par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Ostrum AM
Partons de l’échelle globale. Les signaux sur l’économie mondiale sont-ils toujours aussi robustes ? La situation a changé depuis le début de l’année. En 2017, l’économie mondiale était portée par la progression plus rapide du commerce mondial. Ce n’est plus le cas. Depuis le début de l’année 2018, la dynamique des échanges ralentit et ne semble plus susceptible de créer le même type d’impulsion sur l’ensemble de l’économie.
Les enquêtes auprès des chefs d’entreprise dans le monde entier signalent un ralentissement de leurs commandes à l’export, traduction d’une dynamique mondiale moins rapide.
Pourquoi cette accélération en 2017 ?
En 2016, alors que l’inflation était faible dans la plupart des pays à quelques exceptions (Russie, Brésil notamment), les banques centrales ont assoupli leur stratégie monétaire. La Federal Reserve américaine ne remontait son taux de référence que très lentement et communiquait suffisamment pour n’effrayer personne, notamment dans les économies émergentes.
Ces politiques monétaires plus accommodantes ont dopé la demande interne à chaque pays, poussant l’activité et les échanges à la hausse. Il y a eu une sorte d’allure commune qui a profité à tous. L’économie globale était entrée dans une dynamique vertueuse.
Qu’est ce qui a changé depuis ?
1 – Les effets de l’impulsion monétaire se sont taris et n’ont pas été renouvelés. C’est même l’inverse qui s’est produit récemment. Depuis le début de cette année, les banques centrales tendent à devenir moins accommodantes. C’est le cas aux USA depuis la mi-avril et la prise de conscience par les investisseurs que la Fed prenait l’option d’une politique plus restrictive. A Jackson Hole, Jay Powell a bien indiqué qu’il ne tergiverserait pas si l’économie continuait d’évoluer à un rythme rapide. Après la mise en place de la politique budgétaire très expansionniste de la Maison Blanche, la Fed doit intervenir plus vite et plus fort. C’est le point de rupture avec l’ère Yellen.
Mais le Canada, le Royaume Uni et même le Japon ont donné des signaux plus restrictifs. La BCE n’est pas encore rentrée dans ce jeu mais elle a daté à fin décembre la fin du QE et à après l’été 2019 la première hausse de taux.
L’économie globale ralentit et la politique monétaire tend à devenir plutôt procyclique au risque d’accentuer le ralentissement économique.
2 – Les pays européens ne pouvaient pas aller plus vite. La croissance à la fin 2017 était trop rapide par rapport aux capacités des économies. La croissance de 2.3% en France en 2017 est en effet difficilement prolongeable lorsque l’économie, en tendance, ne progresse pas à plus de 1.3%. xxxxxxxxxxxxxxx Parmi les indicateurs de tensions, on note que pour la zone Euro mais aussi pour la France, le taux d’utilisation des capacités de production était proche des plus hauts historiques. L’investissement insuffisant pendant et après la récession de 2011 s’est traduit par l’apparition de tensions dès la reprise de l’activité.
3 – Le prix du pétrole s’est renchéri au-dessus de 70 dollars le baril. Le taux d’inflation des pays développés s’est en conséquence accéléré. Ainsi en France, le taux d’inflation à 2.3%, en juillet et en août, est expliqué presque pour moitié par un effet prix de l’énergie (de juillet 2017 à juillet 2018, le prix du pétrole en euro a augmenté de 50% en passant de 42.75 euros à 64.4). L’effet négatif sur le pouvoir d’achat a été perceptible, notamment pour les vacanciers faisant le plein de leur voiture. L’inflation sous-jacente est réduite partout, généralement bien en-dessous de la cible de 2%. Cela traduit le peu de tensions sur les salaires. La BCE indique qu’en dépit de faibles gains de productivité, ceux-ci sont suffisant pour absorber les hausses de salaire. Dès lors l’impact sur la formation des prix est réduit. Aux USA le cycle est très avancé et la relance budgétaire crée des déséquilibres et se traduit par un peu plus d’inflation.
