par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas
Il est fortement déconseillé de marcher en regardant en l’air au risque de se cogner. Comme l’a rappelé Jerome Powell à Jackson Hole la semaine dernière, mieux vaut regarder devant soi que de se fier aux étoiles pour s’orienter. Il a ainsi filé la métaphore stellaire tout au long de son intervention :
« A la Fed et ailleurs, les analystes évoquent ces valeurs si souvent qu’ils les désignent par des abréviations (…) : u* (ou « u étoile ») correspond au taux de chômage naturel, r* désigne le taux d’intérêt réel neutre et π* symbolise l’objectif d’inflation. Selon la pensée conventionnelle, les décideurs politiques devraient s’orienter à partir de ces étoiles, qui sont dans ce sens très proches de leurs cousines célestes ».
Ce raisonnement pourrait se tenir si les estimations de taux de chômage naturel ou de taux d’intérêt neutre n’étaient pas des plus incertaines. Notons que cette question avait déjà été abordée à Jackson Hole en 2003. Bien que l’analyse soit désormais plus élaborée, il reste extrêmement ardu de situer avec exactitude ces étoiles. La large fourchette d’estimations du taux d’intérêt neutre en limite la pertinence lors de prises de décisions, y compris de la part des investisseurs. Les estimations de croissance potentielle (et, partant, d’écart de production) varient considérablement d’une source à l’autre et font l’objet de révisions très marquées. C’est moins vrai pour « pi étoile » car l’objectif d’inflation est une donnée choisie.
Cependant, comme l’a souligné Jerome Powell, « préalablement aux deux dernières récessions, les excès déstabilisateurs étaient principalement le fait des marchés financiers, et non de l’inflation ». Ainsi, lorsque les prévisions de hausse des prix sont solidement ancrées, il vaut mieux se détourner de l’inflation pour s’intéresser davantage aux autres indicateurs de surchauffe (même si ce point n’est pas encore ressorti des déclarations de la Fed).
Les marchés financiers ont jugé le discours de Jerome Powell plutôt modéré (« dovish ») pour plusieurs raisons. Ses éloges du caractère progressif de la politique monétaire d’Alan Greenspan laissent à penser qu’il s’en inspirerait largement :
« FOMC a ainsi évité (…) de s’en remettre excessivement aux indications approximatives des étoiles. Sous la présidence d’Alan Greenspan, le Comité s’était mis d’accord sur une stratégie de gestion du risque qui peut se résumer en un principe simple : attendons la prochaine réunion ; si les signes d’inflation deviennent plus visibles, nous commencerons le resserrement monétaire ».
En outre, des prévisions d’inflation toujours plus solidement ancrées supposaient « moins de risques qu’un sursaut inflationniste ne devienne vraiment problématique dans le cadre de cette approche attentiste d’Alan Greenspan », ce qui rappelle l’accent mis récemment sur la nature symétrique de l’objectif d’inflation de la Fed. Pour dissiper toute ambiguïté, Jerome Powell ajoute ensuite :
« Vu comment l’économie se comporte depuis 15 ans, la nécessité d’une telle approche de gestion du risque, née à l’ère de la ‘nouvelle économie’, n’a jamais été aussi évidente ».
En clair, on peut dire que la méthode de la Fed est progressive, prudente, fondée sur les chiffres et pragmatique. La description de l’environnement actuel dénote également une tendance à la modération :
« L’inflation est devenue bien moins réactive à la variation de l’utilisation des ressources (…). Bien que l’inflation se soit récemment rapprochée de 2 %, nous n’avons distingué aucun signe clair d’une accélération au-dessus de ces 2 % et il ne semble pas exister de risque significatif de surchauffe ».
Enfin, la mise en garde du président de la Fed – « je sais que le FOMC n’hésitera pas à prendre ‘toutes les mesures nécessaires’ en cas de dérapage significatif des prévisions d’inflation à la hausse ou à la baisse » – n’a pas impressionné les marchés. Les investisseurs semblent tout aussi confiants que la Réserve fédérale dans une inflation durablement sage.