par Jens Moestrup Rasmussen, Lead Portfolio Manager chez Sparinvest
Commençons par une évidence : la crise que nous avons connue l’an passé n’était pas en définitive la fin du monde. Fin 2008, il existait un risque majeur d’effondrement du système financier et, de ce point de vue tout du moins, nous pensons que le pire est à présent derrière nous. Mais nous ne savons pas à quel moment l’économie mondiale entamera son redressement, ni si ce dernier suivra une courbe en V, en W ou d’une autre forme. Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus qu’une lumière brille au bout du tunnel et nous sommes presque certains que cette lumière n’est pas celle d’un train fonçant vers nous.
L’économie réelle est en train de digérer les événements de l’an passé et la plupart des statistiques macro-économiques demeurent relativement moroses, mais il convient de garder à l’esprit qu’historiquement parlant, les marchés boursiers ont tendance à se redresser en avance, alors même que les données économiques sont encore sombres et déprimantes. Certains signes d’un changement de cap du marché actions sont apparus au deuxième trimestre 2009, la rotation sectorielle entrant en action et profitant à certains des secteurs ayant le plus souffert. Nous avons récemment investi dans Fossil, fabricant américain d’accessoires de mode qui avait, comme tant d’autres, été malmené au second semestre 2008.
La reprise du secteur américain des ventes de détail a entraîné Fossil dans son sillage. Ainsi le titre a-t-il atteint notre objectif de cours deux mois tout juste après notre investissement initial. Notre processus d’investissement est véritablement bottom up, et nous ne tentons pas de prédire ces rotations du marché. En revanche, nous n’avons naturellement rien contre elles lorsqu’elles font chuter les cours des titres à des niveaux d’achat attrayants ou qu’elles les propulsent jusqu’à notredans différentes classes d’actifs, avec peu d’égards pour les risques encourus. D’après cette définition, on pourrait affirmer que les banques elles-mêmes ont été les plus grands hedge funds.
Elles ont étendu leurs activités hors du périmètre de leur cœur de métier, souvent aux dépens d’une gestion prudente du risque. Aujourd’hui, ces banques nettoient les débris du naufrage après la tempête et, selon nous, la fin de leurs dépréciations d’actifs n’est pas pour demain. De telles dépréciations sont certes régies par des normes réglementaires et comptables, mais il est inévitable que certains établissements adoptent une approche plus décontractée tandis que d’autres font preuve d’une attitude plus stricte à leur propre égard et déprécient leurs actifs avec vigueur. La distinction entre les deux approches peut être difficile à établir et seul l’avenir révèlera celle qui est la plus favorable aux intérêts des banques. Quant à nous, comme toujours, nous préférons voir les banques adopter un comportement strict à l’égard de leur bilan et se séparer de toute valeur d’actif douteuse.
Les bénéfices ont-ils atteint leur plafond ?
D’aucuns se demandent maintenant si les bénéfices des entreprises ont atteint un sommet et si les dernières années ont été une période dorée qui ne se répétera jamais. De toute évidence, nous ne sommes pas près de connaître à nouveau les niveaux de bénéfices atteints en 2006 et 2007, mais ce constat ne nous inquiète pas outre mesure. Nous investissons dans des sociétés qui semblent fortement sous-évaluées sur la base, non pas de leur plafond de bénéfices, mais de leur capacité bénéficiaire moyenne à long terme. Les sommets observés se renouvelleront ou pas, mais nous pensons que ces niveaux moyens de bénéfices peuvent encore être atteints. De plus, même si l’on se range au point de vue pessimiste qui parie sur une légère érosion de la capacité bénéficiaire moyenne, nous sommes confortés par les hypothèses conservatrices à la base de notre style d’investissement : la « marge de sécurité » est au cœur de l’investissement « value ». D’après Benjamin Graham :
« Si (les titres « value ») sont acquis à un prix intéressant, même un repli modéré de la capacité bénéficiaire n’empêche pas nécessairement le placement en question d’obtenir des résultats satisfaisants. La marge de sécurité aura alors satisfait son objectif. »
Malgré cela, nombre de titres ont été dépréciés sans se soucier du lendemain, ce qui reflète très nettement l’orientation actuelle des marchés sur le court terme. S’agissant des prochains mois, nous pouvons affirmer que de nombreuses sociétés, y compris certaines de nos positions, glisseront dans le rouge. Les conditions industrielles se sont légèrement embellies depuis le plongeon de fin 2008, mais les temps sont loin d’être faciles.
