par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM
S’il y a un point sur lequel Donald Trump fait l’unanimité, c’est celui de conditionner l’ensemble de l’économie mondiale à l’économie américaine et aux décisions prises à la Maison-Blanche. Le point de départ de cette situation est de considérer que l’économie est un jeu à somme nulle. Ce que les Américains perdent, alors d’autres le gagnent et inversement. En d’autres termes, lorsqu’un pays se développe et qu’il commerce avec les États-Unis, le solde des échanges doit être équilibré, sinon la situation n’est pas équitable.
Mais on peut aller plus loin, puisque Trump considère que tout ce qui pourrait être fabriqué aux États-Unis et qui est importé devrait faire l’objet de mesures visant à rapatrier la production et les emplois associés. Cette vision n’a jamais été celle qui a permis le développement du monde. Adam Smith, David Ricardo et bien d’autres après eux ont montré qu’il y avait un intérêt à l’échange et que celui-ci pouvait être profitable à tous.
Dès lors que l’hypothèse d’un jeu à somme nulle est prise en compte, la guerre commerciale que Trump avait démarré dès sa campagne électorale a du sens. Il s’agissait, pendant la campagne, de rapatrier tous les emplois industriels vers les États-Unis. Devant le succès mi- tigé d’une telle requête, le candidat de- venu président a mis en œuvre des tarifs douaniers parfois plus dissuasifs. Cela a été le cas avec l’Europe, puis surtout avec la Chine. Dans un cadre un peu différent, cela a permis à la Maison-Blanche de redessiner les contours de l’Alena, l’accord de libre échange entre le Mexique, le Canada et les États-Unis.
L’indépendance de la Fed en question
L’élément le plus spectaculaire reste néanmoins le bras de fer avec la Chine. Le point de départ est un déficit abyssal des États-Unis avec l’Empire du Milieu. En 2018, le déficit américain avec la Chine était de 419 milliards de dollars. Les Amé- ricains, par la voix de Trump, souhaitent que des productions soient rapatriées. Cette perception du déséquilibre des échanges n’a pas toujours été un pro- blème pour les États-Unis, puisque les Chinois réinvestissaient leurs excédents sur des actifs financiers américains. Cela permettait de combler l’épargne man- quante des États-Unis. Cependant, la situation a changé puisque les Chinois n’achètent plus autant de bons du Trésor. Le mécanisme est altéré. En outre, le développement technologique des Chinois modifie aussi l’équilibre global, puisque la Chine concurrence les États-Unis sur des technologies de pointe.
La conséquence de cette hypothèse de jeu à somme nulle est d’abord un coût élevé pour les Américains qui conti- nuent à importer des biens chinois qui sont devenus plus chers. L’autre conséquence majeure est l’incertitude que cela provoque à l’échelle globale. Cela modifie forcément les comportements et pénalise la croissance, puisqu’il devient périlleux de faire des paris sur l’avenir, même lorsque l’on est américain.
Une autre conséquence de ce jeu à somme nulle est de vouloir forcer la Federal Reserve américaine à adopter une stratégie trop accommodante, afin de soutenir, quoiqu’il arrive, le cycle économique américain, même si cela est aux dépens des autres. C’est l’idée selon laquelle, dès le mois de juillet, il serait souhaitable pour la Fed de réduire son taux de référence de 50 points de base. Cela ne serait pas cohérent avec le cycle américain qui est encore robuste et poserait de vraies questions sur l’indépendance de la Banque centrale américaine, et alors forcément sur l’allure des marchés financiers. Mais cela va au-de- là des États-Unis. Lors d’un speech récent de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, celui-ci évoquait la possibilité d’une politique monétaire plus accommodante en zone euro afin de faire face aux risques sur la croissance et pour infléchir l’inflation à la hausse. Immédiatement, un tweet de Washington menaçait les Européens, car cette stratégie plus accomodante se traduirait par un euro plus faible, ce qui irait à l’encontre des intérêts américains.
On pourrait multiplier les exemples économiques et politiques en phase avec cette hypothèse d’un jeu à somme nulle. C’est le cas lorsque l’Allemagne est perçue comme bénéficiant du parapluie américain sans en payer directement le prix, c’est aussi le cas lorsque les États-Unis s’interrogent sur la nécessité de protéger le détroit d’Ormuz, puisque le pétrole qui y circule ne leur est pas destiné.
Un monde nouveau à construire
L’ensemble des décisions sont désormais conditionnées par les intérêts de Washington, alors que la Maison Blanche a adopté un comporte- ment qui n’est plus multilatéraliste, mais au mieux bilatéral. Les ÉtatsUnis ne jouent plus le rôle qui était le leur par le passé, à la fois comme source d’impulsion économique et comme gendarme du monde.
On perçoit les prémices de ce nouvel équilibre dans les relations difficiles des Américains avec les Chinois. Un monde nouveau est à construire et ce sera aussi celui des Européens. Ceux- ci, très dévoués aux Américains par le passé et pour des raisons objectives, s’interrogent. Ils doivent désormais se définir comme un partenaire à part entière dans ce monde en recomposition. Ils ont un rôle à jouer et on voit bien dans les choix technologiques, notamment vis-à-vis des Chinois, que l’Amérique a changé de rôle et n’est plus la référence absolue.
Pour revenir sur l’hypothèse de jeu à somme nulle, il est probable que cette idée sera remise en cause rapidement. L’économie US est en phase de courbe des taux de rendement inversée. Cela reflète des investisseurs qui ont du mal à se projeter dans l’avenir et à faire des paris sur celui-ci. Si en 2020