par César Perez Ruiz, Responsable des investissements et CIO de Pictet Wealth Management
Les marchés sont aujourd’hui confrontés à des forces contraires, avec une contradiction entre la perception des investisseurs et les messages émis par le marché. L’indice Baker, Bloom & Davis des incertitudes économiques est ainsi orienté à la hausse, alors que l’indice VIX de volatilité du S&P 500 est très bas. Le S&P 500 a lui-même atteint un plus haut historique, et pourtant, les achats massifs de protection sous la forme d’options de vente laissent penser que les investisseurs ne sont pas totalement confiants. Les allusions aux tensions commerciales et à l’essor du protectionnisme se multiplient dans les rapports des sociétés, mais l’activité foisonnante sur le front des fusions-acquisitions ne faiblit pas pour autant.
L’incertitude est certes un thème récurrent, une incertitude aggravée par la politique de Trump, à l’ère duquel les Etats-Unis n’aspirent pas à gouverner le monde. L’heure est à «l’Amérique d’abord», comme en témoigne la hausse des taxes douanières sur les importations notamment chinoises. Les efforts du président américain pour stimuler l’industrie du pays passent également par des allègements fiscaux destinés à encourager les investissements des entreprises et la consommation. Leur impact sur les sociétés américaines est évident, puisque les actions américaines surperforment toutes les autres cette année, alors que les actions émergentes ont plongé. Parallèlement, il ne fait aucun doute que la Réserve fédérale poursuivra ses relèvements de taux, quel que soit leur effet sur le reste du monde, sauf fléchissement de la croissance américaine.
De fait, la hausse des taux d’intérêt américains et la vigueur du billet vert ont ravivé les craintes du marché quant aux fondamentaux des marchés émergents les plus faibles. Balances courantes très déficitaires et besoins de refinancement en dollars à court terme jouent un rôle déterminant dans l’élargissement des spreads entre les bons de Trésor américains et émergents.
Bien que les problèmes de la dette émergente soient moins significatifs que dans le passé et que la contagion soit limitée, les difficultés qui affectent l’Argentine ont mobilisé l’attention. En Turquie, pays également confronté à une crise monétaire, la situation politique et l’indépendance très relative de la banque centrale suscitent évidemment l’inquiétude. Les élections à venir au Brésil, où l’indispensable réforme budgétaire a fait long feu, appellent également à la prudence. Enfin, les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine soufflent le chaud et le froid, et l’économie chinoise ralentit (pas uniquement à cause du commerce).
La volatilité source d’opportunités
Le Moyen-Orient constitue une autre source d’inquiétude. Les turbulences dans la région ont contribué à la hausse des cours du pétrole, insuffisante toutefois pour menacer la consommation américaine. Mais là aussi, l’agenda «Amérique d’abord» de Trump et son rejet du multilatéralisme – en particulier, le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien – pourraient devenir des facteurs importants à surveiller. Deux développements possibles pourraient nous inciter à redoubler de prudence à l’égard des marchés émergents: toute action de Trump visant à encourager un changement de régime en Iran d’une part, et un appel des radicaux iraniens à sortir, comme les Américains, de l’accord de non-prolifération des armes nucléaires d’autre part. Si l’un et l’autre restent peu probables, une forte poussée de volatilité dans la région et sur les marchés mondiaux n’est pas entièrement à exclure.
En bref, si la volatilité reste faible sur les marchés actions développés, elle a augmenté dans d’autres segments, et notamment pour les actifs émergents. Et cette situation pourrait perdurer, voire peut-être s’étendre au-delà de l’Argentine, du Brésil et de l’Iran. Heureusement, la volatilité peut être source d’opportunités tactiques, d’autant que les marchés émergents n’évoluent pas tous de la même manière. Nous décelons parmi eux des gagnants (notamment en Asie) et des perdants potentiels. De leur côté, les banques centrales devraient continuer de jouer leur rôle. La Fed notamment devrait continuer à intervenir si nécessaire – car n’en déplaise à Donald Trump, les problèmes du monde peuvent aussi devenir le problème des Etats-Unis.