par Daniel Lebègue, président de l’Institut Français des Administrateurs (IFA)
Ancien banquier – il a été directeur général de BNP puis directeur général de la Caisse des dépôts et consignations – Daniel Lebègue connaît très bien le monde financier. Il siège dans les conseils d’administration de plusieurs entreprises françaises, dont Alcatel Lucent et Technip. Président de l’Institut Français des Administrateurs (IFA), qui regroupe 2.000 administrateurs exerçant en France, et de la branche française de Transparency International, il estime qu’après la crise des subprimes, les Hedge Funds menacent aujourd’hui le système financier, avec des conséquences incalculables. Entretien.
– Nous avions l’impression que la crise financière actuelle était surtout due aux banques d’affaires qui avaient “titrisé” des crédits immobiliers. Vous mettez aussi en cause les Hedge Funds. Pourquoi ?
A l’origine, au coeur de la crise financière et économique, on trouve des acteurs de la finance qui n’étaient pas régulés ou qui étaient peu régulés : les courtiers américains qui distribuent des crédits immobiliers à des ménages insolvables, les banques d’investissement (qui ne relèvent pas des autorités de contrôle), les réhausseurs de crédit, les agences de notation et les Hedge Funds. Quand on trace la chaîne des responsabilités, ce qui frappe, c’est le rôle des acteurs non régulés ou mal régulés. On a parlé des courtiers, des banques, des réhausseurs, des agences de notation. Il y a une catégorie d’acteurs qui occupe une place importante dans le système financier mondial et qui opère depuis des centres offshore : ce sont les Hedge Funds. Les derniers chiffres dont on disposait fin juillet montraient qu’il y avait environ 2.000 Hedge Funds qui géraient à peu près 2.000 milliards de dollars d’actifs. Soit l’équivalent des subprimes. Ce sont des montants considérables. Dans cette crise financière, il y a un risque systémique qui n’a pas été discuté : c’est l’univers des Hedge Funds. L’an dernier, la chancelière allemande Angela Merkel avait demandé une régulation des Hedge Funds. Elle n’a pas été écoutée.
– Pourquoi les Hedge Funds représentent-ils un risque systémique ?
Il y a un risque systémique sérieux du fait du manque de transparence, du fait d’une absence de règles et de contrôle. Pour les banques, il y a un prêteur en dernier ressort et un garant qui est l’Etat. Pour les Hedge Funds, il n’y a ni prêteur en dernier ressort, ni garant. Or, un tiers des actifs des Hedge Funds sont détenus par des particuliers, un tiers par des investisseurs institutionnels et un tiers par des fonds de fonds qui via des OPCVM ont investi dans des Hedge Funds pour “booster” leur rentabilité. Une défaillance en chaîne des Hedge Funds peut avoir des conséquences extrêmement graves.
– Le système ne peut-il pas s’ajuster naturellement ? Après tout, les investisseurs peuvent retirer leur argent des Hedge Funds…
Selon les estimations qui circulent sur les marchés aujourd’hui, il y aurait 500 à 700 milliards de dollars de demandes de remboursement adressés à l’industrie des Hedge Funds. Est-ce que les Hedge Funds sont en mesure de rembourser dans des marchés illiquides ? Il y a des clauses qui permettent de différer les remboursements. Mais il faudra bien rembourser. Certains Hedge Funds vont devoir déclarer leur insolvabilité. Les Hedge Funds avaient quelques banques pour les financer. La principale était Lehman Brothers (qui a fait faillite au début du mois dernier, NDLR). La Securities and Exchange Commission (SEC) et les autorités européennes ont interdit les ventes à découvert. L’activité s’est arrêtée, les Hedge Funds doivent faire face à des demandes de remboursement et ils ont des actifs invendables.
– Quelles seraient les conséquences d’une défaillance des Hedge Funds ?
Le risque est très rée qu’une défaillance en chaîne des Hedge Funds ouvre une nouvelle faille dans le système financier. D’autant qu’il règne un climat de défiance généralisé. Toute défaillance se traduit par une perte finale pour les investisseurs. La transmission des pertes se fait de façon directe. Les fonds de pension vont subir des pertes et cela pèsera sur les retraites versées à leurs adhérents. Les détenteurs d’OPCVM ayant une composante Hedge Fund risquent de perdre gros aussi.
– Que faut-il faire ?
Je ne suis pas un pourfendeur des Hedge Funds. Il y a par exemple des fonds d’arbitrage qui répondent à un besoin. Ce qui paraît extrêmement critiquable et dangereux, c’est l’absence de contrôle. Les deux tiers des Hedge Funds sont basés dans des centres offshore. Ce qui jouait en faveur des Hedge Funds – la discrétion, l’absence de contrôle – se retourne contre eux. J’appelle les régulateurs en Europe et au niveau mondial à prendre ce sujet à bras le corps. Il faut instaurer un certain nombre de règles, imposer une réelle transparence et traiter le problème des centres financiers offshore. On ne rétablira pas la confiance s’il y a un énorme trou noir dans le système financier. Il faut que les pays qui abritent les places offshore acceptent d’appliquer les règlementations prudentielles.
propos recueillis par William Emmanuel