Certaines entreprises ne survivront pas, mais celles qui s’en sortiront pourraient bien en ressortir renforcées.
Nous avons l’intime conviction que notre processus évaluation de leur valeur intrinsèque. Sur ces marchés, nous identifions quantité d’idées d’investissement intéressantes, que nous estimons susceptibles d’alimenter notre performance future.
Actions « value » et récessions
Les études prouvant la surperformance à long terme des actions « value » par rapport aux actions croissance sont nombreuses, mais à l’heure actuelle, le marché est bien plus intéressé par le comportement des tendances « value » en période de récession. Si l’on repense aux nombreuses récessions du siècle dernier, on constate que les actions « value » affichent généralement une forte surperformance au moment où les Etats sortent de la récession.
Inéluctablement, différentes théories permettent d’expliquer ce phénomène. Selon nous, l’un des principaux facteurs, certes simpliste, tient au fait que nombre d’actions « value » sont souvent riches en actifs dont les coûts fixes peuvent donc être relativement élevés. Lorsque la récession bat son plein et que les taux d’utilisation chutent, les sociétés tentent naturellement de réduire leurs coûts aussi bien fixes que variables. Il semble cependant inévitable que les tendances bénéficiaires des entreprises dont les coûts fixes sont supérieurs et qui sont souvent riches en actifs productifs, essuient les replis les plus prononcés. Bien entendu, ces sociétés ont aussi la chance de voir leurs bénéfices se redresser plus rapidement lorsque l’économie repart. De surcroît, ces entreprises ont tendance à utiliser les cycles de récession pour diminuer leurs coûts de main-d’œuvre et leurs capacités excédentaires – des mesures susceptibles de les rendre encore plus à même de tirer parti de la reprise macroéconomique à venir.
Les dépréciations d’actifs représentent également un problème de taille. A mesure que les taux d’utilisation baissent, la valeur des actifs productifs doit souvent être dépréciée. Bien entendu, certaines entreprises procèdent à de telles dévaluations avec plus d’ardeur que d’autres.
Les dépréciations d’actifs n’ont rien de réjouissant et en tant qu’investisseur « value », il n’est jamais agréable de voir la valeur des actifs chuter. Elles comportent malgré tout certains aspects positifs : elles allègent d’une part la base de coûts fixes et peuvent souvent, d’autre part, faire également baisser la valeur déclarée des actifs bien en dessous de leur valeur à long terme, créant ainsi des opportunités pour l’investisseur « value ».
Naturellement, le système bancaire, qui doit à la fois régler ses problèmes internes et rétablir la bonne santé du fonctionnement du cycle de crédit, est un facteur essentiel de cette reprise. Ces dernières années, le qualificatif « hedge funds » ou fonds spéculatifs a été quelque peu déformé. On l’utilise désormais souvent pour décrire des fonds à fort effet de levier qui investissent librement le monde quant à la demande finale dont bénéficient leurs produits, aux coûts des matériaux, aux niveaux de changes, etc. L’économie réelle est certes en piteux état, mais le monde des entreprises tient compte de cette situation et nous avons trouvé que nombre des sociétés en portefeuille étaient déterminées à ajuster leur structure de coûts afin d’atteindre l’équilibre, même si les mois à venir se révèlent aussi difficiles que les quelques mois horribles qui ont suivi novembre 2008. Dans l’ensemble, les dirigeants d’entreprises ne font pas preuve d’un optimisme aveugle, mais prudent, dans leurs prévisions d’une reprise rapide.
