par César Pérez Ruiz, Responsable des investissements et CIO Pictet Wealth Management
Malgré une saison des résultats favorable, certains acteurs demeurent réservés face aux actifs risqués. Les bons résultats de ce premier trimestre, qui a vu les entreprises américaines largement dépasser leurs prévisions de chiffre d’affaires et de bénéfice net, n’ont pas suscité un grand enthousiasme. Les marchés n’ont pratiquement pas progressé depuis le début de l’année, sur fond de volatilité accrue due aux craintes inflationnistes en janvier et à la montée des tensions dans le commerce international.
D’autres raisons peuvent par ailleurs inciter à la prudence, au-delà des évolutions souvent curieuses des développements mondiaux. Les perspectives de marges des entreprises – dont la progression a fortement contribué à soutenir les bénéfices ces dernières années – en sont l’une des principales. Certaines sociétés, au nombre desquelles Caterpillar, dont le titre fait figure d’indicateur avancé, ont laissé entendre que le premier trimestre aurait marqué un sommet.
Mais comment est-ce possible? Après tout, la solidité des fondamentaux des sociétés et de l’économie continue de soutenir les marchés et, aux Etats-Unis, les entreprises ne sont pas encore soumises à de fortes pressions sur le front salarial. De fait, l’une des grandes énigmes de cette longue embellie conjoncturelle réside dans la faible dynamique de progression des salaires américains qui, en glissement annuel, est ressortie à 2,6% en avril. Ce chiffre est à comparer aux bénéfices par action qui, cette année, sont attendus à plus de 20% pour les entreprises du S&P 500 et à des marges bénéficiaires après impôts proches de 12%, bien supérieures à la moyenne de 8% pour la période 2000-2007 (voir graphique).
Le niveau atteint par les marges peut constituer en soi une raison de préoccupation pour les acteurs du marché – sauf à se rappeler que leur progression se concentre pour l’essentiel sur l’industrie technologique. Dans le même temps, les marges indécentes annoncées par les grands «disrupteurs» technologiques, de plus en plus oligopolistiques, attirent l’attention des autorités de surveillance. Quant à la hausse récente des prix du pétrole, elle laisse à penser que les entreprises pourraient également se voir confrontées à d’autres sources de pressions. On peut notamment se demander jusqu’à quand les sociétés pourront continuer à engranger des profits en hausse sans s’exposer à des pressions salariales accrues, alors même que les marchés du travail se tendent.
Ce n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise nouvelle. Une distribution plus équitable de la trésorerie des entreprises, que ce soit sous forme d’investissements productifs ou de pouvoir d’achat pour les consommateurs, pourrait contribuer à la progression des ventes et, partant, prolonger encore le cycle de croissance des bénéfices. En d’autres termes, si les revenus des consommateurs stagnent virtuellement, comment le chiffre d’affaires des entreprises pourra-il augmenter?
D’une façon ou d’une autre, il serait dans l’ordre des choses que les pressions sur les marges se renforcent. Mais, même si les marges des entreprises sont comprimées, elles peuvent continuer à progresser tant que la conjoncture reste saine. Et cette marge de progression existe, grâce en partie au rebond des investissements et des dépenses des ménages dans le monde. Le plus grand risque réside probablement dans une poussée inflationniste aux Etats-Unis et une progression annualisée plus forte des salaires, tendant vers les 3,5%. Toutefois, sauf dans l’hypothèse d’une guerre commerciale avec la Chine, la première économie du monde reste en bonne forme et rien n’indique que la Fed soit en retrait de la courbe en termes d’augmentation des taux. En bref, nous continuons de tabler sur des conditions économiques porteuses jusqu’en 2019, qui contribueront à préserver les entreprises des pressions sur les marges.