par Steen Jakobsen, Chief Investment Officer chez Saxo Bank
Après une période prolongée d'expérimentations en matière de politique monétaire, le crédit se retire des marchés mondiaux. Si ce processus est nécessaire, l'impulsion du crédit révèle que la croissance mondiale devrait réagir en s'orientant vers la récession.
La période de près de 10 ans d'expérimentations en matière de politique monétaire que nous avons vécue arrive-t-elle à sa fin ? Selon les médias financiers, il semblerait que cela soit le cas. En revanche, la Réserve fédérale poursuit avec détermination sa stratégie de hausse des taux et indique que le resserrement devrait s'accroître au lieu de se réduire.
Pendant ce temps, la Banque du Japon explore les options de sortie de son programme d'assouplissement quantitatif, et la Banque centrale européenne envisage un ralentissement progressif des achats de titres.
En même temps, les taux obligataires (et la volatilité) continuent de baisser, ce qui ne correspond pas à la corrélation classique et fait penser que d'autres facteurs entrent en ligne de compte.
En effet, l'hypothèse de base de la politique économique et monétaire depuis le plancher de 2008 est l'expansion du crédit, c'est-à-dire l'augmentation du montant du crédit pour contribuer à la reprise économique. Ce qui était une aide s'est cependant converti en dépendance, au point que l'arrêt des flux de crédit risquerait d'avoir des effets secondaires graves.
Voilà le thème principal de notre compte-rendu pour le troisième trimestre 2017, à savoir le frein mis au crédit.
Malgré toutes les discussions bellicistes en cours, le fait de mettre le frein à l'expansion du crédit risque d'entraîner des taux de croissance correspondant à une récession d'ici la fin de l'année, et ce pour les raisons suivantes :
Nous, les économistes, savons bien peu de choses sur cette boîte noire que l'on appelle « l'économie ». Mais nous essayons de surveiller les informations qui proviennent de la boîte, à savoir les bénéfices, la productivité, l'inflation et le nombre d'emplois, entre autres.
Le problème de cette approche est que nous tentons de prédire le cours de l'économie en utilisant des points de données qui, en réalité, suivent ceux que nous prédisons. Pour minimiser cet écueil, nous essayons d'examiner ce qui constitue le véritable moteur de l'économie, c'est-à-dire le coût de l'argent, le montant du crédit et l'énergie.
Le coût de l'argent, ou taux d'intérêt, est le principal facteur d'actualisation que nous utilisons. Le montant du crédit est alors utilisé pour calculer la vitesse et l'activité des entreprises, et l'énergie fait partie de toutes les tâches quotidiennes, raison pour laquelle elle constitue une composante clé et surtout un coût essentiel de l'économie.
Le point intéressant est que malgré la tendance actuellement haussière des gros titres et les évaluations élevées des actions, il existe un risque de ralentissement important. Lorsque nous surveillons le crédit, nous parlons de l' « impulsion du crédit » ou de la variation nette du ratio crédit/PIB.
L'impulsion du crédit devance l'économie réelle d'environ neuf mois.
Cela illustre deux points clés concernant le crédit. Celui de gauche montre le développement important du crédit, sous l'impulsion de la Chine (et des marchés émergents), tandis que celui de droite révèle que la variation nette des flux de crédit est passée de 3 % du PIB à presque -1 % !
Nous pouvons aussi illustrer la situation en regardant en arrière. En 2016, le premier trimestre a connu le pire début d'année économique des dix dernières années. Les banques centrales ont paniqué, la Fed a cessé de relever ses taux, la BCE a lancé à toute vitesse des mesures d'assouplissement quantitatif et la Banque du Japon a adopté un nouveau taux fixe à 10 ans, l'ensemble ayant permis une forte impulsion positive du crédit, comme illustré ci-dessus.
Puis, aux troisième et quatrième trimestres, la Chine s'est concentrée sur le resserrement et la réduction de l'endettement final. Appliquons donc la règle des neuf mois à l'année 2016… si nous remontons à mai, juin, juillet, septembre, octobre, novembre, décembre, janvier et février, nous devrions observer le pic d' « activité » faisant suite à l'expansion de l'impulsion du crédit tomber en janvier/février, ce qui est le cas !
Non, la hausse de l'indice PMI et la progression de l'inflation observées n'étaient pas le fait de la victoire électorale de Donald Trump (malgré les expectatives), mais plutôt d'une expansion du crédit à grande échelle.
À chaque obstacle sur la route, la solution a été la même, à savoir plus de crédit. Aujourd'hui, les banques centrales remettent toutefois en question cette stratégie et, tant dans le cas de la Fed que de la Banque populaire de Chine, elles réduisent énergiquement l' « impulsion », et par conséquent, en l'absence de nouvelles réformes ou d'allègements fiscaux, l'économie américaine, mais aussi mondiale, connaîtra un net ralentissement d'ici la fin de l'année.
Voilà notre pari à 60 % (remarquez que ce n'est pas 100 %), mais l'intérêt réel de cette option est le fait qu'une récession est le seul véritable risque à l'environnement actuel idéal de flux de fonds vers les actions conformément à l'argument « il n'y a pas d'autre choix » (TINA, de l'anglais « there is no alternative », d'après Albert Edwards, stratège à la Société générale).
Depuis les années 1920, en moyenne, chaque récession a coûté aux investisseurs 33 %, la fourchette globale étant comprise entre 25 et 55 %. Et la récession, bien sûr, est précisément le risque ultime que frôle le modèle d'expansion du crédit via un dollar américain faible.
Cette situation est d'ailleurs exactement ce que les décideurs politiques cherchent à éviter en tentant d'interrompre le cycle économique.
Il ne s'agit pas d'un scénario apocalyptique, mais il convient de noter que si le crédit est le seul ingrédient ayant été utilisé pour ajuster l'économie sur les 10 dernières années, alors il convient sans doute de prêter attention au moment où les trois éléments constitutifs de notre « boîte noire » – le coût de l'argent, le crédit et l'énergie – commencent à faire des étincelles.
Pour l'instant, le coût de l'argent augmente (les rendements à moyen et long termes chutent), l'impulsion du crédit est négative et l'énergie flirte avec ses niveaux plancher sur l'année (désinflation).
Les banques centrales commettent l'erreur classique consistant à s'attacher aux données économiques de suivi, en insistant sur le fait que le ralentissement observé dans l'inflation et l'activité économique n'est que « transitoire ». Nous, en revanche, nous en tenons aux faits et rétorquons que la « gravité » pour l'économie prévaudra. En d'autres termes, l'impulsion du crédit peut être ignorée, mais chacun le fait à ses risques et périls.
Nous observons une baisse de l'inflation et pensons que le cycle de hausse est sur le point de prendre fin, y compris selon les dires des bellicistes. Nous estimons que cela entraînera un rendement excédentaire pour les titres obligataires et l'or, et un certain niveau de risque futur pour les actions.
Nous reconnaissons également que selon l'opinion générale et les investisseurs, il faudra du temps pour que cela change, mais le temps a la fâcheuse habitude de tromper jusqu'à ses plus fins observateurs, sans parler de ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités…
« Ma foi, il est déjà si tard
qu'avant peu il sera de bonne heure. »
― William Shakespeare, Roméo et Juliette