par William De Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas
• Le 20 janvier dernier, le baril de Brent touchait un point bas à USD 27,88 (EUR 25,52). Récemment, il a franchi la barre de USD 50.
• Cette forte hausse a allégé les tensions financières des pays producteurs de pétrole, une évolution saluée par les marchés d’actions et d’obligations d’entreprise.
• A plus long terme, ce renchérissement du pétrole pourrait être problématique. Il risque en effet de peser sur la croissance des dépenses de consommation et de créer une ambiguïté concernant la politique des banques centrales. De plus, les niveaux actuels restent bien inférieurs aux prix d’équilibre budgétaire des pays producteurs.
Les prix du pétrole ont fait les gros titres cette année et ce pour des raisons opposées : une baisse continue pour commencer, et un redressement spectaculaire ensuite.
Après les inquiétudes liées à la chute des cours de l’or noir…
La forte baisse des cours du brut en 2015 et au début de cette année a fini par devenir une source de préoccupation majeure pour l’économie mondiale. Certes, la baisse des prix du pétrole donne un coup de pouce à la croissance dans les pays importateurs, mais les producteurs sont à la peine, que ce soit au niveau des pays (comme ceux du Golfe) ou au niveau sectoriel (comme les producteurs d’huile de schiste aux Etats-Unis). Les problèmes financiers ainsi induits se traduisent par des coupes claires dans les investissements et les projets d’infrastructure des pays producteurs, un creusement des déficits budgétaires ainsi qu’une aggravation générale des incertitudes. De plus, eu égard à l’atonie de la croissance économique mondiale, certains ont fini par voir en partie dans la baisse des prix du pétrole la conséquence d’une demande insuffisante et pas seulement l’expression d’une offre abondante.
Le FMI, dans ses Perspectives économiques mondiales d’avril 2016, estimait que le repli des prix du pétrole en 2015 reflétait une offre excédentaire tandis que la baisse des prix à terme pour les années à venir était aussi en partie imputable au fléchissement attendu de la demande mondiale. Pour sa part, Liberty Street Economics, le blog de la Réserve fédérale de New York, soutient que le recul observé depuis mi-2015 est dû à la fois à la faiblesse de la demande et à l’accroissement de l’offre1. Les opérateurs du marché estimant que le fléchissement de la demande joue un rôle dans l’évolution des prix du pétrole, la chute de ces derniers devient d’autant plus préoccupante qu’elle traduirait un ralentissement plus général de l’économie mondiale. C’est la raison pour laquelle la réaction des pays importateurs à la faiblesse du prix du baril, en particulier en termes de consommation des ménages, a été plus faible que prévu2 selon le FMI.
… le soulagement suscité par leur redressement
Selon Liberty Street Economics3, depuis le début de 2016, la « réévaluation des anticipations de la demande mondiale a été un facteur légèrement plus déterminant des mouvements des cours du pétrole que les conditions perçues de l’offre». Cependant, la perturbation des approvisionnements dans plusieurs pays n’est pas non plus étrangère au rebond des prix de l’or noir. Quelle que soit l’importance relative de ces facteurs, l’impact sur les marchés financiers n’a pas été négligeable. Après l’envolée des rendements des obligations à haut rendement des émetteurs du secteur américain de l’énergie, sur fond de baisse des prix du pétrole, une envolée reflétant le niveau de risque accru de ces émetteurs, le redressement du prix du baril a entraîné, comme on pouvait s’y attendre, un mouvement dans la direction opposée.
Un tel redressement s’est également traduit par une nette surperformance des valeurs pétrolières par rapport au marché dans son ensemble.
Ces réactions de grande ampleur témoignent de la sensibilité des performances financières des sociétés pétrolières à l’évolution des cours du brut, la chute des prix mettant à mal leur rentabilité, tandis que leur ascension a un impact disproportionné sur la croissance bénéficiaire. De plus, les fluctuations de l’appétit des investisseurs pour le risque ont aussi leur importance. En effet, la remontée des cours des obligations et des actions traduit non seulement un regain d’intérêt pour le secteur de l’énergie, mais aussi une réévaluation plus générale des perspectives économiques des pays producteurs et sociétés du secteur de l’énergie : la hausse des cours du brut réduit en effet la probabilité de risques de pertes extrêmes « tail risk », pouvant avoir des effets de contagion sur d’autres pays ou secteurs. Conséquence, la corrélation entre les cours du pétrole et ceux des actions, qui a été positive en phase de repli de l’or noir, l’est restée avec le redressement des prix du brut.
Et si les inquiétudes étaient de retour ?
Devant le rebond notable observé depuis le point bas de janvier, on peut se demander à partir de quel moment le sentiment du marché sur les conséquences de ce renchérissement va commencer à changer. (…) La corrélation pétrole-actions n’est pas toujours positive. Lorsque les prix du brut sont suffisamment élevés (USD 75 ou plus), la corrélation devient aléatoire : elle est presque aussi souvent positive que négative. Manifestement, dans l’environnement actuel, ce niveau de prix ne semble pas réaliste, ne serait-ce que parce qu’il entraînerait un accroissement significatif de l’offre de pétrole de schiste américain issu de la fracturation, qui limiterait probablement l’embellie des cours pétroliers. Pour autant, la dynamique de la corrélation nous rappelle que des hausses ultérieures des cours du pétrole pourraient donner lieu à des analyses moins favorables.
