par Alexandre Baradez, Responsable Analyses Marchés chez IG France
Une partie importante du rallye cette année sur les marchés actions vient de deux facteurs majeurs : les espoirs d’un apaisement des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine et les attentes autour d’une nouvelle phase d’assouplissement de la Fed et de la BCE.
Mais ces derniers jours plus particulièrement, l’attention se porte sur la BCE qui doit annoncer un nouveau changement de politique monétaire. Les marchés attendent un nouveau « package » d’ampleur incluant une baisse de taux potentiellement accompagnée de mesures visant à en limiter partiellement l’impact négatif sur les banques, mais également un nouveau « Quantitative Easing ». Plusieurs sources proches des discussions ont indiqué la semaine dernière que la BCE, même si elle était proche des limites concernant les achats d’obligations souveraines, disposait de marge de manœuvre d’environ un an en utilisant la flexibilité offerte par le cadre actuel. Ces sources ont indiqué que les obligations souveraines restaient la pierre angulaire de tout nouveau programme d’achat d’actifs, mais ont toutefois indiqué que des actifs du secteur privé pourraient aussi être inclus.
Ces informations ont donc favorablement impacté les indices actions, au moment même où les relations Etats-Unis/Chine semblaient « s’apaiser » avec l’annonce d’un nouveau round de négociation en octobre. Le marché s’est donc, comme il le fait depuis le début de l’année, appuyé une nouvelle fois sur ces deux piliers, commerciaux et monétaires, pour rebondir. Nous pouvons toutefois légitimement se poser la question de la pérennité du mouvement sur les indices actions.
En effet, plusieurs membres ou ex-membres de la BCE se sont exprimés dans les médias ces derniers jours (Nowotny, Rehn, Constancio, Muller, Lautenschläger, Knot) pour afficher leur méfiance par rapport à la nécessité actuelle d’un nouveau paquet important de mesures ou encore sur les trop fortes attentes du marché par rapport à l’action de la BCE. Plusieurs de ces membres sont connus pour être des « faucons » mais force est des constater qu’ils ont été particulièrement audibles ces derniers jours.
Il y a deux façons d’analyser ce tir groupé à quelques jours de la réunion : soit des mesures d’envergure sont réellement envisagées et les « faucons » montrent publiquement leurs désaccords avec les « colombes » de la BCE, soit ils estiment que les marchés (obligataires et actions) sont trop confiants et ils envoient un message de prudence en amont pour éviter une trop forte volatilité le jour des annonces…
Autre facteur de méfiance sur la détente de ces derniers jours sur les marchés actions : le changement de présidence à venir à la tête de la BCE. Pour laisser des marges de manœuvre à Christine Lagarde en cas de ralentissement plus marqué de l’économie européenne, il serait étonnant que la BCE sorte le « bazooka » jeudi.
Enfin se pose la question de l’impact des politiques monétaires très accommodantes et de son « usure » dans le temps. En 2012 lorsque les premières phrases chocs de Mario Draghi ont été employées, il y avait urgence : les spreads de taux souverains en zone euro étaient extrêmement dangereux avec un risque systémique. Et les actifs financiers beaucoup moins valorisés qu’aujourd’hui (donc pas de risque de bulle). Aujourd’hui la situation a drastiquement changé : de nombreux taux souverains ont plongé en territoire négatif et plusieurs indices actions de la zone euro, dont le CAC Total Return et le DAX, ont touché ces 2 dernières années des records historiques. Le risque de bulle sur de nombreux actifs financiers se pose très sérieusement aujourd’hui.
Aujourd’hui, et malgré une politique monétaire toujours très accommodante, on voit que l’Allemagne a frôlé la récession en fin d’année dernière et que son économie s’est encore contractée récemment. Une politique encore plus accommodante ne changerait pas grand-chose pour l’Allemagne. Pour beaucoup, c’est à la politique budgétaire et aux réformes de prendre le relais. Et ce dans plusieurs pays européens.
Autre signe potentiellement révélateur d’un essoufflement : les anticipations d’inflation en zone euro (swap d’inflation 5Y5Y) n’ont cessé de se dégrader depuis mi-2018 alors même que le « Quantitative Easing » de la BCE était toujours en place. Lorsque le premier QE de la BCE a été annoncé en janvier 2015, les anticipations d’inflation moyen-terme étaient à 1.73%. Elles sont à 1.23% aujourd’hui alors que le bilan de la BCE a gonflé de plus de 2000 milliards d’euros entre temps.
Le risque de voir la BCE « décevoir » les marchés est donc bien réel.