par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macro-économique chez Saxo Bank
Nous observons trois thèmes principaux qui influenceront les marchés et les décideurs dans les prochains mois la croissance tend vers le bas, les indicateurs de la pression financière sont au vert et l’inflation est de retour sur le devant de la scène, du moins aux États-Unis.
Nous affirmons à nouveau que la Chine fera certainement ce qu’elle a toujours fait pour éviter que sa croissance ne déraille : elle interviendra afin de relancer l’économie, mais les répercussions positives attendues sur les données concrètes ne devraient être perceptibles qu’en 2019. En attendant, nous estimons que la volatilité se renforcera dans les prochains mois. En outre, au vu d’une baisse des échanges mondiaux du fait d’un protectionnisme croissant, les investisseurs garderont un œil sur le dollar américain afin de se préparer à d’éventuelles perturbations du marché.
Les principaux indicateurs de croissance confirment que la période faste est maintenant terminée
Le contexte macro-économique que nous craignions à la fin 2017 touche essentiellement l’Europe, les pays d’Asie et les marchés émergeants. Les États-Unis quant à eux se portent bien. Les principaux indicateurs mondiaux annoncent que les prochains mois seront encore marqués par un ralentissement de la croissance. Notre modèle interne mondial de credit impulsese rapportant à 18 pays et représentant 69,4 % du PIB mondial est toujours en contraction, alors que le principal indicateur de l’OCDE, qui s’est montré assez pertinent au cours des dernières décennies, est proche de zéro.
D’autres signaux indiquent également la fin d’un scénario de croissance mondiale synchronisée ainsi qu’un risque de ralentissement de cette dernière. La Corée du Sud, connue comme un acteur représentatif en matière d’échanges mondiaux, est l’un de ces signaux. Sa production industrielle est en corrélation étroite avec la production industrielle mondiale (hors États-Unis) et devance celle-ci de quatre mois. Elle a été négative durant toute l’année pour la première fois depuis 2014-2015, ce qui tend à confirmer que les échanges mondiaux sont condamnés à faire face à un ralentissement, avec ou sans le protectionnisme américain.
Bien que les États-Unis se portent bien, de plus en plus d’éléments tendent à prouver que le cycle économique touche à sa fin, en dépit des coupes fiscales de Trump. Ces dernières étaient censées prolonger ce cycle, mais les économistes de la Fed de San Francisco ont récemment publié une étude qui conclut que ces répercussions positives sur l’économie seront moins fortes que prévu, voire totalement inexistantes. En temps normal, cette politique fiscale incitative tend à avoir de meilleurs résultats dans un contexte de fléchissement de l’économie. Jusqu’à présent, il semble que cette politique n’ait pas poussé les entreprises à investir davantage, ce qui était la condition sine qua non pour renforcer la croissance. Dans ce contexte, le risque de ralentissement du cycle industriel s’est considérablement accru. La production américaine – indicateur pertinent coïncidant avec le cycle des revenus industriels – a assurément atteint le pic du cycle (en septembre 2017, lorsqu’elle a atteint son niveau le plus élevé depuis 13 ans).
Le thème de l’inflation n’est pas près de disparaître
Parmi les caractéristiques communes de la plupart des cycles économiques parvenus à maturité, il y a l’accélération de l’inflation causée par des taux d’emploi plus élevés. Alors que l’on croyait l’inflation jugulée en 2015–2016, il semble qu’elle soit finalement de retour. À long terme, nous restons convaincus que nous sommes entrés dans un monde régi par une faible inflation en raison de facteurs structurels tels que la démographie (qui devance l’indice IPC de 30 ans aux États-Unis). Toutefois, à court et moyen terme, il existe aux États-Unis de nombreux éléments déclencheurs poussant l’inflation vers le haut. Nous estimons que les récentes augmentations du prix du pétrole seront intégrées à l’indice IPC de juillet. Si l’on prend en compte l’évolution du marché du travail américain, nous anticipons également que l’augmentation des salaires viendra stimuler l’inflation globale au cours du deuxième semestre 2018. Récemment, beaucoup se sont demandé combien de temps la baisse du chômage pouvait continuer sans générer de l’inflation. Les estimations à long terme de l’OCDE en matière de taux de chômage non accélérateur de l’inflation sont actuellement à 4,4 %, taux légèrement plus élevé que celui du chômage global aux États-Unis.
Il semblerait que nous assistions enfin à une inflation des salaires. Le dernier rapport du NFIB, constituant une meilleure alternative que les données du NFP, indique que 36 % des petites entreprises se sont déclarées incapables de pourvoir certains de leurs postes, égalant ainsi le taux le plus élevé de l’histoire à la fin des années 1990. Pour faire face au manque de main-d’œuvre qualifiée, 24 % d’entre elles ont prévu d’augmenter les salaires au cours des trois prochains mois, ce qui équivaut presque au meilleur taux atteint depuis la crise des subprimes. Il est intéressant de noter que ces données devancent de neuf mois l’indice du coût de l’emploi, confirmant ainsi qu’il faut s’attendre à une hausse du coût des salaires à moyen terme.