4 – Le dernier point est la perception d’une dynamique globale moins coopérative notamment sous l’impulsion de la Maison Blanche. Mais du Brexit à l’Italie et son nouveau gouvernement, on perçoit des attitudes plus égoïstes. Cela engendre de l’incertitude ce qui est négatif pour l’activité. Lorsque le futur est incertain parce qu’il y a des menaces de guerre commerciale, un entrepreneur aura un comportement plus prudent notamment sur l’investissement.
Que s’est-il passé sur les taux d’intérêt de long terme ?
Les taux d’intérêt de long terme sont restés relativement stables. En Europe, ils sont même un peu plus bas qu’en début d’année. Bien sûr il y a l’épisode italien sur lequel nous reviendrons. Les inquiétudes sur le respect des règles européennes par le gouvernement de coalition inquiète.
Aux USA, le taux long a convergé au voisinage de 3% après la mise en place de la politique budgétaire de Trump en début d’année et la réaction plus restrictive de la Fed pour limiter les déséquilibres. Nous n’avons toujours pas d’attente d’une remontée rapide de ces taux d’autant que les banques centrales sont toujours très actives soit par les achats directs d’actifs (QE) soit par les achats d’actifs liés aux réinvestissements des revenus de leur portefeuille. La Fed est active et la BCE aussi et cela se prolongera bien après la fin d’année 2018.
Comment se comporte la zone Euro dans cet environnement ?
La croissance est plus réduite en 2018. Pour fixer les idées, la croissance trimestrielle était en moyenne de 2.7% sur les 4 trimestres de 2017 (en taux annualisé), elle est de l’ordre de 1.5% sur les deux premiers trimestres de 2018. Ce changement d’allure s’observe pour tous les pays, y compris l’Espagne qui, parmi les grands pays de la zone, est celui qui connait depuis la reprise de 2013 l’expansion la plus rapide.
Cela reflète à la fois l’incapacité de continuer au rythme de 2017 mais aussi l’impact négatif sur le pouvoir d’achat de l’accélération de l’inflation. La consommation a été moins dynamique sur les 6 premiers mois de l’année. Les ventes de détail en volume ont augmenté de 1% en taux annualisé au cours du premier semestre 2018 par rapport aux 6 derniers mois de 2017 contre 2.5% pour le premier semestre 2017 et 2.1% pour le second.
Et la France ?
C’est un peu la même chose mais avec un coup d’arrêt plus marqué. De 2.8% de croissance moyenne par trimestre (taux annualisé) en 2017, le chiffre est passé à 0.6% sur les 6 premiers mois. La faute à la baisse du pouvoir d’achat des ménages en raison de la hausse de la CSG non compensée totalement par les baisses de charges et par l’accélération de l’inflation. Le repli du pouvoir d’achat des ménages a été le plus fort au premier trimestre 2018 depuis la reprise de 2013. Les ménages ont alors ajusté leurs dépenses. L’investissement des entreprises a aussi été plus aléatoire et celui des ménages a nettement ralenti. (voir ici, ici et ici)
Quelles perspectives sur la zone Euro et sur la France ?
Pour les deux, le pic du cycle est probablement passé. Cela va se traduire par la convergence vers un taux de croissance soutenable à moyen terme. Pour la France, ce chiffre de croissance potentielle est voisin de 1.3% selon les calculs de l’OCDE. La croissance sera donc plus faible en 2018 et 2019 qu’elle ne l’était en 2017. On peut tabler sur 2% en zone Euro pour 2018 et 1.8% l’an prochain. Pour la France le chiffre de 1.5% en 2018 me parait plus probable que la cible du gouvernement à 1.8%. Pour 2019 le chiffre attendu est de l’ordre de 1.4%.
A court terme, les indicateurs d’enquêtes pour le mois d’août suggèrent que le pic de croissance a été touché à la fin de l’année 2017. On notera aussi le rapide freinage de l’économie italienne. On ne peut pas exclure que ce soit lié à l’incertitude engendrée par la rupture politique provenant du nouveau gouvernement. Les entreprises vont hésiter à investir dans un environnement très incertain. Ce n’est peut-être que le début.
