par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque
On aurait tort de croire qu’il y ait urgence à obtenir un accord à Doha le 17 avril prochain. Peu importe l’issue de cette réunion, le prix du baril de pétrole ne renouera pas de sitôt avec un niveau suffisant pour équilibrer les finances publiques de la grande majorité des pays producteurs.
Bien que le baril ait lourdement chuté depuis mi-2014, il reste encore légèrement supérieur à sa moyenne de longue durée. De 1861 à nos jours, le prix réel moyen du baril se situe à 33,90 dollars. Une analyse historique nous permet de conclure que l’anomalie n’est en rien la période actuelle mais bien celle de 2011-2014. La rente pétrolière n’est pas un fait constant depuis la première révolution industrielle.
Pour qu’il y ait accord, il faut qu’il y ait convergence d’intérêts, ce qui n’est pas encore acquis. L’Iran et l’Irak sont engagés dans un processus de long terme de retour sur le marché avec une hausse de la production mensuelle respectivement de 13% et de 32% par rapport à juin 2014 qui entre en conflit avec l’idée d’un gel de la production. A court terme, le marché se focalise sur l’Iran mais à plus long terme c’est la hausse de la production irakienne qui fait peser le plus de risque sur l’offre. Deux pays font incontestablement les frais de la stratégie de conquête des parts de marché initiée par l’Arabie Saoudite et les autres pays du Conseil de Coopération du Golfe : le Venezuela et l’Algérie. Dans les deux cas, l’appareil productif n’a pas pu s’adapter à la chute des cours. Résultat : la production pétrolière mensuelle a chuté de 0,3% au Venezuela et de 6,7% en Algérie par rapport à juin 2014. Ces deux pays sont sur le fil du rasoir. Ils sont les plus susceptibles de recourir à des mesures économiques exceptionnelles à moyen terme (dévaluation monétaire, gel des prix, durcissement des règles concernant les transferts financiers internationaux) et à une aide internationale sur le plus long terme.
Dans un contexte de prix durablement bas du baril, l’urgence est double pour les pays producteurs. Premièrement, il faut un prix du baril qui puisse couvrir le prix de production, ce qui est actuellement le cas, y compris pour le Venezuela où il est parmi les plus élevés, à 23,50 dollars le baril. Deuxièmement, il faut un prix du baril qui puisse permettre à ces pays d’effectuer leur transition économique dans les moins mauvaises circonstances possibles. Le processus est déjà entamé. Les membres de l’OPEP ont intégré la nécessité de diversifier leurs sources de revenus, de vendre des actifs pour ceux qui le peuvent, ou de recourir à des prêts internationaux dans un contexte favorable de taux bas. En considérant la capacité d’adaptation des pays du Golfe et les stratégies nationales propres à l’Iran et à l’Irak, le cartel n’a pas l’obligation d’obtenir à tout prix un accord à court terme.
Trois scénarios sont possibles à Doha :
- l’absence d’accord. Dans ce cas de figure, le prix du baril pourrait chuter rapidement vers la zone des 30-33 USD sous l’effet de l’annonce d’un échec avant de revenir à moyen terme dans son range des dernières semaines, compris entre 35 USD et 40 USD. C’est le scénario qui nous parait le plus probable au regard des informations actuellement disponibles et des fondamentaux du marché. Doha serait au final un non-évènement pour les investisseurs. Un accord global serait reporté à la réunion de l’OPEP de juin prochain ;
- un accord a minima qui consisterait en un gel de la production entre plusieurs pays producteurs sur le même schéma que l’accord de février. Une telle éventualité ne permettrait pas de résoudre le problème d’excès d’offre sur le marché et la pression à la baisse sur les prix demeurerait. En outre, la question du respect de l’accord par toutes les parties prenantes serait soulevée. En effet, la Russie a interprété assez librement le gel de la production décidé en février auquel elle participe pourtant. Ainsi, en mars, la production russe a continué d’augmenter pour atteindre un point haut depuis la fin de l’ère soviétique, à 10,91 millions de barils par jour. Enfin, un accord a minima n’est clairement pas dans l’intérêt de l’Arabie Saoudite puisqu’il reviendrait à laisser l’Iran se réapproprier des parts de marché ;
- un accord global intégrant l’Iran. Parmi les conditions possibles, il pourrait être prévu qu’un délai supplémentaire soit octroyé à Téhéran afin que la production journalière du pays atteigne un rythme plus soutenu avant un gel total. Il s’agit du moins mauvais scénario pour l’ensemble des pays producteurs mais il implique que des pressions soient exercées sur l’Iran afin qu’il l’accepte. Il s’agit du seul cas de figure où le prix du baril peut s’orienter à moyen terme vers la cible de l’OPEP à 50 USD. Un tel accord nécessite un pilotage fin de la part du cartel car, à partir de 50-60 USD le baril, les exploitants de pétrole de schiste américains sont de nouveau rentables et peuvent inonder le marché de leur production.
Même en cas d’accord global, l’OPEP ne sera pas en mesure d’endiguer l’essor inexorable des deux menaces que constituent la production irakienne et le pétrole de schiste dont le coût d’exploitation chute rapidement grâce aux innovations technologiques. Les membres de l’OPEP ont conscience qu’ils ne peuvent que gagner du temps et qu’ils doivent le mettre à profit pour diversifier leur économie et, parfois, réformer leur système social inadapté à l’ère du pétrole bas.