Perspectives 2017 : l’élection de Trump ouvre un vaste champ des possibles

par Frédérique Cerisier et Jean-Luc Proutat, Economistes chez BNP Paribas

L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ouvre un vaste champ des possibles, y compris celui de voir à court terme l'activité se renforcer.

Nous révisons en hausse nos prévisions de croissance, d'inflation et de taux d'intérêt américains à horizon 2017 et 2018.

Les baisses d’impôts à venir interviendront dans un contexte de quasi plein emploi ; les tensions sur les salaires et les prix devraient s’accentuer.

Dans ce contexte, la Réserve fédérale (Fed) devrait être amenée à relever un peu plus vite ses taux directeurs.

En Europe, la reprise se poursuit, l’année 2017 commençant sur une note favorable.

L’accélération de l’inflation pourrait toutefois, à terme, exercer un frein sur la reprise.

L’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE) se prolonge par ailleurs, au prix d’une réduction du volume mensuel des achats.

Parmi les conséquences, que l’on devine nombreuses, de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, il en est une qui se précise : la remontée des taux d’intérêt. Aujourd’hui voisin de 2,40%, le coût moyen des emprunts publics a gagné 50 points de base depuis que celui qui s’autoproclame « roi de la dette » est sorti vainqueur des urnes (le 8 novembre 2016).

L’Amérique s’échauffe

Les intervenants de marché se reportent sur le compartiment des actions et jugent que les propositions économiques du nouveau locataire de la Maison Blanche, fussent-elle imprécises, sont de nature à mettre l’activité et les prix sous tension. Les dernières « minutes » du Comité de la politique monétaire américaine indiquent que les banquiers centraux ne sont pas loin de faire la même analyse. S’exprimant il y a peu dans les colonnes du Financial Times, le président de la Réserve fédérale de San Francisco, John Williams, doutait de l’opportunité d’une stimulation budgétaire, à un moment où l’économie approche du plein emploi (le taux de chômage est descendu à 4,7% en décembre 2016) et l’inflation de la cible officielle de 2% (elle atteignait 1,7% en novembre 2016).

Certes, les cadeaux fiscaux de Trump président devront être avalisés par le Congrès et seront moins généreux que ceux promis par Trump candidat, La plupart ne sont pas financés (par des économies équivalentes de dépenses), tandis que certains apparaissent proprement irréalistes. C’est par exemple le cas de la proposition visant à retrancher de la base taxable des sociétés les recettes d'exportation, qui s’apparente à une mesure protectionniste unilatérale et contrevient aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Il n’en reste pas moins que, si seulement le tiers des baisses d’impôts envisagées devaient aboutir, l’équivalent d’un point de PIB serait transféré aux ménages et aux entreprises en 2017 et 20181. La propension à consommer des populations visées (les plus aisés) ayant beau être faible, l’impact sur la dépense ne peut être tenu pour négligeable.

Dans cette perspective, et alors que les indicateurs d’activité, d’emploi ou de salaires sont bien orientés, la normalisation de la politique monétaire n’a aucune raison de s’interrompre. Elle devrait même s’accélérer, notre scénario retenant pour les deux ans à venir six hausses d’un quart de point des taux directeurs, ce qui porterait le coût des fonds fédéraux à 2,25% fin 2018. La Fed en ayant, par ailleurs, fini avec l’assouplissement quantitatif, la réduction de la taille de son bilan est une question qui se posera tôt ou tard. Le contexte est finalement propice à la remontée des rendements obligataires, que nous anticipons aux alentours de 3,0% fin 2017, 3,5% fin 2018 (pour les emprunts d’Etat à dix ans).

Les taux d'intérêt en zone euro sont-ils susceptibles d’accompagner le mouvement ? Le fait est que leurs points bas ont été partout dépassés, en Allemagne, notamment, comme en France, où la période de quasi gratuité des emprunts publics à long terme s’achève2. En Italie, les rendements obligataires se rapprochent de 2%. Au-delà d’un « effet Trump » contagieux, on peut y voir la conséquence d’une réelle amélioration de la conjoncture en Europe.

L’Europe surprend

La reprise économique se poursuit en effet sur le Vieux continent, et tend même à nous surprendre par ses capacités de résistance. La croissance du PIB s’est, certes, un peu tassée mi-2016, en hausse de 0,3% trimestre sur trimestre (t/t) aussi bien au deuxième qu’au troisième trimestre. Néanmoins, en variation annuelle, elle a conservé un rythme étonnement stable de 1,7%3. Tout en restant plutôt bien orientée, la consommation des ménages a semblé s’essouffler au fur et à mesure que l’on avançait dans l’année, passant d’un rythme de croissance de 1,9% en glissement annuel (g,a,) au T1 à 1,6% au T3. Après un franc rebond au T2, les dépenses d’investissements et les échanges extérieurs ont repris leur souffle durant l’été, mais restent plutôt bien orientés, en hausse de 3,0% g,a, pour les investissements et de 2,2% g,a, pour les exportations. Preuve que le moteur est bien lancé, les données conjoncturelles pour le quatrième trimestre 2016 ne cessent de surprendre les observateurs à la hausse. Si l’on en croit les données du début du trimestre, la croissance de la production industrielle devrait aisément dépasser 1% t/t au T4, et celle des ventes au détail s’en approcher, en accélération marquée par rapport aux performances du T3. L’indice PMI composite pour la zone euro a ainsi fini l’année 2016 au plus haut depuis mi-2011, en hausse de plus d’un point par rapport au trimestre précédent. Les enquêtes de la Commission européenne confirment cette tendance, avec des indicateurs de confiance sur une tendance très nettement haussière au cours des derniers mois dans tous les secteurs d’activité.