Premier facteur d’inquiétude: les pays exportateurs de pétrole restent confrontés à de sérieux problèmes (…) Dans de nombreux pays, le prix d’équilibre est bien supérieur aux prix actuels. Certes, il est peut-être exagéré de demander un budget à l’équilibre, car après tout un ratio stable dette/PIB pourrait suffire; le tableau ci-dessous montre néanmoins que dans de nombreux pays les préoccupations récentes à l’égard des finances publiques n’ont pas disparu, malgré le redressement du baril.
Deuxième facteur : l’impact sur l’inflation et la politique des banques centrales. Janet Yellen a indiqué, dans une allocution récente4 que, par rapport à l’objectif en matière d’emploi, des progrès moins importants ont été accomplis vers la réalisation de l’objectif d’inflation du FOMC, précisant cependant qu’elle restait optimiste parce que le taux de change effectif du dollar s’était à présent stabilisé (autrement dit, il ne s’apprécie plus) et que les cours du pétrole avaient cessé de reculer. Cela signifierait donc que la Fed tient également compte de l’inflation totale et, partant, que sa politique serait influencée par l’évolution du prix du baril. La question de savoir si la banque centrale prend en considération l’inflation totale ou l’inflation sous-jacente se pose également pour la zone euro, où selon nos estimations, une hausse de USD 10 du cours du brut entraîne une augmentation de l’inflation totale d’environ 0,4 point de pourcentage. C’est ce que la BCE appelle, dans ses études et communiqués, les « effets de second tour » ; autrement dit, dans quelle mesure le reflux des cours du brut jusqu’en janvier 2016 peut-il avoir une influence sur l’évolution des salaires ?
Lorsqu’il y a « effets de second tour », le recul des prix pétroliers peut entraîner un ralentissement des hausses salariales et déclencher une dynamique désinflationniste qui va en se renforçant ; l’inverse est vrai en cas de renchérissement du pétrole, une tendance observée depuis la fin du mois de janvier. Mario Draghi s’est récemment exprimé, à plusieurs occasions, sur ce point. En janvier 2016, il a ainsi déclaré : « Nous surveillons les effets de second tour de la faiblesse des prix du pétrole et des matières premières sur le reste de l’économie, qui seraient susceptibles d’engendrer ce que nous voulons précisément éviter : un phénomène de spirale de baisse des prix5 ». Plus tard, en février : « Alors que la toute dernière vague de désinflation est principalement due au nouveau fort recul des cours du brut, des hausses salariales plus faibles que prévu conjuguées au repli des anticipations d’inflation impliquent une analyse très fine des canaux par lesquels une inflation constatée, créant la surprise par rapport aux prévisions, peut influencer la fixation des prix et des salaires futurs au sein de notre économie »6. Une étude réalisée par la BCE en 2010 a montré que les effets indirects et de second tour d’une hausse de 10 % des cours du pétrole oscillaient, selon les estimations, dans une fourchette de 0,20 % à 0,29 %, non sans préciser que ces effets s’étaient atténués depuis le milieu des années 1980 en raison de changements structurels dont une modification du processus de formation des salaires et des prix7.
Les anticipations d’inflation peuvent également avoir une incidence sur la manière dont la BCE va tenir compte du renchérissement du pétrole dans la fixation de sa politique monétaire (…) Après un rebond au début du mois de mai, les anticipations d’inflation se sont stabilisées malgré une hausse des cours du pétrole, l’euro s’étant apprécié par rapport au dollar. Il est difficile, dans ces conditions, de tirer des conclusions claires.
Autant de raisons pour lesquelles il faudra, dans les prochains mois, étudier avec soin les déclarations de la BCE sur les effets de second tour. Car le sentiment du marché, selon lequel elle serait tentée de ne pas envisager d’autres mesures en raison de l’évolution de l’inflation totale, pourrait entraîner une appréciation de l’euro. Dans l’ensemble, étant donné que l’inflation sous-jacente reste nettement en deçà de l’objectif d’inflation de la BCE et qu’on ignore encore si la hausse des prix du pétrole est temporaire ou permanente, nous pensons que l’Institut de Francfort va maintenir son orientation de politique monétaire actuelle.
Le troisième facteur d’inquiétude a trait à l’impact sur la croissance. Eu égard aux tendances récentes des cours du pétrole, une nette progression de l’inflation totale semble inévitable (…) Dans un tel scénario, la hausse de l’IPCH en décembre 2017 serait de 1,5 %. Dans un scénario extrême avec augmentation linéaire du cours du brut à USD 70 à la fin de l’année prochaine, la hausse de l’IPCH en décembre 2017 serait de 2,1 %.
Malgré l’amélioration de la situation sur le marché du travail, les hausses salariales devraient rester inférieures à l’inflation totale, impliquant un ralentissement de la croissance des salaires réels et, par conséquent, des dépenses de consommation. A cela s’ajoute l’impact du renchérissement des prix sur les importations pétrolières (hausse en valeur) et, par voie de conséquence, sur la balance commerciale ainsi que sur la rentabilité d’entreprises grandes consommatrices d’or noir. Pour toutes ces raisons, la croissance devrait légèrement marquer le pas dans la zone euro en 2017 par rapport à cette année.
NOTES
- Lower oil prices and US economic activity, Liberty Street Economics, 2 mai 2016
- FMI – Perspectives économiques mondiales, avril 2016
- Oil price dynamics report, Liberty Street Economics, 6 juin 2016
- Janet Yellen, Current conditions and the outlook for the US economy, 6 juin 2016
- Déclaration introductive à la conférence de presse, 21 janvier 2016
- Déclaration introductive devant le Parlement européen, 1er février 2016
- Prix du pétrole – leurs déterminants et leur incidence sur l’inflation et la macroéconomie de la zone euro, Bulletin mensuel de la BCE, août 2010