Parallèlement, les gouvernements poursuivent leurs efforts de soutien en faveur de la reprise. La taille des plans de relance varie nettement en fonction des pays, ce qui affectera la vitesse de redressement dans chacun d’entre eux. Ainsi la réaction du gouvernement chinois à la crise a-t-elle été massive, aussi bien en termes monétaires que relatifs. L’année 2009 devrait être marquée par le déploiement de mesures budgétaires correspondant à 3,1% environ du PIB, 2,7% supplémentaires devant suivre en 2010. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup considèrent la Chine comme susceptible de se ressaisir relativement vite.
Nos fonds ne sont pas directement exposés aux marchés émergents, dont la reprise aura toutefois des retombées.
Parmi les principales nations industrialisées, c’est le Japon qui exporte le plus vers les marchés émergents, avec près de 50% du total de ses exportations. Naturellement, une partie de ces exportations porte sur des biens intermédiaires destinés en dernier ressort aux consommateurs américains ou européens, mais le Japon contribue aussi à satisfaire la demande intérieure des marchés émergents.
Cela ne signifie pas que la situation en Europe est entièrement sombre. L’Allemagne, à laquelle nous sommes considérablement exposés, exporte elle aussi une partie relativement importante de sa production vers les marchés émergents et a adopté un plan de relance propre important. Parmi les résultats concrets des mesures de relance, citons le programme de prime à la casse qui incite les consommateurs à envoyer leur vieille voiture à la casse et à la remplacer par une neuve moyennant une prime. De tels programmes ont été introduits en Europe, ainsi qu’au Japon et ailleurs. Leur impact s’est déjà fait sentir : si les ventes de voitures européennes accusaient toujours un repli en glissement annuel au deuxième trimestre, cette baisse était bien inférieure à celle du premier trimestre.
Valorisations
Du point de vue des valorisations dans leur ensemble, les actions s’inscrivent actuellement aux niveaux les plus faibles que nous n’ayons jamais connus. Bien sûr, il est facile de montrer du doigt les ratios cours/bénéfices 2009 et d’affirmer qu’ils s’inscrivent à des sommets historiques, mais il convient de garder à l’esprit que ce phénomène est principalement dû à la faiblesse extrême des bénéfices, qui s’atténuera à l’avenir. Il n’a pas été très plaisant de voir les cours boursiers chuter, mais nous pensons que le moment est désormais venu de retrousser ses manches et de rechercher les actions bon marché qui alimenteront la performance des années à venir.
Il nous a semblé difficile de dénicher de réelles affaires sur le marché américain ces dernières années, mais notre univers potentiel s’est considérablement élargi au cours des derniers mois. Toute une série d’entreprises de qualité assorties de bilans solides ont atteint des niveaux de valorisation qui nous intéressent, un phénomène que nous avons commencé à exploiter au sein de nos fonds globaux. De même, tant aux Etats-Unis que dans d’autres régions du monde, nous avons vu un nombre croissant de petites capitalisations attrayantes apparaître sur notre écran radar. Nombre d’entre elles ont été intégrées dans nos portefeuilles.
Marchés de fusions-acquisitions
Toute étude des perspectives des marchés et de nos fonds se doit d’inclure un point sur les fusions-acquisitions. Depuis un certain temps, peut-être bien depuis le choc Lehman, le monde n’est pas toujours apparu sous son angle le plus rationnel. Les marchés des fusions-acquisitions ont fait preuve de faiblesse en dépit de valorisations étonnamment basses. Il est naturellement très difficile de financer la moindre opération et même les sociétés disposant d’une « caisse spéciale » remplie de liquidités se sont montrées relativement nerveuses à l’idée de faire leur marché en raison des incertitudes quant à la durée du repli des bénéfices.
La préservation des liquidités a été la priorité première, ce qui a inévitablement affecté nos fonds dont historiquement un bon nombre de positions ont fait l’objet de rachats. A cet égard, nos fonds ont ressemblé ces derniers mois à des moteurs huit cylindres fonctionnant avec quatre cylindres seulement. Les marchés des fusions-acquisitions vont s’améliorer et nous pensons que plusieurs de nos positions pourraient être concernées.