Au final, tout indique que la croissance accélérait nettement fin 2016 en rythme trimestriel et que l’année 2017 a été entamée sur une note très favorable. Au-delà, nous tablons toujours sur un ralentissement modéré de la croissance cette année. En effet, il est clair que plusieurs des facteurs qui ont soutenus la reprise l’an passé – et en premier lieu l’absence d’inflation, l’extrême faiblesse des taux d’intérêt, des prix du pétrole peu élevés – s’estompent. Mais la machine est enclenchée et apparemment à même de surmonter, au moins en partie, ces évolutions.

La BCE continue de calmer le jeu

Si la remontée des taux apparaît cependant moins marquée de ce côté-ci de l’Atlantique (+25 points de base en moyenne depuis le 8 novembre 2016 pour les emprunts d’Etats), la Banque centrale européenne (BCE) y est pour beaucoup. Alors que la Fed a enclenché le relèvement de ses taux directeurs, celle-ci maintient sous l’étiage de zéro le loyer de l’argent. Elle prolonge aussi la politique d’assouplissement quantitatif (QE). La nécessité d’étendre le programme d’achats d’actifs au-delà de mars 2017 étant admise, le Conseil des gouverneurs devait s’organiser pour faire face au risque de pénurie de titres éligibles. Il a finalement opté pour un prolongement de la durée minimale du QE de neuf mois, soit jusqu’en décembre 2017, associé à une réduction du volume d’achats mensuels, de EUR 80 mds à EUR 60 mds, à partir d’avril 2017.

Comme à l’accoutumée, la BCE a laissé la porte ouverte à une augmentation de la durée et/ou de l’ampleur du QE si, d’ici décembre 2017, l’évolution de la situation se dégradait. Enfin, pour assurer une mise en œuvre fluide du programme, elle en a modifié deux paramètres : elle a réduit la maturité minimum des titres éligibles de deux ans à un an, et s’est donné la possibilité d’acheter des titres dont le rendement est inférieur au taux de la facilité de dépôt (aujourd’hui -0,40%).

Dans les mois à venir, la BCE pourrait s’efforcer, comme elle l’a fait lors de sa réunion du mois de janvier, de préserver le statu quo tout en conservant un discours résolument accommodant. En décembre dernier, les projections d’inflation des services de la BCE étaient loin de l’objectif de stabilité des prix (1,5% en 2018 et 1,7% en 2019). La prochaine mise à jour, attendue en mars 2017, permettra d’évaluer à quel point les bonnes surprises d’une activité mieux orientée que prévu, et le nouvel environnement économique mondial modifient ce constat.

A ce stade, l’ampleur des achats d’actifs prévus en 2017 nous semble à même de contenir la hausse des rendements observée depuis novembre dernier. Eu égard à son poids dans le capital de la BCE, l’Allemagne se taille la part du lion (27% des achats), alors que sa dette se raréfie (elle est en excédent budgétaire). Le rendement des Bunds à dix ans, que nous anticipons à 0,70% en fin d’année, remonterait donc peu, en tout état de cause moins que celui des Treasuries. La France, l’Italie, l’Espagne ont, contrairement à l’Allemagne, des besoins de financement nets, inférieurs cependant aux montants que la BCE prévoit d’acquérir sur le marché secondaire de la dette ; sauf à imaginer une liquidation brutale de celle-ci, leurs taux d’intérêt n’ont guère de raison de s’envoler.

L’écart transatlantique de rendements qui, depuis quelques années, préside à l’affaiblissement de l’euro, se creuserait donc encore. Or, aux environs de 1,07 dollar, la monnaie unique est déjà très sous- évaluée par rapport à sa parité de pouvoir d’achat (1,30 dollar), L’avantage pour les exportateurs européens est précieux ; il devrait se maintenir.

NOTES

  1. Calculs basés sur les estimations du Tax Policy Center. Cf. Tax Policy Center, 2016, “An analysis of Donald Trump’s revised tax plan”, Oct.18, 2016.
  2. Le rendement à dix ans des obligations de l’Etat français s’établissait à 0,80% le 16 janvier 2017, contre à peine 0,10% le 27 septembre 2016, point bas historique. Source : Thomson Reuters.
  3. A première vue, les données agrégées pour la zone euro suggèrent que la croissance dépassait 1,9% en 2015 et a ralenti en 2016. Ceci est toutefois largement dû à la distorsion induite par l’évolution du PIB irlandais, en hausse, pour des motifs comptables, de plus de 26% en 2015 (cf. « Irlande, au-delà des révisions », Ecoweek du 18/11/2016). Si l’on restreint l’observation à sept grands pays de la zone euro (FR, GE, IT, SP, NL, PT, BE), la croissance du PIB agrégé de ces économies se maintient entre 1,5% et 1,7% g.a. depuis le printemps 2015.

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