Dans ce contexte de plein emploi (même des mesures plus vastes en matière de sous-emploi telles que la mesure U-6 ont permis d’atteindre le niveau d’avant crise), la dialectique marxiste se révèle exacte une fois encore : un taux de chômage bas fait davantage pencher la balance du pouvoir en faveur des employés – du moins les employés les plus qualifiés et géographiquement mobiles – plutôt que des employeurs. Cette conjoncture incite fortement la Réserve fédérale à resserrer davantage sa politique monétaire à un rythme potentiellement plus rapide que prévu par le marché si le protectionnisme constant fait grimper l'inflation, ce qui finirait par être néfaste aux actifs à risque.
Ces voyants d’alerte sont préoccupants, mais il reste de l’espoir
Bien que nous ne soyons pas encore face à un scénario de guerre commerciale intégrale, le conflit entre les États-Unis et la Chine, conjugué au resserrement quantitatif, dissuade les investisseurs de se tourner vers des marchés moins liquides et moins intégrés, c'est-à-dire les marchés émergents et frontaliers. Depuis 2007, les fluctuations des monnaies asiatiques se sont révélées être un indicateur pertinent des pressions exercées sur l'économie mondiale. En raison des perturbations causées par la guerre commerciale, notre panier de devises asiatiques face au dollar américain a diminué de 3,6 % au deuxième trimestre 2018 par rapport au premier trimestre 2018. L’ampleur de cette diminution est similaire à celle enregistrée au troisième trimestre 2011, lorsque les États-Unis s’étaient vu retirer leur note de crédit AAA, mais elle reste plus faible que l’impact de la dévaluation du CNY en 2015.
Dans une certaine mesure, ce que vivent les marchés asiatiques constitue peut-être un aperçu de ce qui s’annonce pour les marchés développés pour les prochains mois. L’aplatissement de la courbe de rendement constitue un signal non négligeable pour les marchés obligataires. Elle est caractéristique de cette étape du cycle économique à mesure que la politique monétaire se resserre. Si la courbe de rendement était amenée à s’inverser (ce qui n’est pas encore le cas), cela annoncerait l’arrivée d’une période de récession. La courbe actuelle annonce également l’arrivée d’une plus forte volatilité ainsi que la fin du cycle des marchés boursiers. Comme vous pouvez le constater sur le graphique ci-dessous, la courbe de rendement des États-Unis tend à devancer le PER de 30 mois.
Le resserrement de la politique monétaire entraîne également une détérioration des conditions de liquidité. Les liquidités exprimées en dollars doivent absolument faire l’objet d’un suivi. En somme, la baisse des liquidités en dollars, comme c’est actuellement le cas, entraîne une augmentation du coût de l'argent, surtout pour les pays émergents qui utilisent les flux étrangers pour financer leur économie. Dans le graphique ci-dessous, nous utilisons la croissance de la masse monétaire en USD, en nous appuyant sur les 25 plus grandes économies pour évaluer l’évolution des liquidités. La baisse des liquidités représente l'un des principaux moteurs de la faiblesse des marchés émergents et constitue un signal fort indiquant que le cycle mondial du crédit est en train de se détériorer.
Toutefois, il existe des raisons de rester un tant soit peu optimiste dans la mesure où la Chine, dont la contribution à la croissance mondiale est plus forte que celle de l’Europe, des États-Unis et du Japon combinés, s’efforce de ramener le credit impulse en territoire positif, afin de relancer son économie et, par conséquent, l’économie mondiale. La Chine lance un autre signal positif dans la mesure où ses prêts annuels et ses établissements financiers non bancaires sont de retour dans le vert, ce qui n’était plus le cas depuis mi-2016. Nous estimons que la Chine est prête à faire le nécessaire pour surmonter l’impact macro-économique de la guerre commerciale en cours. Une forte dévaluation du CNY telle que celle observée en 2015 ne constitue pas notre scénario de référence dans la mesure où nous considérons que les gains à court terme issus de la dévaluation sont trop faible par rapport aux gains à long terme générés par la stabilité financière et monétaire. Néanmoins, nous nous attendons à ce que son désendettement soit repoussé et à ce qu’elle réduise les taux de ses réserves obligatoires.
Étant donné qu’il faudra du temps pour que ces mesures portent leurs fruits, nous estimons que le rapport risque/bénéfice favorise une approche défensive, notamment en raison des risques de l’été liés à un faible volume ainsi qu’au « risque Trump » qui s’avère toujours très difficile à quantifier.