Pourquoi ne pas tabler sur une ré-accélération ?
La question est de savoir d’où viendrait l’impulsion susceptible de caler la croissance sur une trajectoire plus élevée. La croissance potentielle pour la France est probablement de l’ordre de 1.3%. Cela veut dire que sans changement dans la durée de la productivité du système productif et de l’allure de la population active la croissance potentielle restera proche de ce niveau. L’interprétation de la croissance potentielle est que la croissance observée va converger et évoluer autour de celle-ci. Dans la situation conjoncturelle de la France ou de la zone Euro, le processus de convergence est entamé. Dès lors la question est celle du facteur qui contrarierait cette convergence et qui relancerait la croissance.Cela ne viendra pas du commerce mondial dont l’allure est incertaine pour les raisons évoquées. Je n’imagine pas non plus un effondrement du prix du pétrole. L’argument qui était de signifier que la production américaine permettrait de maintenir un prix bas ne tient pas. La production US augmente mais le prix reste accroché autour de 75 dollars pour le Brent.
Il faudrait que l’impulsion vienne de la demande interne. Aucun gouvernement ne veut faire de la relance budgétaire et la politique de la BCE est encore très accommodante. En France, les mesures annoncées récemment par le premier ministre notamment sur l’ajustement de certaines dépenses sociales et la sous-indexation des retraites ne vont pas soutenir fortement la demande interne. Il n’y aura pas de source d’impulsion non plus en provenance des politiques économiques. On ne dispose pas non plus d’une dynamique intrinsèque liée aux innovations, par exemple, et susceptible de créer spontanément un mouvement haussier. Dès lors la croissance va tendre vers sa tendance de long terme. Le rôle de la politique économique, notamment les fameuses réformes structurelles, est d’infléchir à la hausse la croissance tendancielle mais cela prend du temps et on sort du temps conjoncturel.
Quid de la BCE ?
La BCE a indiqué avant l’été qu’elle arrêterait son QE en décembre après avoir réduit ses achats de moitié à partir d’octobre. Elle a aussi indiqué que la première hausse de taux aurait lieu, très probablement, après l’été 2019.
Et l’économie américaine ?
Elle va plutôt bien. Sa croissance s’est accélérée à 4.2% (taux annualisé). Pour reprendre la comparaison faite pour la zone Euro et la France, la croissance moyenne par trimestre était de 2.5% (taux annualisé) en 2017, elle est de 3.2% en moyenne sur les premiers mois de 2018. Cela traduit à la fois le prolongement de la tendance passée et les effets forts de la baisse des impôts et la hausse des dépenses de l’Etat. La relance budgétaire va se traduire par un déficit public proche de 6% du PIB. C’est beaucoup.
Quelles autres remarques sur les USA ?
Cette situation conjoncturelle force la Fed à être plus restrictive et elle remontera effectivement son taux d’intérêt principal 4 fois cette année. Il lui reste septembre et décembre.
Le plan de baisse d’impôts à destination des entreprises devait permettre de relancer massivement l’investissement pour assurer une croissance plus forte dans le futur. En fait, les entreprises ont utilisé cette manne financière pour racheter leurs actions. La bonne tenue du marché américain est grandement liée à cela.
Le marché immobilier est devenu moins dynamique. La hausse des taux hypothécaires pénalise l’investissement des ménages et ce marché crée des inquiétudes sur la robustesse du cycle économique américain dans les prochains mois.
L’aplatissement de la courbe des taux américain sous l’impulsion de la Fed devrait là aussi avoir un effet négatif sur la conjoncture en contraignant tous ceux qui se financent à court terme et notamment les brokers sur l’immobilier.
On parle beaucoup de la pente de la courbe américaine ? Qu’en est-il ?
La pente s’est fortement aplatie au cours des derniers mois en raison de la hausse des taux d’intérêt de court terme, reflet des anticipations de ce que fera la Fed au cours des prochains mois. La partie longue de la courbe a peu évolué sous l’effet d’absence de reprise à la hausse des anticipations d’inflation, d’une politique monétaire qui ne ressemblera pas, en niveau de taux, à ce qui était observé par le passé, parce que la croissance potentielle est plus réduite et parce que la Fed va continuer d’investir dans les obligations d’Etat US via sa politique de réinvestissement des revenus de son portefeuille.
