par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
Lors de son intervention au Parlement européen, Mario Draghi a été clair quant aux fondements de la politique monétaire. Il s’agit de faciliter le chemin vers une croissance économique plus soutenue avec normalisation de l’inflation.
Il s’est défendu de n’orienter la politique qu’en fonction de l’Allemagne comme cela avait été souligné par Donald Trump et surtout par Peter Navarro le président du Conseil National du Commerce (National Trade Council) qui récemment fustigeait la BCE et la zone Euro pour avoir créer des conditions trop favorables à l’Allemagne.
Il répond aussi à Wolfgang Schauble, le ministre des finances allemand entré en campagne électorale récemment, que l’euro doit bénéficier à tous et que la politique monétaire n’est pas conditionnée par la situation allemande.
Mario Draghi a raison. Navarro prolonge l’orientation définie par Trump visant à déstabiliser la zone Euro et à faire éclater les institutions européennes.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de déséquilibre en zone Euro. L’équivalent de la monnaie allemande est probablement un peu dépréciée vis à vis des équivalents monétaires des autres grands pays.
Ces déséquilibres se résorbent progressivement mais cela prend du temps. Pour prendre un exemple on peut regarder la relation entre la France et l’Allemagne. En faisant le rapport des indices de prix on calcule un indicateur du taux de change réel (j’ai pris le déflateur du PIB). Je l’ai comparé à l’évolution de la demande interne entre les deux pays (j’ai fait le rapport des deux demandes internes (consommation des ménages + investissement + dépenses du gouvernement).
On voit sur le graphe deux périodes très distinctes. De 1999 à 2007 la dynamique interne de l’Allemagne est beaucoup plus faible que celle de la France et l’Allemagne se déprécie relativement à la France. Depuis 2008 c’est le contraire qui prévaut. L’Allemagne a une dynamique plus robuste et une évolution des prix plus rapide qu’en France. On observe néanmoins que, par rapport au point de départ, l’Allemagne est toujours un peu dépréciée par rapport à la France. On ne peut pas cependant concéder cela à Navarro car il serait trop ambitieux d’imaginer que le point de départ en 1999, c’est à dire les taux de conversion des monnaies en euro, étaient optimaux.
La première partie du graphe reflète une économie allemande fragile, qui tire la croissance vers le bas. Elle se réforme alors que le reste de la zone Euro tire avantage de taux d’intérêt plus bas et potentiellement plus stables. La demande interne des autres pays de la zone Euro a alors tendance à s’accélérer. Ce graphique s’observe aussi pour les autres pays de la zone Euro. L’Allemagne était alors le frein de la zone monétaire européenne.
Depuis 2008 c’est le contraire. L’Allemagne s’apprécie relativement à la France mais l’on voit néanmoins que sa demande interne manque encore de robustesse. C’est sur ce point que le rebond de la demande allemande serait décisif. Cela permettrait, comme le montre le deuxième graphe, de modifier l’équilibre commercial entre la France et l’Allemagne. Pour la France cela se traduirait par une impulsion plus forte sur son activité.
La courbe bleue est la même que dans le premier graphe mais la courbe rouge représente cette fois-ci le solde commercial bilatéral entre la France et l’Allemagne. La demande interne relativement plus faible de l’Allemagne dans la première partie de la zone Euro s’est traduite par une dégradation, pour la France, de son solde commercial bilatéral avec l’Allemagne. Depuis 2008 la demande interne allemande est plus robuste mais pas encore assez pour réduire le déséquilibre commercial.
La demande allemande plus forte pourrait inverser cette tendance non seulement vis à vis de la France mais aussi des autres pays de la zone car on retrouve des schémas proches pour l’Espagne et l’Italie vis à vis de l’Allemagne.
La zone Euro se construit, le traité de Maastricht n’a que 25 ans, c’est encore jeune. Il faut trouver les moyens d’une dynamique économique plus endogène. C’est ce à quoi la BCE et Mario Draghi notamment se sont attelés. N’interprétons pas les déséquilibres comme des sources d’échec mais comme des moyens de réfléchir aux améliorations à apporter. Sur ce point, on voit bien que les ajustements de prix en zone Euro sont trop lents et qu’il faut plutôt agir sur la demande interne. Cela renforce l’attrait d’un budget fédéral et d’une construction institutionnelle autour de celui ci.
Dans un papier récent, Olivier Blanchard, Guido Lorenzoni et Jean-Paul L’Huillier (voir ici) s’interrogent sur la faible dynamique de l’économie américaine depuis la crise de 2008. Ils considèrent que ce sont moins des effets de « stagnation séculaire » basés sur l’accumulation de déséquilibres qu’un pessimisme des anticipations qui expliquent ce phénomène.
L’analyse de Blanchard et alii est consacrée aux USA mais l’idée peut peut-être s’appliquer pour la zone Euro. Dans ce cas, cherchons à résoudre les déséquilibres et les dysfonctionnements de la zone Euro plutôt que d’imaginer que chaque pays puisse repartir chacun de son côté car la vraie déprime est à trouver dans cette hypothèse de destruction de la zone Euro que personne ne souhaite.