par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macro-économique chez Saxo Bank
Le 8 juin dernier, alors que Donald Trump rencontrait ses partenaires du G7, son conseiller en matière commerciale, Peter Navarro, a publié une colonne dans le New York Times qui laissait peu de doutes sur les véritables intentions de l’Administration américaine concernant ses relations commerciales avec l’Europe, et plus particulièrement avec l’Allemagne. Il est très clair que des droits de douane sur les importations automobiles vont être mis en place – de manière notamment à cibler les constructeurs automobiles allemands.
Comment l'Administration Trump peut-elle s’y prendre ?
S’inspirant de ce qui a été fait en matière d’importation d'acier et d'aluminium, le Département du Commerce pourrait, à la demande du Président Trump, lancer une enquête au titre de l’article 232 de la Loi sur le développement commercial (le « Trade Expansion Act »), de façon à déterminer si les voitures importées représentent une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Dans l’affirmative, des droits de douane pourraient être mis en place dans un délai de quelques semaines – ciblant particulièrement les constructeurs automobiles allemands.
Qui sont les gagnants et les perdants ?
Les échanges commerciaux américains tournent véritablement autour du secteur automobile. Sur la base des données de l’Institut américain de la statistique (le «Census Bureau»), les automobiles représentent la part la plus importante des importations américaines en provenance du Mexique, de l'Allemagne, du Japon et de la Corée du Sud. Les États-Unis importent principalement de Chine des téléphones et des vêtements. La véritable cible de l'Administration Trump, c’est l'Allemagne. Au cours du mois de mai 2018, comme le montre le tableau ci-dessous, une grande partie des ventes aux États-Unis des plus grandes marques de voitures européennes provenait des constructeurs automobiles allemands. En cas de droits de douane sur les importations automobiles, ceux-ci seraient donc les premiers à en souffrir.
Source : Institut américain de la statistique (le « Census Bureau »)
Mais, en fin de compte, comme nous l'avons souvent fait remarquer, le protectionnisme est avant tout une taxe pesant sur le consommateur. Le Président Trump et ses collaborateurs pensent qu'ils rendent service aux constructeurs automobiles du Michigan ; mais ce faisant, ils commettent une grave erreur – oubliant que dans le contexte de la mondialisation, la chaîne de production des entreprises industrielles est, elle aussi, mondialisée. Par exemple, Chrysler et GM importent respectivement du Canada 22 % et 10 % des voitures qu’elles vendent aux États-Unis. On peut imaginer une relocalisation partielle de la production. Toutefois, l’histoire a montré que le protectionnisme entraîne surtout une hausse des taxes pour le consommateur. Selon diverses estimations, il pourrait en l’occurrence provoquer une augmentation moyenne du prix des voitures américaines de 5 000 à 7 000 dollars. Cette hausse pourrait se produire au pire moment pour le consommateur américain, car la hausse des prix du pétrole commence à avoir un impact négatif sur la confiance des consommateurs.
Quelles sont les véritables intentions de Donald Trump ?
Donald Trump est assurément convaincu des bienfaits du protectionnisme. Dans un entretien accordé au magazine Forbes dans les années 80, il avait déjà indiqué qu'il mettrait en place des droits de douane élevés sur les voitures allemandes, s'il était élu président. Cependant, il est peu probable qu'il soit partisan d'une bataille commerciale sans merci et incontrôlable, qui aurait des effets économiques dévastateurs, tant pour l'économie américaine que pour celle de ses partenaires commerciaux.
Nous pensons qu’en imposant des droits de douane sur les importations d'automobiles, Donald Trump poursuit deux principaux objectifs :
1 / Il cherche à envoyer un message fort au Canada et au Mexique, alors que les renégociations de l'ALENA ont rencontré quelques difficultés au cours des dernières semaines. La perspective de la mise en place de droits de douane sur les voitures produites au Canada et au Mexique pourrait être un élément moteur pour accélérer les négociations et parvenir à un consensus plus large entre les trois partenaires – afin que l'accord commercial ainsi renégocié puisse être approuvé par le Congrès américain dès cette année, comme le souhaite le Président Trump.
2 / Le Président Trump ne souhaite pas réellement interdire les voitures allemandes. En revanche, ce qu’il souhaite est l’interdiction des importations de voitures en provenance d'Allemagne. Il espère de cette manière que les constructeurs automobiles allemands réagiront en produisant davantage de voitures sur le territoire des États-Unis, en particulier dans le nord du Midwest. Les constructeurs automobiles allemands produisent déjà quelques modèles aux États-Unis, et ils pourraient décider de délocaliser une partie de leur production vers les États-Unis pour satisfaire l'Administration américaine. Il est probable qu'ils tiennent compte à la fois des coûts associés aux sites de production américains, de l’impact de la baisse de l'impôt sur les sociétés aux États-Unis – menée par l’administration Trump -, ainsi que de l’intérêt de pouvoir utiliser le territoire américain comme plateforme pour exporter vers d’autres marchés. Cependant, économiquement parlant, une délocalisation importante n'aurait pas beaucoup de sens pour les constructeurs automobiles, en raison du coût élevé de la main-d'œuvre aux États-Unis. Dans une certaine mesure, le Président Trump cherche à réaliser ce que Ronald Reagan a fait dans les années 80 lorsqu’il avait limité les exportations japonaises vers les États-Unis. Les études ont cependant confirmé que l'impact net de ces restrictions s’était avéré négatif pour les travailleurs américains, débouchant sur une perte d’environ 60 000 emplois.
Quelle pourrait-être la riposte de l'UE ?
La réaction de l'UE pourrait de nouveau être timide et paraître peu convaincante. La Chancelière Merkel est bien consciente des conséquences négatives que des droits de douane pourraient avoir sur les importations allemandes. « Nous devrions réviser notre position » concernant des mesures de riposte à l’échelle de l'UE dans le cas où Donald Trump affecterait l'industrie automobile avec des droits de douane. « J'espère que l'UE agira de nouveau de concert, comme elle vient de le faire » sur l'acier et l'aluminium, a-t-elle ajouté au lendemain du sommet du G7. Dans la bataille commerciale en cours, l'UE est confrontée à deux problèmes majeurs :
1 / L'Administration Trump, comme les précédentes Administrations américaines, a des difficultés à négocier avec l'UE en raison du grand nombre de pays impliqués. Dans l’idéal, le Président Trump voudrait négocier directement avec l'Allemagne, afin de réduire son excédent commercial – or ce n'est pas ainsi que fonctionne l'UE. Par voie de conséquence, il préfère bâtir une relation privilégiée avec la Chine plutôt qu’avec l'UE.
2 / Les mesures de rétorsion prises par l'UE contre les États-Unis ont été très critiquées, car jugées insuffisantes. Pourtant, sur le plan rationnel, et du fait de leur énorme impact économique, l'Europe a raison d'éviter d'accroître les tensions commerciales. Selon les analystes de la BCE, si les États-Unis imposaient un droit de douane de 10 % sur toutes leurs importations, et que tous les partenaires commerciaux ripostaient contre les importations américaines avec des droits de douane de 10 %, la croissance mondiale serait ramenée de 4 % à moins de 3 % tandis que les États-Unis entreraient probablement en récession dans les 18 à 24 prochains mois. À court terme, l'Europe apparaît affaiblie, mais en évitant une bataille commerciale sans merci elle agit intelligemment.