La grande question est celle des conséquences de l’aplatissement et du passage en territoire négatif. TOUJOURS par le passé cela s’est traduit par un ralentissement fort de l’activité (récession) avec un retard de 18 mois. Cela est d’autant plus marqué lorsque l’aplatissement vient principalement de la hausse des taux court et donc de l’action de la banque centrale. Il est souvent indiqué que « cette fois ci c’est différent » comme à chaque fois qu’un phénomène problématique se profile. Non ce ne sera pas différent car la politique monétaire va mordre notamment sur les brokers qui sur l’immobilier se refinancent sur le court. Ces brokers sont aujourd’hui très nombreux et très importants sur le marché immobilier. Le fait que les taux longs ne soient pas plus élevés reflète des anticipations limitées sur l’économie. En outre, l’idée que la Fed achète beaucoup modifie l’allure du marché, c’est vrai mais on peut indiquer aussi qu’en 2005 Bernanke, alors président de la Fed, indiquait que les taux longs bas étaient un signal biaisé en raison du fameux « saving glut » et qu’il y avait là un côté artificiel. Cela n’a pas empêché l’économie de partir en récession 1 an et demi après le passage en territoire négatif de la courbe des taux.
Imaginons donc une récession qui pourrait se profiler en 2020 compte tenu de l’orientation de la politique monétaire US.
Cela pose d’ailleurs un problème car si la Fed aura à l’époque des marges de manœuvre pour gérer une telle situation ce ne sera pas le cas de la BCE qui si l’on suit les indications de Mario Draghi n’aura à la fin 2019 remonté son taux de référence qu’une fois à 0.25%. Ce ne sera pas suffisant pour gérer une éventuelle contagion américaine.
La Maison Blanche a mis en place une politique tarifaire de grande ampleur depuis le printemps dernier. Un accord vient s’être signé avec le Mexique. Que faut-il en penser ?
La Maison Blanche a remis en cause, le 20 janvier 2017, les règles de fonctionnement de l’accord de libre-échange avec le Mexique et le Canda. Elle a fait pression aussi sur ces deux pays en les incluant dans la hausse des tarifs sur l’acier et l’aluminium mise en œuvre au printemps dernier. Un accord vient d’être trouvé avec le Mexique et des discussions sont en cours avec le Canada.
On peut faire une première réflexion en indiquant que l’objectif de la part de la Maison Blanche semble pencher vers deux accords bilatéraux plutôt qu’un accord global. Cela serait plus dans la philosophie de Trump. Il veut des accords bilatéraux plutôt que des accords multilatéraux. L’accord avec le Mexique est un accord centré sur l’automobile avec des règles de fonctionnement plus restrictives que ce qui était fait dans l’Alena. Les règles d’origine des pièces intervenant dans la construction des autos seront plus contraignantes (en % de la fabrication) afin d’obtenir des tarifs 0. En outre, pour le Mexique il faudra que 45% des intervenants dans la construction des autos ait un salaire horaire supérieur ou égal à 16 dollars. Ces contraintes vont faire monter les prix des voitures américaines et la question est de savoir si les constructeurs n’auront pas intérêt à contourner cet accord quitte à payer des tarifs douaniers plus élevés mais de seulement 2.5%. C’est un arbitrage qu’il faudra faire du côté des constructeurs.
Cependant on peut n’imaginer qu’un arbitrage à court terme car très vite l’administration va augmenter les tarifs sur l’automobile. En fait cet accord est l’élément nécessaire pour faire monter les droits de douane sur l’automobile à 25%. Les contraintes sont suffisamment fortes mais les incitations à les contourner le sont aussi. C’est ainsi une bonne occasion pour la Maison Blanche d’agir comme elle le souhaite depuis le début sans pour autant être perçue comme totalement responsable.
