tout un symptôme des difficultés économiques de la Chine – pour l’instant
Les turbulences sur les marchés financiers sont imputables à la fois aux mauvaises nouvelles sur le front économique et à des erreurs de communication politique, notamment au sujet du taux de change. Les marchés ont subi de fortes perturbations (les actions ont chuté de -43 % l'été dernier, par exemple) mais leur relation avec l'économie réelle est limitée, ce qui constitue un point positif. La capitalisation boursière totale est inférieure à 50 % du PIB, contre plus de 100 % au Japon, aux États-Unis et à Hong Kong.
Bien que ses répercussions soient limitées, l'évolution erratique des marchés d'actions (deux fermetures, une volatilité des changes sans économique. La divergence des indicateurs avancés, la médiocrité des chiffres concernant les échanges commerciaux, les nouvelles preuves de sorties de capitaux et la persistance de pressions déflationnistes élevées constituent les maux de l'économie chinoise.
Les chiffres du PIB du T4 2015 (voir le tableau 1) montrent un nouveau ralentissement de l'activité (+6,8 % en glissement annuel (a/a), contre +6,9 % au T3), bien que la consommation ait été soutenue par une nouvelle relance budgétaire. Les revenus réels disponibles restent orientés à la hausse (+7,4 % en termes réels en 2015). Les services, premier moteur de la croissance, ont ralenti à +8,2 % a/a au T4 (contre +8,6 % a/a au T3). L'activité manufacturière a légèrement accéléré (+6,1 % a/a au T4 contre +5,8 % au T3). Le secteur primaire (matières premières) a connu une stabilisation de sa croissance, à +4,1 % a/a. Ce rééquilibrage bancal se poursuivra parallèlement au ralentissement de la croissance du PIB (+6,5 % en 2016, +6,4 % en 2017). La publication de nouvelles statistiques économiques entretiendra la volatilité des marchés, mais les mesures supplémentaires de soutien et la solidité de la consommation privée permettront à la croissance de se maintenir dans une fourchette durable.
L'augmentation des tensions financières pourrait poser problème si la Chine ne résout pas ses problèmes fondamentaux : un flottement politique, y compris au sujet des changes, une hausse à venir du risque de crédit et l'absence d'incitations à investir en raison du surendettement. A court terme, la boucle de rétroaction se limite à: (i) la consommation privée, qui pourrait se stabiliser au T1 en raison d'un moindre effet richesse lié aux marchés financiers ; (ii) la décélération dans les services (50,5 % du PIB en 2015) telle que reflétée par les indices PMI (en baisse à 50,2 en décembre 2015, contre 51,2 en novembre), les services financiers souffrant de volatilité (1,3 point de PIB en 2015).
Le « trilemme » politique chinois : choisir et communiquer
Depuis quelques temps, la Chine est à la croisée des chemins sur plusieurs fronts politiques clés (voir l'illustration 2). Premièrement, assurer la stabilité du RMB pourrait s'avérer difficile – d'autant plus si les autorités entendent à la fois préserver l'indépendance de la politique monétaire et libéraliser davantage les comptes courants. Deuxièmement, le maintien d'une solide base financière (réserves de change abondantes et finances publiques saines) nécessitera une plus grande sélectivité en termes de dépenses. L'association d'une forte hausse des investissements extérieurs (au travers par exemple de l'initiative One Belt One Road) et de mesures généreuses de soutien budgétaire ne sera donc sans doute pas viable à moyen terme. Troisièmement, la transition vers une croissance de qualité et les réformes qui y sont associées (entreprises publiques, désendettement des entreprises et libéralisation des marchés financiers) signifient un moindre contrôle sur l'objectif de croissance. Comme nous l'avons expliqué dans notre récent rapport China: Great Wall, Great Mall, Great Fall? Not really…, 1 RMB de croissance en Chine nécessite près de 3,3 RMB de crédit en plus (contre 1,8 RMB de crédit en plus en 2011). Après la tenue du cinquième plénum en novembre dernier, l'assemblée législative suprême devra voter en mars les modalités de la poursuite de cette transition.
À court terme, la Chine entrera dans un mode de soutien « à tout prix » passant par de plus fortes relances budgétaire et monétaire. Au niveau budgétaire, le déficit a dépassé les prévisions l'an dernier (-2,5 % du PIB) et Euler Hermes table sur un nouveau creusement, à -3,5 % du PIB, en 2016. Cette augmentation du déficit proviendra des baisses d'impôts concédées aux entreprises et de la hausse des dépenses publiques en infrastructure et prestations sociales. Parallèlement, les autorités conserveront une politique monétaire accommodante, passant par une baisse de -50pb des taux d'intérêt et une réduction de -100pb du ratio de réserves obligatoires. Enfin, nous anticipons une dépréciation du RMB à 6,8-7 pour 1 USD d'ici au S2 2016, ce qui pourrait soutenir la croissance à hauteur de 0,2 point (grâce aux exportations) mais alimentera les craintes de sorties de capitaux.
