par Hervé Guez, Global Head of Research & Equity and Fixed Income CIO, Jens Peers, Global CIO Mirova US, et David Belloc, Cross Asset Portfolio Manager & Strategist chez Mirova
La fin de cycle n’explique pas tout : de nombreux autres facteurs alimentent le pessimisme ambiant. Il semblerait que le pessimisme généralisé soit finalement devenu un facteur de soutien aux valorisations actuelles. En tant qu’investisseur, notre rôle ne se limite pas à être un simple observateur avisé, intéressé par ces transitions à l’œuvre. Nous nous devons d’y prendre toute notre part.
2018, le scénario catastrophe
Les marchés actions européens finissent l’année en forte baisse : avec un effondrement des indices de 10% à 20%, 2018 devient officiellement la pire année depuis la crise financière. Les sujets d’inquiétude n’ont pas manqué. Leur accumulation a contribué à l’installation d’un climat de morosité généralisé, contrastant radicalement avec l’optimisme qu’affichait en début d’année la communauté financière. Même Wall Street a subi un atterrissage brutal, accentué par des prises de profit par les investisseurs qui se sont retirés après presque 10 ans de hausse ininterrompue des marchés. Les sociétés les plus internationales, celles qui anticipaient les croissances les plus fortes – les valeurs technologiques par exemple – ont particulièrement souffert au dernier trimestre.
Certes, cette hausse de l’aversion au risque sur fond de baisse généralisée du prix des actifs risqués est caractéristique des fins de cycle. Elle reflète les craintes d’un ralentissement économique mondial alors même que les politiques des banques centrales deviennent moins accommodantes. En effet, dès juin 2017, la Fed a refermé progressivement le robinet du crédit bon marché, créant chez les investisseurs un sentiment de fin d'âge d'or. En 2018, les taux ont augmenté, quatre fois, d'un quart de point. L’impact se fait traditionnellement sentir avec un délai de 12 à 18 mois. Toutefois, la fin de cycle n’explique pas tout : de nombreux autres facteurs alimentent le pessimisme ambiant.
Entre tensions et incertitudes
La guerre commerciale initiée par Donald Trump entre les États-Unis et la Chine, voire le reste du monde, commence à produire ses effets néfastes sur les indicateurs macro : baisse de confiance des entrepreneurs, baisse des investissements, baisse des composantes nouvelles commandes des indicateurs PMI, etc.
Par ailleurs, les inquiétudes demeurent fortes à propos de la croissance chinoise. Le marché s’interroge sur l’ampleur du ralentissement chinois, certes attendu, puisqu’annoncé dans le cadre d’un quasi « Gosplan », mais dont la concomitance avec les tensions commerciales fait craindre un atterrissage plus violent qu’escompté.
Enfin, la zone euro est prise en étau entre tensions commerciales et incertitudes politiques. L'Allemagne, qui tirait la croissance depuis plusieurs années, montre des signes de faiblesse liés à la dégradation du secteur automobile. Cette industrie est non seulement confrontée à la montée du protectionnisme, mais elle est aussi secouée par les transformations technologiques nécessaires à la transition vers une économie bas carbone, qui nécessite notamment d’investir massivement dans le véhicule électrique. Côté politique, les débats autour du Brexit ou de l’Italie, les difficultés à anticiper l’issue des élections européennes au printemps dans un contexte de montée des populismes, ou encore le mouvement de protestation en France, sont autant de sujets sur lesquels les investisseurs restent fébriles et manquent de visibilité.
La nervosité s'est donc installée sur les marchés. En cette fin d’année 2018 les investisseurs ont anticipé – trop rapidement ? – une fin de cycle alimentée par une perte de confiance des acteurs économiques sur fond de poursuite des conflits commerciaux, de resserrements inéluctables des bilans des banques centrales avec comme conséquence un atterrissage brutal des croissances chinoise et américaine dès 2019-2020.
L’économie mondiale se trouve dans une situation comparable à celles de 2011 et 2016. A l’époque, une politique plus accommodante de la banque centrale américaine et des plans de relance massif en Chine avaient permis le retour de la confiance. Sans nécessairement tabler sur un scénario similaire, nous pensons que la Fed fera à nouveau preuve de pragmatisme et adaptera sa politique aux conditions économiques. De plus, des signaux positifs émergent et laissent entrevoir une accalmie sur le front des tensions commerciales sino-américaines. Pour ces raisons, nous ne tablons pas sur une récession aux États-Unis en 2019, ni sur une forte décélération de la croissance chinoise.
Compte-tenu des valorisations des marchés actions européens, qui anticipent déjà un fort ralentissement économique et des primes de risque élevées, nous sommes plutôt confiants dans la performance des actifs risqués en 2019. Il semblerait que le pessimisme généralisé soit finalement devenu un facteur de soutien aux valorisations actuelles.
Patienter et voir loin
Nous restons néanmoins vigilants sur la dynamique macro qui peine à se stabiliser et n’anticipons pas de fort rebond, dans la mesure où les risques politiques restent importants. Et, comme en 2018, nous estimons que la meilleure stratégie d’investissement consistera à sélectionner les entreprises les mieux positionnées dans le grand mouvement de transitions qui est à l’œuvre : transition socio-démographique, transition technologique, transition écologique et transition des modèles de gouvernance, où les entreprises sont appelées à jouer un rôle crucial dans l’atteinte des objectifs d’intérêt général matérialisés par les ODD (objectifs de développement durable).
En tant qu’investisseur, notre rôle ne se limite pas à être un simple observateur avisé, intéressé par ces transitions à l’œuvre. Nous nous devons d’y prendre toute notre part : par nos décisions d’allocation de capital, par notre politique de vote et d’engagement auprès des entreprises ou, plus globalement, par nos prises de positions sur la place économique et financière. Car ne nous y trompons pas, au-delà des péripéties de court-terme, les transitions à l’œuvre nous font courir de graves périls. Si nous ne parvenons pas à adresser la question climatique, si nous échouons à résoudre la crise de la mondialisation matérialisée par une augmentation phénoménale des inégalités, les rendements de moyen et long terme seront compromis ! Il s’agira, plus que jamais, en 2019, d’investir dans et pour une économie plus durable et nous sommes fiers de vous voir toujours plus nombreux et engagés dans cette voie.