Vis-à-vis de la Chine, des premières mesures ont été mises en place mais il est encore trop tôt pour conclure à un effet fort ou pas des tarifs américains. Le déficit des américains est toujours béant et on doit imaginer que l’administration américaine va accentuer ses contraintes sur les échanges avec la Chine.
Et la Chine ?
La Chine subit les effets des mesures protectionnistes des Etats-Unis et relâche sa politique monétaire pour compenser les potentiels effets négatifs de celle-ci. Car le jeu des barrières douanières et des représailles est toujours perdant pour tous. Les américains commencent à le payer avec des prix plus élevés pour certains biens.
Et le Brexit ?
Rien n’avance pour l’instant et un scénario noir est de plus en plus évoqué. L’absence d’un accord avec l’UE se traduirait par une absence de règles au Royaume Uni qui serait là-bas très pénalisante pour la croissance. Sans accord, les règles européennes ne pourraient s’appliquer au RU notamment sur les échanges ou les communications. Il faudrait négocier de nouvelles règles. Ce serait très long mais c’est un scénario dont la probabilité encore faible s’accroît.
Que se passe-t-il en Italie ?
Les italiens ne sortiront pas de la zone euro dans les prochains mois. Cela coûterait trop cher. L’inquiétude n’est pas ici. On constate simplement que les investisseurs non italiens sortent du marché de la dette italienne. Si l’on suit les statistiques de la BCE, c’est environ 34 milliards en net qui sont sortis d’Italie en juin et en juillet. C’est beaucoup et traduit l’inquiétude des investisseurs non-résidents à ce qui pourrait se passer là-bas. La hausse des taux observée sur la dette italienne reflète cette incertitude.
Les agences de notation vont examiner la situation italienne et une dégradation par celles-ci pourrait se traduire par une baisse de la liquidité sur le marché obligataire italien. Cette situation est d’autant plus problématique que le gouvernement ne souhaite pas respecter de façon rigoureuse les règles budgétaires européennes.
La problématique est simple mais périlleuse. Si le gouvernement italien met en place le programme sur lequel il a été élu alors le déficit public va s’accroître bien au-delà du fameux seuil de 3%. (Ce seuil peut être dépassé si l’économie subit un choc et il est même plus efficace sur le plan macroéconomique de le laisser s’accroître. Dans le cas italien, le dépassement traduit une démarche volontaire. On est donc dans une situation très différente de celle qui prévalait après le choc Lehman de 2008 ou lors de la crise des dettes souveraines de 2011/2012). La dégradation de la note italienne ne manquera pas d’arriver, Fitch est passé en perspectives négatives mais garde la notation BBB. Cet ensemble ne créera pas d’incitation pour les investisseurs étrangers de venir sur la dette italienne. Il se posera alors la question du financement de cette économie parce que les investisseurs non-résidents sont toujours très nombreux à la détenir.
Au bout d’un moment, l’Etat italien aura du mal à se financer et devra demander l’aide des institutions européennes. Cela pourrait être la BCE et le MES. Mais pour cela le gouvernement italien devra adopter une attitude plus orthodoxe.
Il y a deux questions :
Quel sera le niveau des taux d’intérêt qui poussera le gouvernement à demander de l’aide et à quel horizon ? Le spread est déjà très important mais encore très éloigné de celui observé lors de la crise de la dette souveraine en zone Euro.
L’autre question porte sur le fonctionnement des institutions. Généralement, les règles budgétaires sont adoptées et tous les pays jouent le jeu même si cela prend du temps. Peu de pays ajustent immédiatement leur situation budgétaire mais tous s’évertuent à respecter les règles en tendance. Il y a un comportement coopératif de tous. Aujourd’hui l’Italie ne veut pas adopter de comportement coopératif. Dès lors les règles du jeu changent et l’on attend avec intérêt les réactions de la Commission Européenne, de la BCE mais aussi des divers gouvernements sur ces questions. Les moyens de pressions ex ante sont réduits parce qu’habituellement chaque pays joue un jeu coopératif. Ce ne sera pas le cas du gouvernement italien.
Les pays émergents sont-ils encore en crise ?