Les autorités chinoises devront décider et faire part de priorités plus claires pour les deux ans à venir afin de ne pas donner l'impression qu'elles poursuivent des objectifs contradictoires et de rassurer le secteur privé. Les tentatives récentes de contrôle des marchés financiers (dont le mécanisme de coupe-circuit et la limite de 1 % posée aux ventes d'actions d'une entreprise depuis le 9 janvier) se sont révélées contreproductives et vont à l'encontre de l'appel des dirigeants à une meilleure intégration financière. Cette approche politique itérative tranche avec la solidité des plans quinquennaux et continuera de faire l'objet d'une surveillance étroite. Une communication claire sera cruciale.
Les entreprises coincées entre hausse de l’endettement et baisse des bénéfices
Les défaillances d'entreprises ont augmenté de +25 % en 2015 et devraient encore croître de +20 % en 2016. Les délais de paiement se sont allongés à 81 jours en 2015 (contre 77 en 2014) et devraient atteindre 84 jours en 2016. L'assouplissement monétaire a permis d'abaisser le coût du crédit mais l'ampleur des stocks de dette et l'augmentation du risque d'impayés pour les banques freinent la croissance des prêts. Mi-2015, la dette des entreprises atteignait 160 % du PIB. Les conditions de crédit bancaire se sont dégradées. Les banques commerciales ont fait état d'une hausse des prêts non productifs, à 1,59 % au T3 2015 (contre 1,16 % au T3 2014), soit 1 186 milliards RMB (environ 180 milliards USD). La croissance des bénéfices nets a nettement ralenti, à +2,2 % a/a au T3 2015, contre une hausse de +13 % en 2014.
L'ampleur de l'endettement constitue un problème à long terme, notamment dans un contexte de baisse des profits. Sur la base d'un panel de 2 900 entreprises cotées en Chine, nous avons analysé l'évolution de la dette, des fonds propres et de la trésorerie dans le pays. Entre 2012 et le S1 2015, les emprunts à long terme ont augmenté de 10000 milliards RMB, portant le ratio dette/fonds propres à 114 % (contre 98 % en 2012). Néanmoins, le ratio dette nette/fonds propres (actualisant la trésorerie disponible) ne ressortait qu'à 63 % au S1 2015, confirmant l'existence d'un problème non négligeable, mais pas insurmontable.
L'étude sectorielle montre que les services aux collectivités, les matériaux, et l’industrie enregistrent une hausse de leur ratio d'endettement et une baisse de leurs profits. Sans surprise, dans ces secteurs, les conditions de paiement se sont dégradées sur la période, la construction et le secteur manufacturier payant en moyenne deux semaines plus tard en 2015 qu'en 2012. Les secteurs plus exposés à la demande finale des ménages (biens de consommation de base et discrétionnaires) et ceux soumis aux objectifs gouvernementaux (dont les technologies de l'information, les télécommunications et les transports) voient leur ratio d'endettement s'orienter à la baisse.
Equilibre ou déséquilibre ? L'investissement jouera un rôle clé
La modeste croissance des ventes et les pressions baissières sur les prix pourraient continuer de restreindre la progression des chiffres d'affaires en 2016. Les bénéfices des grandes entreprises industrielles ont reculé d'environ -2 % en 2015, même si les derniers indicateurs suggèrent une légère amélioration (stabilisation en 2016). La déflation, en particulier, continue de peser sur la rentabilité. Les prix à la production se sont contractés en décembre pour le 46ème mois. Cette baisse s'étend à l'ensemble de la chaîne de valeur, l'IPP accusant un repli de -19,7 % en décembre a/a dans le secteur minier et de -0,4 % a/a dans les biens de consommation.
La production industrielle a augmenté de +5,9 % et les profits, de +4,7 % a/a en décembre, mais ces chiffres masquent les difficultés des moyennes et petites entreprises (dont les PMI manufacturiers officiels sont ressortis à 49,6 et 44,9 respectivement, contre 50,9 pour les grandes entreprises). Les grandes entreprises bénéficient plus vite des politiques d'assouplissement mais les secteurs à forte intensité en capital (machinerie lourde, construction) sont là aussi les plus pénalisés par l'asséchement des liquidités. Notons aussi que les entreprises publiques ont donné des signes de faiblesse manifestes en 2015, avec un ralentissement de la croissance de la production industrielle (+2,6 % a/a en décembre) et une baisse des bénéfices (-21,9% a/a en novembre). En outre, les autorités ont clairement fait le choix d'arrêter leur longue politique de soutien inconditionnel (soutien aux secteurs industriels traditionnels, avec un risque de retour sur investissement négatif).