Oui. Il y a eu 3 étapes pour les pays émergents depuis la mi-avril et la perception d’une politique monétaire US durablement plus restrictive. Cela s’est traduit par une hausse du dollar et un rapatriement de capitaux des pays émergents vers les USA. La liquidité sur les marchés s’est réduite incitant les investisseurs à sortir ou à rester à l’écart. Les taux longs de nombreux pays émergents se sont franchement orientés à la hausse. Pour chaque pays émergent c’est un choc négatif et c’est aussi pour la conjoncture globale une source de fragilité. (voir ici).
Et la Turquie dans tout cela ?
La Turquie a un endettement fort en dollar, comme l’Argentine, l’Afrique du sud et quelques autres. Les ajustements sur la monnaie avaient pour ces pays été un peu plus forts que pour ceux n’ayant pas ou peu d’endettement en dollar. La situation s’est tendue à Ankara lors des tensions avec les USA sur la question du pasteur américain détenu en Turquie. Les pressions américaines fortes ont fait plongées la monnaie turque. La situation turque est durablement préoccupante car la dépréciation de sa monnaie va accentuer l’inflation et contraindre l’économie.
La seule solution serait de contrôler le marché des capitaux, de prendre des mesures susceptibles de changer les anticipations des investisseurs avant de rouvrir ce marché. Le gouvernement Erdogan ne veut s’y résoudre et la situation n’a pas spontanément de raison de s’améliorer d’autant que les banques turques ont été dégradées par les agences de notations. (voir ici)
Que s’est-il passé en Argentine ?
Le mécanisme est le même qu’en Turquie sauf que l’Argentine a une dette extérieure importante à rouler jusqu’à la fin 2019 (entre 50 et 80 milliards USD selon les estimations). L’Argentine pourrait se « serrer » la ceinture mais le président Macri veut se représenter aux élections présidentielles de l’an prochain. Il est donc difficile d’arriver en ayant pris toutes les mesures pour plonger le pays en récession. C’est pour cela que l’Argentine a fait appel au FMI. Celui-ci prend son temps et demande à l’Argentine de juguler son inflation (autour de 30%) et d’adopter une politique budgétaire plus restrictive pour peser sur la demande interne et limiter ainsi la dépendance à l’extérieur. L’agacement de Macri la semaine dernière face au manque de vive réaction du FMI a provoqué la chute supplémentaire du peso. Dans la nuit du 3 au 4, finalement, le gouvernement a adopté des mesures contraignantes pour faciliter la mise en place de l’aide du FMI. L’interrogation est de savoir si ces mesures s’inscriront dans la durée.
Et le Venezuela ?
C’est un pays en hyperinflation. La production de pétrole s’effondre et les revenus du pays avec. Pour compenser le gouvernement a émis de la monnaie de façon plus qu’excessive. Les vénézuéliens se sont rendus compte que cette monnaie ne valait plus rien et ils cherchent à s’en débarrasser le plus vite possible. La baisse de la valeur intrinsèque de la monnaie est au cœur de cette hyperinflation. Les mesures prises après le 15 août ne feront qu’accentuer cette dynamique. Le gouvernement n’a pris aucun engagement pour changer de comportement tant sur le plan monétaire que sur sa politique économique. Le sort des vénézuéliens va continuer de se dégrader et ils vont fuir encore et encore ce pays. (voir ici)
N’y-a-t-il pas un risque de contagion ?
Pour l’instant il y a deux éléments importants :(voir aussi ici)
1 – Il y a un choc sur les émergents qui est pénalisant pour tous mais sans engendrer « en moyenne » de rupture parce que l’économie reste robuste malgré tout notamment en Asie sous l’effet de la croissance chinoise. La robustesse de l’activité limite le risque de contagion notamment pour les pays qui ne connaissent pas de déficit extérieur. S’il y avait un choc négatif sur l’activité cette question serait rediscutée car les anticipations seraient franchement altérées.
2 – Les pays les plus fragilisés le sont à la fois pour des questions d’endettement en dollar mais aussi pour des raisons très spécifiques (idiosyncratique). De ce fait le risque de contagion parait limité.