La croissance de l'investissement ralentira encore en 2016 (à moins de 5 % pour la première fois en 25 ans), reflétant la réduction continue des surcapacités, un risque entreprise élevé et un climat des affaires morose. Le financement de l'investissement sera délicat, le sentiment des investisseurs restant négatif. Les flux d'IDE ont continué de décroître (en 2015, ils ont baissé de moitié entre le T3 et le T2) et la fuite des capitaux s'est intensifiée, atteignant 504 milliards USD en 2015. L'épargne locale comme les investisseurs étrangers seront nécessaires au financement des investissements en Chine en 2016.
La fin du trou noir commercial
Les statistiques relatives aux échanges commerciaux font état d'une performance mitigée, qui reste en baisse en USD mais s'améliore en RMB, reflétant la dépréciation de la monnaie. Les exportations libellées en USD se sont contractées de -1,6 % a/a en décembre (contre -7 % a/a en novembre). En RMB, les exportations ont augmenté de +2,3 % (contre -3,7 % a/a en novembre). Les importations en USD ont baissé de -7,4% a/a en décembre (contre -8,8% a/a en novembre). En RMB, les importations ont décru de -4 % a/a (contre -5,6 %). Au final, la balance commerciale a apporté une contribution légèrement positive de +59,4 milliards USD (contre 53,7 milliards USD), montrant que le cycle des échanges continue de donner des signes de faiblesse en Asie. La baisse des exportations a commencé il y a plus d'un an et se poursuit encore. L'économie « de bazar » s'essouffle et les échanges joueront un rôle clé dans les efforts de la Chine pour restaurer sa croissance et son influence. L'initiative One Belt One Road et le statut d'économie de marché accordé par l'OMC constitueront la pierre angulaire d'une politique commerciale plus solide, visant à soutenir une montée dans la chaîne de valeur mondiale plutôt qu'à entrer dans une nouvelle guerre des monnaies.
La décélération des importations chinoises a eu également des effets sans précédents sur les exportateurs de produits de base fragiles comme la Malaisie, l'Indonésie, le Chili et le Pérou, les pays du GCC et l'Afrique du Sud, tandis que la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont bien résisté grâce à de solides « pare-chocs macroéconomiques ». La Chine représente 15 % des importations de produits de base. Son influence sur les prix est très nette concernant le minerai de fer (48,3 % des importations mondiale), les minerais non ferreux (29,5 %), le charbon (19 %) et le pétrole brut (13,1 %). L'ampleur du ralentissement en Chine pèse fortement sur les prix à l'échelle mondiale. Des pays comme Singapour, Hong Kong, Taïwan et la Corée du Sud ont été des plateformes essentielles (infrastructures, finance) de l'essor commercial chinois et sont maintenant à la peine.
Le yuan au cœur de la tempête
L'évolution du marché des changes est à la fois une cause et une conséquence des difficultés de la Chine. Une cause, parce que les exportateurs chinois ont souffert d'une moindre compétitivité en termes de prix du fait de l'appréciation continue de la monnaie ces dernières années, les coûts du travail augmentant. Associé à une croissance modérée de la demande extérieure, cela s'est traduit par une performance médiocre en termes d'exportations. Une nouvelle dépréciation du yuan exercera des pressions supplémentaires sur les pays qui concurrencent la Chine ou commercent activement avec elle, conduisant à une nouvelle baisse des prix à la production dans ces pays. Le Japon pourrait être concerné, mais aussi les pays de la zone euro.
Les fluctuations récentes du yuan sont aussi la conséquence d'une moindre confiance dans les perspectives chinoises, et des sorties de capitaux massives qui y sont associées, lesquelles pèsent sur la monnaie. Le contexte actuel appelle une nouvelle dépréciation de la monnaie: (i) les pressions internationales se sont atténuées avec l'intégration du RMB dans le panier des DTS ; (ii) l'activité économique est fragile et les exportations se sont affaiblies; le resserrement monétaire aux États-Unis exerce des pressions baissières sur la paire RMB/USD; (iv) les pressions déflationnistes sont élevées, le déflateur du PIB s'étant contracté de -0,8 % a/a au T4 2015 ; et (v), un régime de change plus libre sur le RMB pourrait contribuer à réduire l'utilisation des réserves de change, qui ont fortement diminué en 2015. Globalement, Euler Hermes anticipe une dépréciation du RMB à 6,8-7 pour 1 USD. Si cette dépréciation fait l'objet d'une communication adéquate, elle pourrait ne pas avoir d'effet négatif sur les marchés d'actions. Dans le cas contraire, comme nous l'avons vu jusqu'ici, elle porterait atteinte à l'économie chinoise.